L’ère des dinosaures

 

Chaque année l’E3 dresse les nouvelles tendances du jeu vidéo. L’année 2013 était l’une des plus décisives depuis 2006. La rédaction de Chro ne pouvait passer à côté et dresse ainsi son bilan en marge de tout ce qui a été dit, et lu.

 

Récemment, Steven Spielberg et George Lucas ont fait les choux gras du cinéphile de base après avoir envoyé des prévisions apocalyptiques à destination d’Hollywood. Dans leur boule de cristal, la fin annoncée du modèle actuel, voyant une inflation toujours plus folle des budgets, financés pas des studios n’ayant qu’un seul Dieu, le marketing. Quasi simultanément, Sony et Microsoft présentaient à l’E3 les jeux à venir sur leurs nouvelles machines, les PlayStation 4 et Xbox One. Les premiers auraient pu tout aussi bien adapter leur discours à ce grand rendez-vous annuel du jeu vidéo qui, en 2013, franchissait un cap. Le cap de ces consoles de nouvelle génération, next gen tant attendue par une industrie apparemment lasse de la génération actuelle, comme si la technologie était toujours un frein ; une drôle d’analyse face à un marché du jeu vidéo indépendant et souvent lo-fi qui ne s’est jamais aussi bien porté.

 

Microsoft et Sony se sont ainsi battus. le premier surtout, pour sortir l’artillerie lourde avec force de blockbusters next gen clouant sur-place les convives : Metal Gear Solid 5, Titanfall, The Witcher 3, The Division, The Crew, Infamous Second Son, Destiny, Forza 5, on en passe et des jeux qui crèvent le budget, les développeurs, ou constructeurs, abattant des millions de dollars sur la table. Tout ça est bien joli. Et de démo sans ou avec gameplay à la simple cinématique servant de carte de visite (The Order : 1886 sur PS4, dont on ne sait rien), le petit milieu du jeu vidéo se félicite. Il regagne confiance, nous dit-on, dans un marché devenu dépressif qui n’en pouvait plus de voir du changement arriver. Sauf qu’on s’étonne un peu : comment ce marché peut-il se féliciter d’annoncer uniquement d’aussi lourdes machines à produire ? Les échecs dans le jeu vidéo peuvent être plus impitoyables que ceux du cinéma. Plusieurs de ces blockbusters qui ne répondent pas aux exigences de vente, et ce sont des studios qu’on ferme. L’appétit des consoles next gen semble rejouer, en pire, celui de la génération précédente, qui a vu une logique toujours plus inflationniste, poussant d’une part à une uniformisation plus grande des jeux ; de l’autre à voir le marché indé se développer en tournant le dos aux consoles – car qu’on ne s’y trompe pas, les meilleures pièces du genre ne sont pas sur Xbox live ou Playstation Network, mais sur Steam, ou ailleurs.

 

La faible place laissée à ces indépendants chez les grands constructeurs (un peu moins chez Sony qui a toujours eu une politique de création plus dynamique et aventurière), dit surtout l’absence de jeux intermédiaires. Plus que jamais, le gap s’est creusé entre la production multi millionnaire, et le jeu indépendant. Au milieu, plus rien. Ou bien il faut chercher pour trouver éventuellement un vague Crimson Dragon, héritier d’un Panzer Dragoon autrefois annoncé sur Xbox 360 et ressuscité sur XBO. Cette quasi mise à mort d’une production intermédiaire est un peu triste. Oui les blockbusters sont parfois sexy et créatifs comme le sont aussi les titres indépendants aux concepts souvent plus allumés. Oui les jeux PS4 ou XBO donnent envie car il faudrait être blasé pour ne pas rêver devant MGS 5. Mais la voie médiane, cette voie heureuse que les studios japonais avaient encore su si bien sillonner avec la PS2, elle est définitivement morte. Avec l’inflation des coûts de développement, le jeu vidéo s’est lancé tête baissée dans une course à l’échalote technologique qui a comprimé les possibilités d’innovation ; ou bien pour les relayer sur des projets plus mineurs et clairement définis comme annexes aux grosses productions. C’est un peu comme s’il n’y avait plus que des best seller à tête de gondole, et des petites éditions plus ou moins savantes. Si ces dernières ne cessent de gagner en qualité, c’est au détriment de tout un espace de créativité jouissant d’une visibilité plus importante sur console.

