La raison qui nous a poussés vers Midnight club : Los Angeles ? La ville. Comme pour GTA IV, la promesse d’une expérience urbaine sur console HD est un argument suffisant pour séduire. Il y a un réel plaisir, voire une magie, dans ces expériences de tourisme digital. Une sorte d’ivresse de l’errance à naviguer sur des maps immenses en laissant parfois le jeu de côté, pour le simple plaisir de se croire en l’Amérique, de vivre son ambiance, avec sa saturation de signes, sa géographie, ses paysages, ses routes. Les jeux Rockstar, comme ce nouvel épisode de sa licence Midnight club, sont à l’image de la première puissance mondiale : ils rêvent d’espace, d’amplitude, de bâtir des villes sans limites à explorer au volant de tous les véhicules motorisés possibles. Leur fantasme n’est pas seulement de créer la ville la plus réaliste, mais la plus vivante. En ligne de mire : recréer l’illusion de la fluctuation urbaine, le mouvement organique des villes, pour y insérer le joueur et bâtir autour un scénario et son gameplay. On peut ainsi imaginer Rockstar dans dix, vingt ans, peut-être moins : leur map sera l’Amérique entière, ils n’auront plus qu’un modèle à réactualiser, et des dizaines de jeux différents pourront y être situés, parfois se croiser. Un projet titanesque, plus ambitieux et excitant que Google earth et Second life réunis : les Etats-Unis comme aire de jeu et sujet. Un dessein utopique et délirant qu’on aimerait voir de notre vivant.

En attendant ce jour salutaire, GTA IV a su combler pour un moment les attentes en la matière. Il n’y a pas d’expérience urbaine comparable, aucune, en tout cas, aussi foisonnante et fascinante. Après New York revisité, l’idée d’un jeu de course hérité de Fast and furious et Need for speed dans une reproduction officielle de L.A. suscitait donc la curiosité, l’appétit. La capitale californienne semble l’endroit idéal par sa superficie démesurée et sa configuration historique construite autour de la voiture. Seulement Midnight club n’a pas les moyens ni les prétentions de GTA. Non que l’équipe de Rockstar San Diego ait bâclé le rendu de sa ville, rien de déshonorant, loin de là, mais pas de quoi donner envie de traîner pour se pâmer devant les décors. Pourtant, tout vise le surplus de réalisme : un trafic monstrueux et dense, de nombreuses boutiques bien détaillées, les panneaux d’affichage géants qui s’étalent pour faire lever les yeux au ciel, un taux anormal de piétons, la publicité, partout. Car malgré les apparences, Midnight club est le négatif de GTA : sur un canevas scénaristique similaire et cher à la série, l’arrivée en ville d’un jeunot plein d’ambition cherchant à faire sa place dans le milieu des courses clandestines, le jeu est tout sauf une satire. Au contraire, entre les publicités pour Pizza Hut ou Virgin et les marques de bagnoles, forcément réelles, on est a fond dans le système. Et le seul objectif qui prévaut ici, c’est la pole position et la thune, sans arrière pensée. Après tout, pourquoi pas, Rockstar sait parfaitement titiller nos âmes consuméristes.

Soit, Midnight club : Los Angeles perpétue l’amour des belles bagnoles à customiser dans tous les sens : du moindre élément de tuning à la déco, extérieure comme intérieure, la palette est riche et variée, libre à chacun de personnaliser sa caisse. Et qu’on ne s’y trompe pas : en dehors de son aspect cosmétique, le jeu n’a pas d’autre but que d’offrir les meilleures sensations de vitesse possibles. Les plus fluides, intenses, agressives, bien dynamisées par des effets de caméra percutants et autre boost irréalistes. Rien d’étonnant donc à ce que la ville ne privilégie par la contemplation bucolique ou la fidélité au réel. Sauf quelques lieux clés et facilement identifiables (Beverly Hills, Sunset Bld, le Walt Disney Concert Hall, Mulholland Drive, etc.), le Los Angeles de Midnight club n’est au final qu’un modèle réduit et aseptisé de la cité des anges : sa version clean, rutilante, colorée, idéalisée et formatée. Ses lignes droites interminables et ses highways tentaculaires lui servant uniquement de beau prétexte pour des courses poursuites à 180mph. Et à une vitesse pareille, on n’a pas le temps de s’attarder sur la vraisemblance ou la beauté d’un palmier. On fonce droit en se faufilant comme on peut au milieu du trafic, parfois avec les flics au cul, et on les connaît, ils sont tenaces. Heureusement le jeu est très permissif, un poteau ou un arbre font à peine ralentir ou dévier de la route, il faut au minimum un autre véhicule pour créer l’accident. Une conduite arcade donc, qui s’assume avec l’ambition d’un gameplay minimal mais bien rôdé et efficace : cela devient vite naturel de prendre un virage à une vitesse aussi affolante que l’aisance avec laquelle on le négocie. Dans sa catégorie, le jeu de Rockstar est la meilleure alternative à Need for speed, voire par certains aspects, au dernier Burnout. Facile à prendre à main avec sa conduite quasi intuitive, on s’y glisse avec l’aisance des meilleurs titres du genre.

