Après Watch_Dogs et Assassin’s Creed Unity, on ne savait plus vraiment si, cette année, Ubisoft allait tout foirer. Mais Far Cry, peut-être parce qu’il n’est pas né à l’origine du vaisseau amiral de Montréal, semble échapper à la malédiction.

Après un troisième épisode plébiscité partout, cap sur le Tibet, à moins que ce soit la Birmanie, en tout cas aux pieds de l’Himalaya. Au démontage cinglant du Yolo sous les tropiques, le jeu laisse place cette fois à une parodie de guerre civile, où sur fond de décors montagneux et de trip post beatnik, s’affrontent guérilleros engagés et dictateur mégalo. Si, comme sur Far Cry 3, le cadre vaut moins pour son sérieux que comme prétexte à un cynisme moqueur aussi tordant que crétin (un point pour la VF trashant les frasques de Depardieu au Kazakhstan), il est surtout (encore une fois), un formidable support pour son open world. Cette grande obsession d’Ubisoft.

Au premier coup d’oeil, pourtant, rien ne pourrait presque différencier le jeu de ceux envoyés encore récemment par le studio. Devant une carte saturée de taches, de missions à remplir pour éliminer l’armée ennemi, récupérer un point de contrôle, s’infiltrer dans une forteresse, détourner un convoi, le joueur est pris de vertige. Trop de choses à faire, de missions annexes, d’objets à collecter (l’argent s’amasse encore avec une facilité déconcertante), sans parler des parties de chasse ou des balades en bagnole incroyablement agréable à prendre en mains. Parfois, devant la map, on en vient presque à chercher son objectif principal, perdu dans une fourmilière de pictogrammes. Pourtant, contrairement à Watch_Dogs ou Unity, le joueur n’est jamais perturbé par cette peur du vide qui conduit les jeux Ubi. Parce qu’il suffit de s’éloigner des routes pour aller flâner, parce que le hub n’est pas matraqué de sollicitations intempestives qui interpellent le joueur comme le poissonnier un jour de marché, Far Cry 4 réussit à être l’open world idéal selon Ubi. Celui de la liberté et du plein emploi qui sans profondeur contient toutefois assez d’idées et d’espace pour tenir en haleine vingt heures durant, sans lasser – une gageur face aux bourratifs Watch_Dogs et Assassin’s Creed.

Le plaisir de jeu est ainsi constant et fluide, soutenu à la fois par la maitrise d’une physique ni trop souple ni trop réaliste mais toujours équilibrée. Et par des environnements, parfois sublimes (composition, végétation, lumière…), dont l’architecture laisse une jolie palette d’embranchements tactiques : en terme de stealth le jeu tient la dragée haute aux tenants du genre. Tout ici semble presque plus bichonné, cohérent, réfléchi, que dans les productions habituelles d’Ubisoft. Le jeu suit peut-être simplement l’esprit de la licence, il a un vrai ton, des dialogues baddass bien sentis, une structure narrative qui encadre solidement un parcours pourtant ouvert à la bifurcation constante (le récit lui-même obligeant à faire des choix modifiant la suite de l’histoire). L’illusion du monde ouvert et organique n’est jamais parfaite, mais, n’empêche, régulièrement le jeu sait prendre par surprise, créant aléatoirement des incidents, entre factions ennemis ou avec la faune (à la fois allié, danger ou ressources), qui donnent à cet univers sa part d’impondérables. Rien de sidérant, mais encore une fois assez pour ne jamais tirer à la ligne, masquer la redondance des actions, sans compter des interludes psychédéliques s’imposant parmi les meilleurs moments du jeu : mémorable attaque hallucinée dans un bunker où, sur fond de techno birmane, on se dit que la BO signée Cliff Martinez (Drive, Spring Breakers et la plupart des films de Steven Soderbergh) est le signe d’un jeu qui a effectivement certaines ambitions et sait se donner une couleur.

Oubliez les hommes de l’ombre encapuchonnés, le game design hyperactif d’Ubi a trouvé avec Far Cry le meilleur moyen de compenser sa volonté insatiable de maintenir le joueur en éveil. Sur les routes du Keirat, son pays imaginaire, on vadrouille à n’en plus finir, sans trop savoir pourquoi, mais ça n’a pas d’importance, c’est le ride qui compte.

 

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