Principalement reconnu en France pour sa collaboration à la saga de SquareSoft, Final fantasy, Yoshitaka Amano est surtout un immense illustrateur « multi-supports » aux activités diverses et variées. Son retour sur FF9 a bénéficié d’une mise en avant médiatique disproportionnée, sans doute pour accentuer l’aspect « back to the roots » de ce dernier épisode. L’occasion de lever le voile sur les méthodes de travail un peu floues d’Amano au sein de l’équipe de Square.

Chronic’art : Etes-vous vous-même un joueur de jeux vidéo ? Si oui, quels sont les jeux qui vous ont marqués et influencés ?

Yoshitaka Amano : Je ne joue pas tant que ça et surtout pas pour mon travail. Je joue juste pour la détente en fait. Mes influences sont plus à chercher du côté de Michael Moorcock et de la mythologie -celtique particulièrement- que du côté des jeux vidéos.

Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur la série Final fantasy ?

J’ai débuté ma carrière dans l’univers du jeux vidéo par l’intermédiaire de cette saga, à une époque où Dragon quest était le seul RPG existant sur console. Et Final fantasy a justement été créé pour le concurrencer. On a vu ce que ça a donné : Final fantasy est devenu la plus grande série de jeux édités au Japon. Pour moi, tout se combinait de façon naturelle, le monde du RPG, celui du fantastique et celui de la mythologie européenne.

Avez-vous des directives très précises de la part des concepteurs du jeu ?

Les directions que je prends ne sont pas dictées. On me demande juste de créer des personnages ainsi que l’environnement qui va avec. Pour les personnages, on me révèle simplement leur âge, leurs rôles, leur personnalité et leur importance dans l’histoire. Le reste est laissé à mon entière appréciation. S’agissant des monstres par exemple, on me dit de créer un « dragon blanc », un « dragon rouge » ou, plus simplement, « c’est le boss de fin ».

Etes-vous satisfait par le résultat visuel final des épisodes de la série sur lesquels vous avez travaillé, qui semble souvent assez éloigné de vos croquis préparatoires ?

Je suis très content du résultat. Mais tout mon travail dans l’univers du jeu est différent de mes peintures. Ca apporte aussi beaucoup à Final fantasy, en élargissant l’identité visuelle des personnages. Au tout début, nous travaillions avec des esquisses au crayon, mais maintenant que la 3D s’est imposée, la différence est encore plus notable. Et il ne faut pas non plus oublier que nous travaillons en groupe et que l’influence des autres designers est très importante. Dans HERO, mon nouveau projet, les graphismes seront plus proches de mon univers artistique.

Y a-t-il un épisode qui vous semble plus proche de vos aspirations artistiques ? On pense souvent au 6, considéré comme le meilleur de la série par les fans…

Il est vrai que FF6 est sûrement le meilleur de la série. J’apprécie aussi beaucoup les deux premiers. Ils sont très proches de l’univers de la fantasy. Progressivement, la série s’est éloignée de cette pure fantasy, elle a perdu sa qualité de quête spirituelle, de voyage initiatique. C’est devenu de plus en plus un pur entertainment, comme un film hollywoodien. C’est très courant lorsqu’une série a du succès qu’elle s’éloigne de plus en plus du caractère spirituel de ses origines. La quête des cristaux dans les deux premiers épisodes était par exemple très importante, comme la couleur bleue d’ailleurs. Mais tout s’est rapidement effacé au profit du jeu lui-même.
Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez été moins impliqué sur les épisodes 7 et 8 ? On a entendu dire ici et là que vos dessins étaient trop complexes et trop riches en détails pour être retranscrits en 3D…

Mon travail artistique devenant de plus en plus complexe, il est vrai que ça prend beaucoup de temps pour les softwares 3D de les modéliser. Rajoutez à ça toutes les contingences de productions, qui sont énormes. Quand on sait que les épisodes 9 et 10 ont été faits en même temps…

Peut-on dire que vous êtes en « concurrence » avec Tetsuya Nomura (1), ou bien vos travaux respectifs sont-ils différents ? Si oui, en quoi ?

Dans le monde de Final fantasy, nos oeuvres sont presque identiques mais nous sommes très complémentaires car toutes les images que je ne fais pas sont créées par M. Nomura. Nous avons su garder notre identité visuelle et artistique et c’est ce qui est le plus important.

Qu’est-ce qui a motivé le fait que Square ait mis votre travail préparatoire plus en avant sur ce 9e épisode ? Une volonté de l’éditeur d’effectuer un retour aux sources de la série ?

