De Guitar hero à Elite beat agents, les jeux musicaux et lesrythms games forcent tous le joueur à aller jusqu’au bout des morceaux. Suivre les pas de danse ou jouer la partition : dans les deux cas, c’est se soumettre à la tyrannie du rythme. Dirigiste comme un chef d’orchestre, les jeux musicaux constituent avant tout une leçon de (haute) fidélité, transformant le joueur, selon l’affection que l’on porte au genre, en chien savant ou en virtuose.

Fin d’une époque : Patapon vient rappeler au joueur le pouvoir politique et tribal du rythme – ainsi que sa fonction chamanique. Sur les cendres encore fumantes d’un champ de bataille, les Patapons confèrent au joueur, émerveillé par le bruit de son tambour, le statut de divinité et remettent leur destin entre ses mains. A nous, donc, de les faire combattre et de les guider au son du tambour vers leur mystérieuse terre promise, Earthend. Dans la pratique, il ne s’agit pas de contrôler directement les Patapons, mais de leur donner des ordres en tapant des séquences rythmiques calées sur un beat bien précis. Vous voulez faire avancer vos troupes ? Carré, carré, carré, rond. Les faire attaquer ? Rond, rond, carré, rond. Malgré l’ajout progressif d’autres séquences (qui se comptent néanmoins sur les doigts d’une main), on peut légitimement s’indigner d’un telle répétition des mêmes boucles dans un jeu musical. Evitons d’enfoncer les portes ouvertes, sous peine de passer complètement à côté du caractère hybride de Patapon.

Patapon est constitué d’éléments de gameplay hétérogènes, mais qui visent tous à établir une proposition de jeu cohérente et adaptée au contexte. En dehors des missions, les divers membres du clan (jardinier, cuisinier, forgeron…) vous permettent d’utiliser des matériaux indispensables pour créer de nouveaux soldats. Pour récolter ces matériaux, pas d’autres solutions que d’envoyer vos petits fantassins chasser du gibier dans des niveaux déjà parcourus auparavant. Un gibier qui pourra varier selon les conditions météorologiques. L’aspect le plus probant de ce gameplay « tribal » reste toutefois le mode « fever ». Au bout de quelques séquences rythmiques enchaînées sans erreurs, les Patapons entrent dans une transe guerrière qui démultiplie leur force d’attaque. Ce mode leur permet aussi d’accomplir quelques miracles météo qui peuvent tourner à leur avantage (faire tomber la pluie, par exemple). De manière plus inattendue, le mode « fever » représente, à sa manière, un joli croche-pied tendu au joueur. Tandis que la majorité desrythm games récompense sans plus de cérémonie la maîtrise du joueur, Patapon, vachard, s’amuse à le faire chuter. Durant la transe, le beat se brouille ; des mélopées se superposent jusqu’à rendre inaudible le tempo à respecter. Et contre un boss titanesque ou des ennemis plus ou moins agressifs, la « descente » se paye cash : vos pauvres petits Patapons seront impitoyablement sacrifiés. Car malgré sa patte graphique épurée et globuleuse (l’oeuvre du designer français Rolito) et son patronyme de débile léger, Patapon n’est pas l’équivalent musical de LocoRoco. C’est un jeu exigeant voire difficile. La plupart des missions contre les Zigotons, ennemis jurés des Patapons, ne sont finalement rien de plus que des épreuves d’endurance (maintenir le mode « fever » le plus longtemps possible en évitant les erreurs de séquences ou de perdre le rythme) et dépendent fortement de la sélection appropriée des troupes (archers, fantassins, cavaliers…) effectuée avant chaque niveau. A l’inverse, chaque boss fight nécessite l’élaboration d’une vraie stratégie de mouvement. Que faire contre un ver des sables géant ? Camper jusqu’à la transe et attaquer d’un coup ? Alterner retraite, charge et attaque ? Déclencher le « miracle du vent » pour que les archers puissent l’attaquer de loin ? Choisir la partition adéquate (chaque mouvement est une mélodie rythmique) est aussi capital que de composer une armée adaptée aux situations. L’enchaînement parfait, c’est celui qui minimise les pertes, maximise les dégâts et, surtout, permet de maintenir le mode « fever ». Complexe dans son mécanisme, mais jamais insurmontable, grâce à sa structure RPG qui permet de booster ses petites troupes entre deux missions ardues,Patapon est également très obscur en ce qui concerne ses énigmes.

Malgré leur caractère vague, difficile pourtant de ne pas adhérer aux indices disséminés dans les niveaux ou l’interface très vivante du jeu, façon « conte oral et peinture rupestre » en parfaite harmonie avec l’esprit primitif du titre. Il est très surprenant, aussi, qu’un jeu stratégique et musical refuse à ce point toute forme de dirigisme vis à vis du joueur. C’est ce qui fait dePatapon un grand jeu, à la fois chaman et alchimiste des contraires. Mignon et stylisé comme un jeu casual, ses mécanisme révèlent un titre riche et complexe. Musical et répétitif comme un rythm game, son bac-à-sable constitue un terrain d’expérimentation suffisamment ouvert pour qu’on puisse y passer des heures sans s’ennuyer.

Comme Rez, PaRappa the rapper ou Gitaroo man en leur temps, Patapon se sert de la musique comme d’un esquif pour emmener le jeu vidéo vers d’autres horizons. Une inoubliable traversée des genres qui ramène le joueur chez lui, en véritable Christophe Colomb. Fraîchement débarqué de sa terra incognita, encore hypnotisé par l’écho du beat primitif.