 

Spielberg et Lucas n’ont peut-être pas tort pour les films (encore que la réalité ne leur donne pas forcément raison), mais ils voient surtout juste pour le jeu vidéo. Enfermé dans une surenchère délirante qui voudrait lutter contre la crise en s’aveuglant dans la dépense, l’industrie spécule, envoyant des signaux de bonne santé en super HD pour mieux nier la maladie et filer son coup d’électrochocs au patient. Cette évolution et transformation change moins le paradigme du jeu vidéo (toujours aussi varié mais sur plus de plateformes) que celui des consoles. Il est désormais bel et bien enterrée l’époque du trésor caché dégotté en import. A l’heure d’un marché de plus en plus contrôlé et verrouillé (sans parler de la mondialisation numérique), il n’a d’ailleurs plus de sens. Sur PS4 ou XBO, tout doit être désormais production triple AAA, comme si le jeu vidéo dressait malgré lui un parallèle avec une économie qu’on sait aujourd’hui plus angoissée que jamais.

 

 

Xbox One : All your games are belong to us

 

Chaque année les grands constructeurs passent avec l’E3 et ses conférences le grand oral auprès du public et des développeurs. 2013 aura été impitoyable pour Microsoft qui s’est bien pris les pieds dans son propre tapis.

 

C’est rien de dire que l’image de Microsoft en a pris un coup et ressortira forcément un peu écornée vis à vis des joueurs après une succession d’annonces pour le moins catastrophiques et relatives au fonctionnement de la Xbox One. Écornée, en tout cas pour ceux qui se souviendront de l’invraisemblable feuilleton que Microsoft a provoqué avec cet E3 2013.

 

Acte 1, là où rien ne ne change : Kinect II, le successeur du gadget attrape-poussière sur cette génération – à égalité avec la Wii Balance Board-, devra obligatoirement être connecté et servira d’interface principale pour regarder la TV et alterner entre les différentes fonctions, console de jeu, vidéo à la demande, skype etc. Ce qui pourrait être vu comme l’accession à un futurisme façon Minority Report prend des airs de cauchemar orwellien en plein scandale de surveillance informatique totale par les USA. Sur cette contrainte, le géant de l’informatique garde le cap. On attend les sex tape espions fuitant des serveurs de Microsoft.

 

Acte II, là où le drame a commencé : engagé aveuglément dans une opération de contrôle absurde, Microsoft a imaginé que sa Xbox One soit connectée au moins une fois par jour à Internet sous peine de se voir interdire l’accès à sa ludothèque. Si évidemment, l’accès au haut débit est plus ou moins partout autour de nous un bien aussi vital que le gaz ou l’électricité en 2013, on imagine aussi le principe de double peine s’abattre sur qui aurait eu le malheur de voir sa box tomber en rade: pas de bras, pas de chocolat. L’annonce a eu inévitablement un effet tonitruant auprès des journalistes et des joueurs, obligeant ainsi, quelques jours après l’E3,  Microsoft a complètement changer sa politique et abandonner, purement et simplement, cette obligation. Du jamais vu. Mais l’histoire n’est pas finie.

 

Acte III, là où l’histoire s’aggrave : si l’intrigue avait commencé bien en amont, Microsoft a mené une attaque frontale au principe de propriété des jeux et à son corollaire, le droit à les revendre, puisque le constructeur a voulu que l’occasion soit soumise à un concept fumeux d’une taxe prélevée sur toute revente dans des boutiques “partenaires” et ne trouver qu’une seule fois un nouvel acquéreur (qu’il s’agisse d’un don ou d’une revente). En compensation, le système prévoit, enfin prévoyait, un partage possible des jeux mais seulement avec des contacts affichant une ancienneté de plus de 30 jours. Car en même temps que Microsoft renonçait à la connexion obligatoire, il abandonnait sa politique de DRM. Face à l’hydre du public, Redmond a cédé.

 

Acte IV, là où tombe le coup de grâce : à ces joyeusetés s’ajoutaient l’absence de rétro-compatibilité hardware non seulement des jeux et des manettes (a priori maintenue). Mais aussi le zonage systématique des titres (abandonné, alors qu’il était souvent pratiqué sur 360). On comprendra que devant tant de mauvaises nouvelles, Microsoft se soit pris une grosse douche froide et que l’accueil réservée à la Xbox One au sortir de cet E3 fut désastreux. Mais face un tel festival d’annonces qu’on qualifiera poliment de foutage de gueule intégral, Redmond a fait preuve de pragmatisme et écouté ceux à qui il veut vendre ses consoles. Car dans l’art d’humilier ses clients et de réussir le prodige de les faire revenir plus nombreux, n’est pas Apple qui veut. Cela aurait été un comble de lui ressembler.

 

Morale de l’histoire : tout le monde peut se tromper. Et personne ne veut des DRM.

 

 

E3 2013, la sélection de Chro

 

Chaque année une nouvelle pluie de jeux s’abat sur l’E3. En 2013 l’édition était charnière avec l’arrivée des nouvelles consoles. Petite sélection impitoyablement subjective de la rédaction.