Mais s’il est un jeu qu’évoque Midnight club, moins par sa conduite et son style que par son système et la promesse de sa carte, c’est Test drive unlimited. Le jeu d’Eden était un modèle de tourisme automobile en jeu vidéo ; faire le tour d’Hawaï prenait plusieurs heures, là où le L.A. de Rockstar doit en prendre la moitié d’une – fatalement, lorsqu’on les compare, peut-être à tort, on est déçu. Plus proche, TDU reprenait à son compte une évolution libre en sandbox avec des missions se débloquant au fur et à mesure aux quatre coins de la carte. Midnight club adopte la même architecture, héritée de l’épisode précédent (Midnight club 3, dont il est un décalque amélioré), en offrant de rouler dans L.A. pour y choisir les courses et autres défis selon leur niveau de difficulté ou la teneur du challenge. A priori le principe va de soi et semble laisser une latitude permettant d’avancer confortablement. Quand on découvre le fonctionnement du jeu sans être passé par le troisième épisode, on pense à TDU et sa gestion bien calibrée de la difficulté : un échelonnement idéal entre nos compétences et les victoires permettant d’obtenir de meilleurs véhicules, et ainsi d’évoluer vers des courses plus ardues. Hélas (ou pas), Midnight club opte à nouveau pour une I.A qui s’adapte en fonction du véhicule avec lequel on conduit. Commencent alors les problèmes : l’ordinateur prend souvent l’avantage en courant avec des véhicules plus puissants. Si bien qu’il devient très compliqué à battre, et le jeu épuisant, limite rageant, injuste.

Midnight club s’avère donc vite impardonnable si les capacités du véhicule sont mal gérées (pas évident). Les concurrents prennent une avance invraisemblable en démarrant à une vitesse inadmissible, rien ne les arrête, la moindre erreur est fatale. Au moins il y a du challenge, implacable d’accord, mais omniprésent car malgré ces conditions hyper exigeantes, il est toujours possible de finir premier. En théorie. Evidemment, quand il faut terminer en pole position trois fois d’affiler pour boucler un tournoi, la situation est stressante. Et fatalement, à force, ça lasse de recommencer la même course pendant deux heures – d’autant que les défis ne sont pas très variés et que le GPS, pour tenter des raccourcis, est plutôt laborieux. Midnight club peut ainsi s’avérer frustrant à passer de courses qu’on complète aisément, à d’autres où l’on rame vers la victoire – et les motos, plus rapides mais fragiles, ne donnent pas toujours l’avantage. D’autant plus dommage que le jeu se tient bien, que les sensations de vitesses sont euphorisantes, l’ambiance west-coast réussie, et la B.O. idéale, comme d’habitude : d’Ice Cube à Kavinsky, de SebastiAn à MGMT, en passant par un bon vieux Social Distortion, tous les genres y passent. La musique, c’est démocratique chez Rockstar. On n’est pas non plus contre le scénario, espèce de sous GTA avec des simili-mafieux partout et un héros au prénom étrangement slave, Nikolai, évocation inévitable de son cousin de la côte Est, Niko Belic. Demeure ce rééquilibrage qui tarit l’enthousiasme des débuts, et la ville qu’on aurait voulu plus hypnotique. Mais dans ces conditions, c’est vouloir autre chose, un nouveau jeu, une autre licence.