Peut-être parce qu’on n’attend plus rien d’Assassin’s Creed, le dernier épisode parvient, si ce n’est à séduire, au moins à distraire. Avec Unity, la série avait définitivement atteint ses limites et n’arrivait plus à décoller, la Révolution Française n’étant pas suffisante pour provoquer quelques remous dans le gameplay, malgré un travail visuel impressionnant. Ce soin dans le décor, qui a fait la réputation des jeux, trahit leur académisme, les coinçant entre les reconstitutions méticuleuses et la visite guidée. L’open world n’est plus un terrain immersif où le joueur improvise ses propres règles, mais une zone de confort qui se cantonne à une esthétique touristique. Jouer à Assassin’s Creed revient un peu à faire le tour de l’Europe en car, non pour découvrir un monde inconnu mais pour s’assurer que les monuments sont bien à leur place et correspondent à l’idée que l’on s’en fait.

Qu’espérer dès lors de Assassin’s Creed Syndicate ? Le jeu se déroule dans le Londres du milieu du XIXe siècle, durant la Révolution Industrielle qui allait bouleverser l’économie et les structures sociales mondiales. Le joueur incarne deux jumeaux assassins (Jacob et Evie Frye), jeunes et enragés, bien décidés à conquérir la capitale anglaise aux mains des templiers. Jusque là, rien d’excitant. Mais alors que l’on replonge dans les sempiternelles mécaniques d’un énième niveau-didacticiel, Syndicate se dévoile humblement, loin de la lourdeur de Unity. Les étroites rues parisiennes surchargées en PNJ cèdent ici la place à de grandes avenues moyennement peuplées et plus aptes à accueillir un système de freerun qui n’est plus bloqué par chaque élément du décor, permettant ainsi une exploration plus fluide et plus agréable. Quant aux missions secondaires qui consistent à libérer Londres du joug des templiers avec une guerre des gangs inspirée de Gangs of New York et Orange Mécanique, elles sont bien plus distrayantes et cohérentes que les tâches annexes qui inondaient ridiculement la map de Unity.

Modeste et délesté de toute ambition thématique (on a beau croiser Graham Bell, Charles Dickens, Charles Darwin ou Karl Marx, rien n’y fait, AC transforme tout en folklore ou en clins d’œil), le jeu se contente timidement de son petit lot de nouveautés pour se donner un peu de contenance artificielle : deux personnages dont les caractéristiques peuvent être développées séparément, des courses en calèches, des grappins pour escalader plus rapidement, de la bagarre de rue et un train personnalisé en guise de QG. Ces éléments empruntés ailleurs avec un mimétisme un peu mou ne sont pas toujours au point, mais permettent de varier la traversée de ce nouvel environnement qui, pour une fois dans la série, commence presque à prendre vie : les nombreuses scènettes quotidiennes dispersées dans le jeu, aussi bien urbaines qu’en intérieur, montrent un souci de réalisme accru qui n’empêche toutefois pas ce sentiment d’être spectateur.  Fidèle à la malédiction qui pèse sur la série, Syndicate reste en effet un jeu bancal, alourdi par le patrimoine génétique de la saga et ses automatismes : open world générique, action parfois brouillonne, infiltration souvent bâclée ou cinématiques lourdingues. Le titre hérite en outre de certaines tares de Unity, comme cette limitation des capacités des héros au nom d’un moralisme poisseux (pour légitimer l’ultra-violence du soft, on ne peut plus dégainer son arme sans être engagé dans un combat : on ne trucide que des PNJ armés).

Mais qu’importe, le vrai charme de Syndicate est ailleurs. Le principe même de la saga est celui d’un compte à rebours historique qui la condamne à disparaître. Elle a évolué par à-coup, se concentrant sur une période donnée avant de faire un bond dans le temps. L’exploitation abusive de la licence trouve certes une justification commerciale, mais peut aussi être vue comme une volonté de ralentir le temps avant une issue inévitable. Car une fois que la série aura rattrapé le retard qui la sépare de notre époque, elle n’aura plus lieu d’être. De ce point de vue, l’Animus avec son fatras crypto-génétique agaçant semble être son point d’horizon. Dans Syndicate, il revient en force, presque comme pour annoncer cette funeste destinée. Et les signes de cette évolution se font nettement sentir dans cet épisode où on ne trouve plus de sabres ou de haches pour se battre, où les coups de feu de revolver (mal foutus) commencent à fuser et où les automobiles pointent le bout de leur pare-choc. Le changement d’âge n’a jamais été aussi brutal qu’ici, dévoilant soudainement cette mort programmée en marche qui éloigne la série de son point d’origine et qui la rend encore un peu touchante.