Warren Beatty, Tim Tobbins, George Clooney aujourd’hui : tradition toujours vivace et sympathique de la star de gauche made in Hollywood. Aujourd’hui, parce qu’il est évident que malgré le jazz en noir et blanc, malgré les fifties et l’épaisse fumée des cigarettes, Good night, and good luck, deuxième réalisation de Clooney après Confessions d’un homme dangereux, est une fiction de gauche (vieille tradition, donc) contemporaine. « Good night, and good luck » est l’envoi par lequel Ed Murrow termine son émission See it now, programmée dans les années 50 par CBS, alors jeune. Son principal fait d’armes : s’être attaqué au tout puissant Sénateur MacCarthy, en discréditant ses méthodes et les résultats de ses procès d’opinion. Le prix à payer : un bureau tout neuf, un joli placard, la tranche horaire désertée du dimanche après-midi. Gloire à l’homme, au professionnel intègre à l’allure droite, au combattant de la liberté. Bien sûr le film est plus intelligent que cela.

A commencer par l’usage du noir & blanc, d’emblée jugé fastoche effet d’époque (le jazz, les costards d’époque, tout ça). C’est au contraire la rigueur de son inactualité qui fait mouche, surtout lorsque s’affrontent par écrans interposés, en duplex, Murrow et MacCarthy. Ce dernier n’est pas joué par un acteur, c’est le vrai MacCarthy qui parle, ce sont les véritables images d’archives, des images face à d’autres. C’est mieux que le trucage type Forrest gump, qui faisait bavarder Tom Hanks avec Kennedy. Le noir & blanc, moins qu’un simple affaire de bon sens, relève ici d’un usage précis du média télé tel que le cinéma le remet en selle. La fiction (même s’il s’agit d’une true story) s’y trouve dédoublée en puissance, un pied dans l’archive, l’autre dans la reconstitution, la tête dans l’inactuel -qui est le vrai mot-clé du cinéma contemporain.

Belle opération pour un film qui joue sur une permanente réduction a minima. Son lieu, par exemple, se limite aux limites du plateau télé et des bureaux attenants. Ses dialogues, encore, sont souvent exemplaires de concision et s’articulent économiquement par un phrasé sec, net : resserrement général autour de la voix, la télé pour Clooney est d’abord affaire de sons, et de ce qu’on y dit. C’est une radio avec des visages, et il la filme comme telle, montrant les fils, les micros -outil roi-, la technique, la cuisine. Ce qui indique la télé ? Les images de MacCarthy, bien sûr, mais surtout Clooney lui-même, qui interprète le complice de Murrow, se cache sous un meuble quand l’émission démarre, et lui tapote le mollet à coups de stylo pour lui annoncer le compte à rebours : 3, 2, 1, antenne.

Au coeur du film, les balbutiements du direct, horizon idéal du cinéma, c’est Bazin qui le disait. Good night, and good luck témoigne donc d’une foi dans le cinéma autant qu’une foi rossellinnienne dans la télévision elle-même. Les personnages le disent, y croient, à l’avènement d’une démocratie cathodique. Après tout, Clooney est le fils d’un présentateur de JT devenu candidat au sénat. Mais nulle naïveté ici, le film s’ouvre et se clos par un discours de Murrow, ressorti de son placard pour être honoré par la profession, et dont le message est déjà pessimiste sur l’avenir du média tévé. Bien sûr il n’est question, dans Good night, and good luck, que de Fox News.