Au jeu de qui a la plus grosse, Crysis a longtemps permis d’exhiber sa plus belle carte graphique devant les potes. Pour son troisième épisode, la série de Crytek n’allait pas démentir sa réputation et s’impose, une fois encore (sur PC), comme le maître étalon du jeu vidéo d’un point de vue visuel. Et après ? A l’origine FPS pas con offrant une jolie liberté d’action et de mouvement, Crysis revient avec la même ambition de créer un monde où défourailler librement de l’ennemi dans des décors qui tuent la rétine. Du moins, en théorie. Si l’univers post apocalyptique, dans un New York en ruines enseveli par la nature, offre un paysage graphiquement luxueux et intéressant, quoiqu’un peu générique, Crysis 3 souffre d’un problème plus grave et imputable à on ne sait quoi, sinon peut-être un dilemme propre àl’époque. Le souci n’est pas d’ordre narratif, la série n’a jamais brillé par ses scénarios et l’épisode enfonce le clou avec une histoire aussi impossible que balisée. Passe donc la SF balourde, avec ses aliens standardisés et sa milice paramilitaire aux ambitions mégalo, là où le jeu coince, sérieux, c’est sur l’essentiel : l’action et ses mécaniques.

 

En jouant dès le début de l’aventure un personnage (rescapé des épisodes précédents) dotéd’une armure permettant de switcher à loisirs entre invulnérabilité et invisibilité (momentanées mais vite rechargeables), Crytek s’est tiré une balle dans le pied. Tout son système de jeu, reposant autant sur la discrétion que l’action, l’ouverture et la taille des niveaux où se faufiler librement, entre séance de tir à l’arc et machine gun, est pratiquement anéanti. Ruiné par l’hyper puissance d’un personnage quasi invulnérable, Crysis 3 doit presque être joué contre lui-même, sans abuser des pouvoirs facilitant un peu trop l’expérience. Alors seulement le FPS se laisse cueillir comme un blockbuster sans âme mais correct, où passer son temps à scanner patiemment ses ennemis, puis les abattre, peinard, sans trop de contraintes, dans des environnements suffisamment beaux pour avoir envie d’aller jusqu’au bout. Pas facile malgré tout de faire le deuil d’un tel manque d’équilibre de jeu, voire du concept d’origine, la liberté d’explorer les décors étant atténuée par une aventure finalement assez linéaire qui, pour couronner le tout, se boucle en une poignée d’heures maxi.

 

Ventre mou du FPS moderne, avec ses gentilles scènes spectaculaires et son gentil sidekick qui ne sert àrien, mais vraiment à rien, Crysis 3 tient de la semi catastrophe industrielle. Il suit poliment la tendance générale du jeu vidéo, toujours la même, qui depuis quelques années prend un peu trop son public pour un con, pressé d’aller vite, sans se prendre la tête, plus par compromis sinon préjugé démocratique qu’autre chose. Loin de vouloir faire du Call of Duty, Crytek s’est malgré tout laissé piéger, tièdement, dans un système faible en challenge et sans grande conviction dans sa mise en scène. Ni FPS sexy (malgré sa plastique), ni FPS gamer (les plus malins peuvent finir le jeu invisible d’un bout à l’autre sans tuer personne), Crysis 3 s’est mis tout seul sur une voie de garage. Dans son rétroviseur, on voit se refléter l’histoire d’une genre déjà passé en espérant qu’il ne soit pas son avenir ; tout en sachant qu’on risque bien d’en prendre encore pour dix ans, des jeux comme ça.