On se demande parfois si le support CD-Rom a finalement un quelconque intérêt en matière de production multimédia. Honnêtement, outre le fait qu’il s’agisse par définition d’un support fermé, la grande majorité des réalisations récentes font peine à voir. Impersonnelles, péniblement objectives et niaisement didactiques, les galettes pleuvent et rabâchent sec. Les mêmes thèmes antédiluviens, les mêmes interfaces simplistes… Evidemment, la création personnelle et artistique n’est pas sans risque, et ce n’est pas a priori dans cette optique que l’on touchera au final ce gros tâcheron de grand public. Ainsi, il faut saluer les initiatives de quelques éditeurs qui parient encore aujourd’hui, même par à-coups, sur l’innovation, la qualité et la subjectivité. Syrinx n’en est pas à sa première réussite de ce point de vue, mais avec Le Théâtre de minuit, les doutes n’ont plus lieu d’être : le CD-Rom, au même titre qu’un livre ou qu’un film, est parfois un support remarquable.

Pour Murielle Lefèvre, déjà responsable du Livre de Lulu, la réalisation multimédia est avant tout une mise en scène. Ici, en l’occurrence, celle des œuvres de l’artiste contemporaine tchèque Kveta Pacovskà, illustratrice pour enfants. C’est l’univers de son livre éponyme que Murielle Lefèvre met en mouvement : poupées, clowns, musiciens, ballerines, jokers, reines et rois composent une galerie de tableaux animés dans un monde en fête, un carnaval de formes naïves et d’illustrations enjouées et ultra colorées (on parle d’ailleurs du « rouge Pacovskà »). Seul indice donné à l’utilisateur, la forme du curseur qui change au gré des ambiances et des divers ateliers. Car il ne s’agit pas d’être passif. Guidé par la lune qui réveille tour à tour les protagonistes, vous êtes l’élément clé qui insufflez la vie à tout ce petit monde. En réalité, on y met son grain de sel en cliquant sur les personnages, dans le décor, en peignant soi-même les tableaux ou en caressant simplement des parties de la scène, comme la crinière d’un lion par exemple. Là, les objets s’animent et les haut-parleurs s’affolent. Oubliez le sens et la logique, Le Théâtre de minuit carbure à l’imagination et à l’instinct. Au fil des tableaux, aucun temps mort, aucun écran noir, bref, aucun répit n’est laissé à l’utilisateur qui baigne constamment dans cette atmosphère enivrante de cirque slave.
La musique accompagne chacune des scènes et joue tout au long du parcours avec l’utilisateur (vous composez souvent vos propres symphonies) et les personnages. On la doit à Michiru Oshima, artiste japonaise inspirée qui l’a composée à distance (de Tokyo) à partir d’indications de couleurs, de rythme et d’interactivité. Le résultat colle parfaitement aux visuels et aux animations. Et accentue plus encore cette impression de nostalgie joyeuse qui ressort du CD-Rom.

C’est probablement parce que Le Théâtre de minuit ne respecte aucune règle établie, aucun schéma classique qu’il réussit à toucher la curiosité de l’utilisateur. Une nouvelle démarche ludo-éducative à suivre… « Il s’agissait d’insuffler la vie au livre de Kveta Pacovskà » nous dit Murielle Lefèvre. L’objectif est atteint. Pour seulement 199 F, impossible de se priver de ce CD-Rom à haute teneur émotionnelle. Une véritable œuvre d’art à l’attention, non pas du grand public, mais de toutes les tranches d’âge. Nuance.