Oui bien sûr, c’était le cas.

Sur cet épisode, quelle a été votre méthode de travail ? Avez-vous travaillé en amont en tant que chara-designer, ou en aval en tant qu’illustrateur de produits dérivés par exemple ?

Nous travaillions simultanément sur les deux sources, celle des personnages et celle des produits dérivés. Chaque personnage a deux identités visuelles différentes, ce qui lui apporte de la profondeur, de l’ambiguïté. Ce que vous voyez dans le jeu par exemple ne correspond pas du tout à mes créations de départ.

Avez-vous collaboré avec des illustrateurs et chara-designers tiers ? Si oui, comment s’est passé cette collaboration ?

J’ai par exemple eu un gros travail de collaboration pour G-Force qui fonctionnait à merveille. À mes débuts, je n’avais qu’une vingtaine d’années et Tatsuo Yoshida (2) m’a beaucoup aidé et guidé dans mon travail. J’ai appris beaucoup grâce à cette expérience. Depuis, je n’ai plus vraiment travaillé avec un autre mentor. La collaboration doit être un échange entre les différents protagonistes. Travailler avec des poètes, des auteurs, des musiciens est pour moi quelque chose qui m’inspire énormément. Tous les graphistes, tous les peintres faisaient de même dans l’ancien temps. Je pense aussi que travailler avec des scientifiques serait très intéressant. Pour l’élaboration de robots, par exemple.

Retravaillerez-vous dans le futur sur des épisodes de la série ? On parle déjà du douzième épisode…

Je travaille actuellement sur l’épisode 10 de la série qui est assez proche graphiquement des n°7 et 8. Pour le reste, je ne me prononce jamais sur le futur. Au départ, je ne sais jamais sur quels épisodes je vais travailler. C’est comme pour une série télévisée ou une suite de films. Une série ne continue que si le travail effectué dans les épisodes précédents a été jugé satisfaisant. Si l’épisode d’avant est mauvais, le prochain se vendra mal.
Avez-vous d’autres projets de jeux vidéo en cours ?

HERO, Agent 13, ZAN, et El Dorado gate

Vos dessins rappellent parfois Klimt ou encore Giger, avez-vous eu des influences européennes précises, conscientes ou inconscientes ?

J’aime beaucoup Klimt, qui m’a influencé comme tant d’autres de façon consciente ou non. J’aime la tension intellectuelle qui sous-tend l’œuvre de Klimt, tout comme l’énergie du dessin de Delacroix. J’ai énormément à apprendre de quelqu’un comme lui, même si je veux toujours créer ma propre oeuvre, son influence est grandissante pour moi.

Avez-vous des influences strictement japonaises ?

Il y a eu un courant très intéressant à la Renaissance française. Cette période, l’Azuchi Momoyama, était marquée par la présence d’objets d’art très délicats, fait d’or et de joaillerie. C’est ce qui se passe quand le pouvoir politique est intéressé par l’artistique. A cette époque, tous les artistes s’émulaient les uns les autres. C’est à ce moment là justement que la cérémonie du thé a été inventée et que l’art japonais s’est mélangée avec des influences européennes.

Vous avez des activités très diversifiées (animation, illustration, jeux vidéo, costumes de théâtre, etc.). Avez-vous l’intention d’élargir encore plus votre panel de spécialités ?

J’ai été mangaka, mais je ne veux plus me disperser… C’est beaucoup trop de travail. Toutes mes créations proviennent de toute façon des mêmes mains, du même cerveau. Après, tout dépend de celui qui utilise mes dessins et de ce qu’il en fait. C’est ce qui fait toute la différence. Le plus important pour moi, c’est ma quête de la perfection et le fait d’aller de plus en plus vers la 3D, vers la sculpture. Je fais aussi des cadres de miroir, des bronzes et d’autres choses dans cette direction. Dans HERO, je fais aussi des photographies qui seront éditées dans un livre à paraître très prochainement.
Je vais aussi développer mon site Web de plus en plus, comme BATTY par exemple. Un de mes livres sur la fantasy va paraître en France aux éditions Soleil au début de l’été : Les Mondes d’Amano 1, 144 pages.

Propos recueillis par

(1) Character designer responsable des personnages de FF7, FF8, The Bouncer…
(2) Célèbre réalisateur d’anime dans les années 70-80 (Hacou l’abeille, Gatchaman…)

Lire le test de Final fantasy IX.