Chez Gearbox, on a une culture de la licence. Qu’elle soit tierce (Halo, Half-Life, Counter-Strike) ou maison (Brothers in Arms), on la bichonne, on la polit, mais on ne la dénature jamais (grand dieu non). Un crédo obsessif qui a couté cher à Duke Nukem Forever, sans doute trop rétrograde pour son temps, vieilli par tant de longues années de développement tandis que la planète jeu vidéo avançait. Alors chez Gearbox, on a un peu retenu la leçon, et on compte bien faire peau neuve. Avec Borderlands, dont le second épisode avait un arrière-goût de 1.5 paresseux, les texans jouent leur va-tout dans un épisode prologue qui nous conte les origines du truculent et mégalomaniaque Handsome Jack… sur la Lune.

Exit Pandore l’aride, bienvenue sur la glaciale Elpis. Habile changement de décorum au service d’un renouveau qui s’est fait attendre. Les intentions sont là : rendre le gameplay plus flottant en lui adjoignant une dimension verticale à la mode (Halo, Destiny, Call of Duty Advanced Warfare). Ainsi Borderlands se découvre tardivement une altitude de jeu qui l’autorise enfin à respirer. Auparavant forcé de se frayer des chemins improbables dans un level-design en permanence étriqué, surpeuplé, le joueur profite dorénavant d’une flexibilité d’exploration nouvelle qui lui permet de s’approprier les environnements toujours foisonnants de la série.

Gearbox n’entend pourtant pas lui laisser carte blanche. Au nom d’un réalisme impromptu qui ne sied guère au cartoon Borderlands, l’auscultation en recherche du sacro-saint loot se voit régulièrement entravée par une barre d’oxygène déplétive à re-remplir, façon astronaute flingueur. Agaçante plus qu’immersive ou crédible, l’innovation saccade le savant flot Shoot&Loot en spirale frénétique auquel on s’était habitué. Puis plus les heures passent, plus The Pre-Sequel sabote la formule originale avec ses petites touches de renouveau exécutées tristement. Derrière chaque bonne idée, un contrecoup désespérant, encore et encore.

L’ample verticalité laisse alors la place à la platitude du level-design aérien, le réalisme lunaire bride les effets visuels, le loot plus avare casse la montée en puissance, les boss-fights repeuplés ajoutent d’interminables longueurs, etc. Pédale douce, même, sur l’impertinence et le mordant dans l’écriture des personnages. A la source de ces maux, un art du compromis que Gearbox ne semble pas maitriser, et surtout impossible à mettre en œuvre dans une saga aussi débridée. Comment insérer de la mesure, de la balance, dans un concept qui s’essentialise par son excès ? Qu’on ne se méprenne pas pourtant. En toute bonne foi, Borderlands reste Borderlands. Un hack’n’slash FPS efficace et surtout timbré, qui n’hésite pas à vous filer des quêtes qui consistent à regarder un idiot frileux ouvrir une fenêtre et se faire aspirer par le vide spatial de sa connerie. On aura même l’impression de se sentir chez soi – ou irrémédiablement ennuyés – après les deux épisodes précédents. Seulement The Pre-Sequel est amputé, c’est un handicapé du fun, schizophrénique, produit malchanceux d’un mea culpa maladroit qui méritait plus. Pour Gearbox néanmoins, c’est un pas dans la bonne direction, vers une remise en question de l’hégémonie et de la toute-puissance de l’IP. Se réinventer, c’est aussi ça l’enjeu dans un business aussi verrouillé que le jeu vidéo blockbuster.