Il y a des jeux vidéo qui ne vous aiment pas. Vous avez beau leur trouver un certain charme, faire des efforts surhumains pour accepter leurs défauts, leurs exigences psychorigides, rien à faire : le moindre moment d’inattention et ils vous poignardent dans le dos, vous infligeant un Game Over que vous n’avez pas vraiment vu venir après quatre heures de labeur sans la moindre possibilité de sauvegarde. Accepter sa condition de joueur, c’est forcément assumer sa propre part de masochisme, sans se poser trop de questions. Du genre : qu’est-ce qui peut bien m’accrocher, sur plusieurs dizaines d’heures de jeu, à Makai kingdom ? C’est pourtant le tactical-RPG le plus métal qu’ait produit Nippon Ichi depuis que le studio s’est attelé à ce genre encore un peu obscur sous nos latitudes, et qui associe des combats stratégiques sur maps façon wargame à un système d’évolution des personnages emprunté aux jeux de rôle.

Désormais condamné à multiplier les tactical-RPG comme un messie sous pot-belge, Nippon Ichi ne s’embarrasse plus trop avec les questions d’emballage. Scénario improbable et quasi imbitable, héros impossible (un démon transformé en livre), interface aussi sexy qu’un écran de démarrage sous MS-DOS. Et des cut-scenes torchées à la va-vite un soir de cuite, prenant place sur un unique background à la richesse visuelle incroyable (un fond noir avec quelques points blanc, le cosmos, le vide intersidéral, tout ça…). Quant à l’humour ultra cucul qui a fait la gloire de Nippon Ichi, il n’apparaît désormais que par intermittences, à chaque apparition hilarante d’une jeune idiote essayant tant bien que mal de faire pousser un plant de maïs sur un lopin de terre flottant dans l’espace (on ne rit pas : il y a un rapport avec Dieu). Il faut pourtant persévérer, essayer de fermer les yeux, et s’efforcer d’apprécier à sa juste valeur une mécanique revêche, particulièrement complexe, mais si brillante qu’elle pourrait presque se suffire à elle-même.

Synthèse chaotique des deux derniers titres de Nippon Ichi, Disgaea : Hours of darkness (leur chef-d’oeuvre) et le controversé Phantom brave, Makai kingdom joue la carte de la réconciliation. Mission impossible : trop austère, le jeu de Nippon Ichi se révèle à l’usage franchement inamical, avec son gameplay rebelle, ses coups retors (donjons aléatoires traîtres, gestion de l’inventaire éreintante) et son level-design jean-foutre. Mais qui a dit qu’on était là pour déconner ? Jouer à Makai kingdom, c’est un boulot à plein temps. Assimiler le système de levelling, riche et tordu, apprivoiser les maps qui, depuis Phantom brave, ont abandonné la 3D isométrique à base de cases pour une « vraie » 3D plus ou moins lisible. Intégrer les nouveaux éléments : les portions de maps qui apparaissent soudainement, sous certaines conditions, et qui peuvent transformer une victoire à priori évidente en défaite aussi cinglante qu’humiliante ; la possibilité d’utiliser des véhicules et, surtout, des bâtiments, véritables forteresses dans lesquelles les unités peuvent se réfugier, et se laisser assiéger par des hordes de pingouins qui font « dood ».

Et c’est là que Makai kingdom devient vraiment sadique : pour créer de nouveaux bâtiments, plus puissants, et plus résistants, il faut impérativement sacrifier l’un de ses combattants. S’il possède suffisamment de « mana », votre pauvre petit esclave se voit littéralement atomisé et remplacé par un édifice flambant neuf. Evidemment, chaque sacrifié peut être ramené plus tard à la vie, avec quelques avantages, notamment la possibilité de « transmigrer » l’âme du défunt vers un nouveau corps-réceptacle, avec quelques bonus de caractéristiques à la clé. Bien sûr, il faudra tout reprendre à zéro. Mais entre un apprenti magicien vieillissant de niveau 40 et un tout jeune super-sorcier de niveau 1, le choix n’est pas forcément aussi évident qu’il n’y paraît au premier abord. Il n’y a donc pas vraiment de sentiment de perte dans Makai kingdom : les combattants, complètement dépersonnalisés, disparaissent, puis réapparaissent, ou sont remplacés par des recrues plus efficaces dans leur rôle de chair à canon. Juste une montagne de choix cornéliens, de tentatives foirées de se constituer l’escouade idéale, de sacrifices inutiles ou trop précipités, d’allers-retours constants dans des menus à la lisibilité douteuse.

Vous pensiez que les combats constituent forcément l’élément le plus important dans un tactical-RPG ? Erreur : dans Makai kingdom, et sans doute encore plus que dans les précédents jeux de Nippon Ichi, l’important, c’est de perdre son temps à prendre les mauvaises décisions. On ne s’improvise pas directeur des ressources humaines du jour au lendemain. Vous voilà donc prévenus : sans doute passablement énervé à l’idée de jouer les bouche-trous en attendant le prochain Disgaea, Makai kingdom ne consentira aucun effort pour vous assister dans ce sacerdoce. Il ne vous fera pas de cadeaux.