Lara revient. Après avoir joué à Justine dans un premier reboot aux allures de chemin de croix initiatique, elle passe sur le divan et part venger son père dans une relecture à peine cachée des contes de fée. Blanche Neige n’est pas très loin, dans Rise of the Tomb Raider, situé un an après les aventures du précédent épisode, au moment encore critique où Lara cherche à affirmer son identité. Un tel plot avait de quoi nourrir les ambitions de Crystal Dynamics qui, en 2012, avait surpris tout le monde avec un jeu d’une étonnante cohérence, bousculant même les habitudes avec un personnage à la présence incroyablement vivante, sensuelle et singulière. Rarement un jeu n’avait donné une telle intégrité à un corps de jeu vidéo, s’appuyant sur celui d’une actrice (Camilla Luddington, de retour) pour étoffer sa présence, la subtilité de ses mouvements, sans cesse en interaction avec l’environnement. Tomb Raider voyait alors un peu plus loin qu’Uncharted, dont il voulait reprendre le flambeau du jeu d’aventure exotique. Il était l’apprentissage réel d’un corps emblématique qu’on croyait connaitre, alors qu’il fallait apprendre à le (re)-découvrir, au travers de sa jeunesse et par de nouveaux mécanismes, délaissant la lenteur et la difficulté hardcore du puzzle-plateformer, pour la vitesse et l’ivresse ininterrompue de l’action-plateforme.

En troquant l’exercice sadien pour un condensé freudien, Crystal Dynamics la joue malin : comment mieux raconter l’histoire d’une aventurière courant après les légendes du monde entier, qu’en repassant par le symbolisme des mythes eux-mêmes ? L’idée est jolie, mais elle s’arrête un peu là : quand l’épisode précédent essayait de matérialiser sans cesse ses enjeux, Rise of the Tomb Raider ne sait trop comment illustrer concrètement sa nouvelle ligne directrice. Admettons que diluer un peu de psychanalyse et de classicisme soit plus compliqué qu’un parcours figuratif, plus facile à établir dans un jeu d’action. Le problème, c’est qu’à l’arrivée cette histoire de famille devient un prétexte -intéressant mais maladroit-, pour reconnecter la licence avec son histoire. On se perd ainsi entre la Syrie et la Sibérie, partant à la recherche de Kitej (ville légendaire russe) pour marcher sur les pas de papa, en quête d’une source d’immortalité convoitée par belle maman, la vilaine de l’histoire. Si l’aventure dépayse toujours, et les décors fascinent encore (parfois), le semi échec narratif du jeu dit la véritable ambition de cette suite : imposer son identité par ses mécaniques, trouver sa place dans l’arbre généalogique Tomb Raider en fignolant son modèle. Pas de chance, et plus ennuyeux, c’est aussi sa limite.

En reprenant pour l’améliorer tout ce qui faisait l’épisode précédent : plateforme, gunplay, upgrades, niveaux, missions, collectibles… Rise of the Tomb Raider vise une optimisation a priori nécessaire et évidente pour un jeu de cette envergure. Sauf qu’en multipliant les activités, en bombardant un joueur saturé d’infos et d’objectifs toujours aussi peu compliqués à remplir, le jeu en devient bourratif. L’aventure se joue surtout plus mécaniquement (dur de s’égarer malgré l’ouverture et la liberté offerte par les décors), dans des niveaux simili open world où l’on vaque de quêtes annexes en chasses au trésor. Quoique plus varié, le jeu se noie un peu dans ce bain d’occupations tous azimuts, qu’un level design fouillé ne rend pas plus passionnant, tellement il est saturé d’indicateurs de parcours. Plus que jamais on court, grimpe, saute, chasse, tue et customise, pas de quoi s’ennuyer (on clique, récolte et explore frénétiquement), mais l’ensemble manque de souffle. Il manque surtout de cette alchimie -entre le scénario, l’action et la mise en scène-, qui faisait le sel de l’épisode précédent. L’animation de Lara, qui n’a pourtant pas perdu en finesse, n’est plus un moyen de refléter sa trajectoire intime – qui passe désormais davantage par une quantité excessive de monologues intérieurs sur son passé (et autres audiologs sortis de nulle part). Quelques scènes (non jouables) reflètent ses hésitations entre sa quête personnelle et son rapport aux autres, mais son corps n’est plus cet enjeu narratif qui plaçait le jeu au-dessus de la mêlée.

L’aventure comme destin, la découverte du monde comme héritage, la justice comme éthique et motivation, Crystal Dynamics ne manque pourtant pas de sujets pour épaissir son jeu et son personnage. Mais le studio butte sur la difficulté à implanter ces questions au coeur de l’action, s’égarant dans un blockbuster toujours aussi admirable de fluidité et de rythme, mais sans relief, quasi générique et dont pratiquement aucun passage n’est mémorable. En lorgnant vers Uncharted pour son reboot, Crystal Dynamics prenait un risque mineur et sans doute nécessaire pour donner une seconde jeunesse à la saga. En étirant ce même programme, la série suit une voie difficilement attaquable, mais à laquelle il manque cette fois ce détail en plus, cette vision, qui fait oublier les dangers d’une machinerie aseptisée et programmée qui penche dangereusement vers celle d’Ubisoft.