Le Western est rare dans le jeu vidéo, si bien qu’on peut légitimement se demander si un genre dépassé au cinéma le serait forcément dans un autre médium. Y aurait-il eu plus de Cowboy dans les jeux vidéo s’ils avaient existé dans les années 1950 ? Possible. Un genre, finalement, dépend peut-être plus de son époque que des supports où il se développe. Toujours est-il que le Western dans les jeux vidéo est voué au même traitement qu’au cinéma : à l’introspection, au clin d’œil, à l’auto-référence. C’est le propre des genres passés de n’exister que par autophagie, figés dans leurs codes, incapables de se réinventer si ce n’est en puisant dans leur propre histoire, comme dans Django Unchained ou Red Dead Redemption. Le hit de Rockstar avait d’ailleurs pris à la lettre ce principe d’un genre méta et prisonnier de lui-même, se faisant un devoir de n’en omettre aucun aspect en brassant le plus large possible, des films d’Anthony Mann à Deadwood en passant par les westerns spaghetti. D’où l’incroyable richesse de son gameplay qui, oscillant entre la variété de ses décors et de ses situations, en fait une véritable œuvre somme.

 

La saga Call of Juarez, loin des prétentions aussi bien artistiques qu’économiques de Red Dead Redemption, n’échappe pas, elle non-plus, au méta. C’est même le principe narratif de Gunslinger, le dernier épisode en date, qui s’ouvre sur une séquence en dessins, visuellement sympathique bien qu’un peu cheap, où un gringo taciturne pénètre un saloon un soir de l’année 1910. Les quelques clients présents reconnaissent Silas Greaves, célèbre bounty hunter, et ne tardent pas à lui poser des questions sur ses exploits à propos desquels il se fera un plaisir de livrer sa version des faits. Chaque chapitre du jeu est ainsi un épisode de sa vie qu’il raconte de sa voix guttural et de son accent redneck, revisitant l’Histoire, se ponctuant tous sur une rencontre avec une légende de l’Ouest qui fera office de Boss : Jesse James, Billy The Kid, Pat Garrett, Les Daltons, etc. On se croirait presque dans une version dark et plus burnée de Lucky Luke.

 

Ce qui fonctionne d’emblée tient à ce plaisir assez rudimentaire, un brin snob et plutôt fétichiste, de se lancer dans des phases de shoot FPS très arcades en troquant les mégas lasers ou les AKA 47 par des bonnes vielles pétoires rouillées et bruyantes. Le jeu est traversé de cette nostalgie abstraite, ce goût du vieillot, de l’action à l’ancienne. Avec cet épisode, le studio polonais Techland ne vise pas franchement l’inventivité et mise surtout sur cette ambiance Far West dont il n’épargne aucun passage obligé (saloons, trains, mines etc.), la jouant profil bas, prenant peu de risques, tentant de rester efficace. Car Call of Juarez est une série qui revient de loin, avec un drôle de parcours. L’épisode précédent par exemple, Cartel, se déroulait à notre époque et renonçait à sa seule spécificité intéressante : le Western. Ce choix absurde n’aurait pas été si grave si le jeu ne s’était pas révélé par ailleurs totalement foireux. D’où un retour aux sources pur et dur avec Gunslinger mais par la petite porte, avec la modestie propre aux jeux dématérialisés : mode histoire relativement court, graphismes en cell shading passables et gameplay classique.

 

Mais là où le jeu se démarque, c’est part la narration de Silas qui ponctue et rythme les parties, indiquant parfois où aller, avertissant d’un danger voire proposant des versions alternatives de l’histoire. Ainsi Silas cafouille, se ravise, est interrompu (il fait même une pause pipi), tout ceci influant directement sur le parcours. Au début, on croit à une idée gadget pour briser la monotonie mais ce procédé prend de l’ampleur au fur et à mesure que l’aventure avance. En racontant ses périples, Silas picole pas mal et finit par divaguer. L’histoire devient alors carrément surréaliste. Son auditoire, et nous avec, commençons à douter de l’authenticité de ce qu’il raconte. Serions-nous dans la tête d’un fou ? Cette mise en abîme donne une dimension inattendue au jeu, avec quelques passages mémorables comme celui assez déroutant où l’ivresse alcoolisée de Silas, alors en pleine digression, se mêle à l’ivresse sanglante du joueur. C’est là que Gunslinger parvient à dépasser le stade de FPS honnête et tributaire de son décor, quand à l’humilité de son ambition il allie les (rares) fulgurances de son récit, renouant un peu avec l’esprit et la grâce des vieux Westerns de série B.