 

Metal Gear Solid 5 : The Phantom Pain

(Konami)

XBO, X360, PS3, PS4

Sortie : 2014

 

La vidéo d’ouverture de la conférence Microsoft n’était pas une surprise. On connaissait l’existence de Metal Gear Solid 5, et il s’était même déjà montré lors de deux bandes annonces fortement stylées. Mais il ne s’était pas dévoilé aussi longuement et avec des images de jeu. Le bébé dont Hideo Kojima n’arrive pas à se séparer fait ainsi son retour, et il a une classe folle. En quelques minutes, la foi dans une licence dont était un peu blasé, à force de fausses promesses d’abandon et autres itérations, est redevenue plus vivace que jamais. Beau à tomber par terre, le trailer s’est ouvert sur une courte promenade à cheval dans un désert afghan à ringardiser illico Red Dead Redemption. Ivresse de la profondeur de champ et réalisme sidérant des situations, subtilité déconcertante des effets de lumières, climatiques ou de l’animation, en quelques secondes le palier vers les nouvelles consoles était franchi et Microsoft (ou Sony le jeu est multi-plateforme) avait gagné la partie. Entre la promesse d’un monde ouvert qui semble systématiser le rapport à l’espace de MGS 3 (le meilleur épisode), et une ambition narrative plus noir et profonde (le spectre obsédant des enfants soldats qui hante la licence a enfin un visage), MGS 5 s’est montré avec une efficacité redoutable. Et c’est bien tout ce qui compte : donner envie, c’est à ça que sert l’E3.

 

Xenoform

(Monolith Studio / Nintendo)

Nintendo Wii U

Sortie : 2014

 

Seule exception repérée lors d’une présentation Nintendo plutôt morose, cette suite à Xenoblade Chronicles permettra peut être à la Wii U de connaître son premier J-RPG majeur. Avec moins de 2 minutes d’extraits à se mettre sous la dent – même son nom semble encore sous scellé – difficile de savoir quelles innovations nous réserve le père de Xenogear (un des plus grands artisans du genre). On se contentera donc des images, superbes, de son nouvel univers en open-world, aux paysages aussi exotiques qu’épurés, et du design impressionnant de ses mechas et autres improbables créatures qui le peuplent. C’est bien peu, même si une question angoissée en émerge : ce nouveau Xenoform prendra-t-il encore plus la voie d’un Monster Hunter (la recette la plus cotée au Japon, actuellement), que son aîné ? Wait and see.

 

Sonic Lost World

(Sega / Nintendo)

Nintendo 3DS et Wii U

Sortie : 2014

 

Il est certes bien loin le temps où la mascotte de Sega faisait battre le coeur des joueurs, mais l’on gardera quand même un œil sur Sonic Lost World derrière tous les monstres annoncés sur les nouvelles machines. Pourquoi ? Parce que d’une part, il y a toujours cette exigence de vitesse propre à Sonic, qui ici déforme le principe de base de Mario Galaxy et son atlas de planètes à visiter, pour créer un espace non plus sphérique mais cylindrique qui augure de belles possibilités. Mais aussi parce que de même que Sonic Generations disait quelque chose sur le passage tragique de Sonic à la modernité, Lost World est un rappel à un certain passé. D’abord avec Sonic X-treme, épisode maudit sur Saturn dont il reprend quelque part les promesses, et puis ce lien avec Mario Galaxy, qui lui même s’inscrivait dans le prolongement du fabuleux dernier niveau de Sonic Adventure 2 sur Dreamcast. Peut-être une manière, au final, de boucler la boucle du hérisson.

 

Quantum Break

(Remedy / Microsoft Studios)

XBO

Sortie : 2014

 

Autre demi-surprise de cet E3 puisqu’il avait déjà été annoncé lors d’une première conférence où Microsoft présentait sa console, Quantum Break suit la nouvelle tendance des jeux à grosses ambitions narratives. Après Alan Wake, Remedy et son pilote Sam Lake, scénariste pour le studio depuis Max Payne, imaginent un nouveau concept pour la Xbox One. D’abord très flou, celui-ci s’est un peu mieux dévoilé lors de cet E3 : à la fois jeu et série, deux en un, Quantum Break se veut comme un récit interactif géant, où chaque élément vu dans l’un (la partie « filmée ») pourra être influencé pas l’autre (la partie « jouée »), créant ainsi un gigantesque arbre narratif au mille et un embranchements. Théorisant l’art du storytelling par un jeu permanent sur la manipulation du temps, Quantum Break prend peut-être le risque d’être un nouvel Heavy Rain (jusque dans sa démonstration de force technologique), mais avec une allure et une volonté qui promet d’en clouer plus d’un. Il est surtout la nouvelle preuve que désormais le jeu vidéo ne regarde plus vers le cinéma, mais les séries télé.

