Après avoir déposé son concept « GeoMod » dès 2001 (la destructibilité « totale » du décor), Red faction a souvent décliné cette fierté technologique sous toutes les formes d’opportunisme possibles. Après le FPS (les épisodes I et II), le GTA-like (Guerilla), c’est au tour du TPS de se voir colonisé par la saga de Volition. La question reste : pourquoi tant de circonvolutions ? A force de se reposer sur son originalité destructrice de départ, devenue norme par force des choses chez ses concurrents, Red faction, le jeu proprement dit, n’a rarement inventé que d’inoffensifs ersatz de références majeures.

Armageddon est de ces placébos, coincé entre le souvenir d’un Lost planet et l’attente d’un Gears of war. Son intrigue politique des premiers volets, pourtant encline aux intrigues retorses (la colonisation de Mars troublée par des guerres intestines), cède ici sa place à une excursion spéléo dans les profondeurs de la planète. Son héros, excavateur de son métier, se voit ainsi contraint, après avoir défloré une relique extraterrestre, de nettoyer les entrailles de la planète, infestées par une horde alien. Triste décision, là où Guerilla (le meilleur de la série, assurément) offrait des déambulations aérées en open-world, Armageddon va bêtement se terrer en souterrains claustros et sous-exposés. Oeuvrant dans une pénombre cache-misère, le level-design se cantonne au minimum syndical en esthétique minière : parois à stalagmites, infrastructures de forage, cavernes à minerais comme seuls coquetteries, et basta. Avec sa manie aberrante de classicisme, comme sourd aux canons narratifs (articulations rouillées entre cinématiques et phases de shoot), le titre peine à masquer son gameplay fainéant (déambulations en couloirs et allers-retours incessants), mal digéré d’un vortex années 90.

Déception, donc, devant le manque d’ambition critique de cette saga qui se contente allégrement de jouer les défouloirs bad-ass, sans seule autre visée que son seul plaisir coupable. Car, malgré ses carences, Armageddon a le chien d’une bonne série B récréative. Au-delà de son indigence feinte, Armageddon se sert de son seul allant graphique (le moteur GeoMod, permettant une désarticulation précise des décors) comme jouissance ad libitum à jouer les Godzilla de salon. Peu de jeux réussissent autant à balayer toute implication scénaristique (identification, morale, etc.) pour ne se concentrer que sur un simple instinct démolisseur. Si l’arsenal ne cherche rien à révolutionner dans le genre, deux de ses idées biaisent néanmoins la linéarité du shoot vers des comportements inédits : un Fusil magnétique (deux balises, l’une attirant l’autre comme un boulet de démolition) qui fait du décor une arme par ricochets tactiques et un pur plaisir de ravage des infrastructures, et, son oxymore, une capacité « nano-réparatrice », permettant de reconstruire instantanément chaque particule d’un environnement mis à sac. Au rôle de chasseur de bestioles l’emporte rapidement celui de chef de chantier, dont l’obsession à faire tomber une cloison prévaut sur le simple enchainement de frags. De cette déterritorialisation de l’acte (il ne s’agit plus de destruction du décor, mais d’influence sur celui-ci) nait une émulation tenace, évacuant aisément les apories du récit pour le seul frisson de la déstructuration.

De plus en plus rare, cette sensation n’est pas sans rappeler celle de Terraria, jeu à l’apparence modeste et au génie inattendu. RPG sandbox rétro, à des kilomètres de Red faction sur le papier – on le comparerait plutôt à Minecraft – Terraria offre aussi une approche unique de l’environnement. Dans ce dernier, le joueur est libre de creuser chaque particule (pixel) du décor pour le recycler en objet du quotidien ou crafter ses armes avec. Aucun acte ni aucune quête imposée, si ce n’est le seul plaisir de malléabilité du décor comme moteur ludique.

Armageddon n’a certainement pas la même force conceptuelle qu’un Terraria. La destruction prévaut malheureusement sur la composition. Mais le jeu distille cette relation complexe – on pourrait presque parler d’un rapport amour-haine – au décor, balayant tout intérêt pour une action balisée au seul profit d’une envie capricieuse de remodelage. On croyait la dualité faire/défaire réservée aux seuls sim-gestionnaires. On avait peut être tort. Si le titre est loin de nous faire espérer une quelconque suite (la fin est ahurissante de bâclage), il aura eu pourtant ce charme fulgurant et punk d’un caprice de sale gosse, dont le défoulement a été de singer l’acte d’un paysagiste.