Trois ans après l’imparfait mais prometteur Bullhead, on est très content de voir Michael R. Roskam réussir sa traversée de l’Atlantique, se dérobant sans forcer à une noyade que beaucoup de frenchies n’avaient pas vraiment su éviter (au choix : Kassovitz, Siri, Canet). Il faut dire que la modestie de ce petit polar frigorifié (adapté d’une nouvelle de Denis Lehane par l’écrivain himself) l’invite à adopter la meilleure des stratégies. C’est-à-dire : rester discret, placide, renfrogné, esquiver la grosse mythologie du gangstérisme US, s’en tenir à une sitcom de petites frappes (un bar, deux salons, trois trottoirs). À revoir Bullhead et son héros dopé aux hormones, on se dit que la tentation était grande pourtant de chercher à muscler le jeu d’emblée, mais ses ardeurs de chien fou semblent parfaitement tenues en laisse par le scénario du maître. Du réalisateur belge, on retrouve cet alliage entre récit de quartiers et épaisseur existentielle, mais sans aucune surcharge narrative, sans ces parenthèses symboliques qui entraînaient parfois son premier essai vers d’embarrassantes envolées opératiques.

Quand vient la nuit fait partie de ces polars a minima, murmurés et patients, dont les enjeux dérisoires (un vol de 5 000 dollars, un chiot) ne sont qu’un prétexte à s’arrêter un moment sur la trajectoire de quelques gueules cassées. Le récit dilue très vite son beau pitch initial (chaque nuit, au hasard, un bar se transforme en coffre-fort pour la mafia) pour emberlificoter plusieurs intrigues de crime et de voisinage. Avec pour décor central, un pub tenu par un petit patron maussade, désabusé par l’abandon de son établissement à un malfrat tchétchène. Avouons que pour son dernier rôle, James Gandolfini est particulièrement émouvant en vieil ogre bougon ruminant ses heures de gloire assis sur son gros cuir inclinable.

Mais le film vaut surtout pour Tom Hardy, simple et prodigieux en barman introverti. Son dos voûté, son regard clair, sa manière de maintenir son visage sur le recul, comme à l’affût de sa propre folie, continuent de consolider cette image de colosse au coeur de mousse. Un air de pitbull mal aimé qui sied idéalement à ce film de carcasses taiseuses, où l’intrigue s’écoule souterrainement, par allusions, menaces et regards en coin. Au diapason de ces destins boiteux, Roskman ne surjoue à aucun moment le gros polar eighties, tricote son récit avec un savoir-faire limité mais efficace, tout en rythme endolori et atmosphère neigeuse. Libéré du volontarisme de Bullhead, il peut laisser libre cours à sa tendresse infinie pour la survirilité désemparée, appliquant ça et là une couche de baume à des malandrins qui, sous l’épaisse carapace de chair, ne semblent plus attendre qu’un peu de consolation.