 

Titanfall

(Respawn Entertainment)

PC, X360, XBO

Sortie : 2014

 

Le salut du FPS viendra-t-il des créateurs de Call of Duty ? La question peut se poser honnêtement devant les premières séquences de Titanfall, exclusivité Microsoft. Après avoir claqué la porte d’Activision pour fonder Respawn, la paire Zampella/West vient défier l’hégémonie de son ancien blockbuster, avec un challenger plus innovant qu’il n’y parait. Comment ? En éclatant plusieurs frontières de genre comme se réapproprier la culture nippone du mecha, ou la croiser avec le shooter en arène à l’occidentale. Soit un gameplay qui se fait l’amalgame entre action tactique (la partie fantassin) et simulation mécanique (la partie robot). Rien de vraiment neuf en soi (Tribes ou MechWarrior sont passés par là). Mais le jeu semble si obnubilé par l’hybridation parfaite et nerveuse, qu’elle pourrait peut être faire exception dans un ring de FPS de plus en plus normalisés.

 

Take on Mars

(Bohemia Interactive Studios)

PC

Sortie : juillet 2013

 

Au cœur du très beau Mission to Mars de Brian de Palma scintillait ce rêve de gosse d’un jour devenir cosmonaute. Annoncé à l’E3 cette année, Take on Mars matérialise encore plus fort ce rêve. Pure simulation au réalisme maniaque, le jeu de Bohemia invite à prendre les commandes de petits véhicules d’exploration terrestre pour partir à l’aventure de la planète rouge. Pourquoi faire ? Se lancer dans une série de missions, écrites ou libres, et rejouer en puriste la conquête spatiale dans tout ce qu’elle a de plus scientifique et concrète (analyse de minéraux, photographies de l’environnement, gestion du véhicule, tout ça en temps réel). Mais cette fidélité délirante, grande promesse d’une solitude grisante et inédite autant que pure découverte (qui peut se targuer d’avoir exploré Mars ?), n’est pas le seul argument du jeu. Entièrement ouvert, le code pourra être repris et servir à une révision complète et donc entièrement personnalisable du jeu. On imagine ainsi les mods les plus fous, allant d’un DayZ de l’espace (le studio est aussi a l’origine du MMO zombie phénomène), à pourquoi pas un remake de Mission to Mars, en jeu.

 

Dark Souls II

(From Software – Namco Bandaï)

PC, PS3, X360

Sortie : Mars 2014

 

On n’a très peur de ne plus mourir. Voilà sommairement l’inquiétude qui saisie la frange des core gamers qui unanimement dénoncent sur cette génération de machine un affaiblissement des niveaux de difficulté et pour qui la séries des « souls » fait désormais office de sanctuaire. A l’aube de son troisième épisode, Dark Souls II, ce bastion du « game over » serait-il menacé ? Shibuya, son co-réalisateur se veut rassurant. Malgré la popularité ascendante de la série, pas de mode easy en vue, tout au plus une facilité d’accès accentuée pour les première heures de jeux à l’adresse des nouveaux arrivants. Pour le reste, le nouveau moteur graphique tire pleinement parti de nos machines désormais vieillissantes et sublime une direction artistique glauque et oppressante. Les mécanismes de jeu principaux sont conservés (avec tout de même une troisième arme équipable à la volée) et le monde de Dark Soul II promet un monde deux fois plus long à parcourir. Enfin, les premiers retours de la démo présentés sont unanimes : le jeu est dur, très dur. Viva la muerte !

 

The Witcher 3 : Traque sauvage

(CD Projekt)

PC, PS4, XBO

Sortie : 2014

 

Par son approche expérimentale et mature du RPG fantasy, The Witcher est devenue, en seulement deux épisodes, une saga qui compte. C’est peu dire si l’on attend impatiemment ce troisième volet qui viendra, espérons, parachever une grande œuvre en gestation. Nouvelles chroniques de l’ensorceleur Geralt de Riv, ce troisième tome, entièrement dédié au mal-être de son héros mutant et paria, est annoncé comme le plus intimiste des trois. Paradoxalement, le jeu signe aussi le passage de la saga au monde ouvert. Son créateur, le studio polonais CD Projekt (dont on attend aussi impatiemment son autre RPG futuriste Cyberpunk 2077), nous promet un bac à sable bien plus grand que celui de Skyrim. Reste à espérer que celui-ci ne dilue pas son talent d’écriture pour gagner un bête record et succomber au piège du remplissage pour justifier sa centaine d’heures de jeu. Première bonne nouvelle : sa direction artistique, dont on a pu voir quelques pans de décors, et ses combats sont à tomber.