Jusqu’à présent, Picross était un peu l’oncle d’Amérique du jeu de réflexion. Le genre de parent éloigné dont le core-gamer vous parle avec l’oeil humide, une main posée sur votre épaule, certain de vous prescrire une valeur sûre. Seulement voilà, s’il est bien un genre que la DS a permis de dépoussiérer, c’est bien celui du puzzle-game. Du taoïste Polarium au frénétique Meteos, du soviet-revival Tetris au Sudoku en grillade, les bienheureuses prises de tête se multiplient et ne se ressemblent pas. Difficile donc, même pour un jeu issu d’une aussi belle lignée (Mario Picross sur GameBoy en 1995 et diverses séquelles jamais sorties en dehors du Japon) de se faire un nom sur la console aux deux écrans.

« Picross » est la contraction de « Picture Crossword », une grille de mot croisés « graphique » dont on ne remplit plus les cases avec des lettres. Il s’agirait plutôt de les remplir jusqu’à faire apparaître un pictogramme bichrome, généralement figuratif. En abscisse et en ordonnée, des chiffres indiquent le nombre de cases à remplir à la suite. Une fois la grille terminée, le motif apparaît et s’anime façon pixel-art. Premier écueil : avant d’avoir intégralement terminé la grille, il est quasiment impossible de deviner la forme finale du pictogramme à reconstituer. Pouvoir faire des hypothèses à partir d’une esquisse aurait-il rendu le jeu trop facile ? A vrai dire, peu importe. Il est simplement regrettable qu’un puzzle-game basé sur le dessin oublie de récompenser la capacité du joueur / traceur à deviner la composition du tableau final. On devra donc se contenter de froides formulations logiques et mathématiques pour cocher la plupart des cases, alors que Picross aurait pu proposer, pour enrichir son gameplay, une dimension « devinette graphique » façon Pictionnary. Paradoxalement, une fois le motif découvert, il se retrouve bêtement exposé à l’écran de sélection des grilles. Conséquence directe : impossible de refaire une grille de Picross sans que le jeu vous affiche au préalable sa solution. Le jeu ne disposant que d’une seule malheureuse sauvegarde, il est donc très difficile de profiter de la cartouche à plusieurs, drôle de choix de la part des concepteurs. Dernière ombre au tableau, alors que la maniabilité tactile a clairement revitalisé le genre des puzzle-games, son intégration bâclée au concept de Picross la rend particulièrement arbitraire. En clair, à moins de piquer les cases avec la précision d’une machine à coudre, l’écran se déplace sous le stylet de façon hasardeuse au risque de nous faire colorier des cases que l’on voulait laisser vides, entraînant une pénalité de temps. Bref, oubliez le tactile, Picross ne se joue correctement qu’à la croix et aux boutons. Les pénalités de temps ne rendent de toutes façons pas le jeu plus difficile. En réalité, il n’y a pas de limite de temps. Tout au plus verra-t-on apparaître un vexatoire « trop lent » s’afficher sur l’écran si, à force d’hésitations ou d’erreurs, le joueur dépasse les soixante minutes pour finir son Picross. Le joueur peu consciencieux pourra colorier toutes les cases comme un goret avec pour seul témoin de sa crapulerie un score-timing gonflé par les pénalités.

Conscient de toutes ces lacunes, faut-il pour autant renvoyer l’oncle d’Amérique par le premier avion ? Pas si sûr. Ce serait d’abord dénier à Picross une vertu qu’on ne prête qu’aux grand puzzle-game et aux drogues trop dures : l’addiction. Un entrain à enchaîner les grilles difficilement explicable mais bien présent qui redonne toute sa valeur au terme « passe-temps ». Par ailleurs, Picross DS rattrape ses quelques défauts de conception par une exhaustivité de contenu en tout point exemplaire. Un mode de création de Picross qui permet de transformer son motif dessiné dans une interface à la Paint en grille jouable et échangeable avec des contacts via internet ; un mode deux joueurs chiche mais efficace ; de nouvelles grilles à télécharger régulièrement. Et cerise sur le gâteau, un mode « Picross du jour » qui adapte le concept à la mode Kawashima en proposant un challenge quotidien et en proposant un suivi des résultats au jour le jour.

Picross DS n’est sûrement pas le concept génial injustement laissé de côté toutes ces années par Nintendo, mais c’est un jeu de réflexion honnête et satisfaisant. L’oncle d’Amérique du puzzle-game, exotique mais parfois lourdingue, auprès de qui on laisse passer ses manières rustres, parce qu’il est plein aux as et généreux.