Véronique Vella n’est pas très grande. En taille. Elle chausse souvent des bottes de rocker que beaucoup appellent des Santiags. Elle dit qu’elle va devoir acheter un modem car sa grand-mère veut apprendre à se servir d’un ordinateur dès qu’elle viendra habiter Paris. Le soir, Véronique est Hermione dans Andromaque dans une mise en scène de Daniel Mesguish. A partir du 25 juin, elle présentera au Studio-Théâtre de la Comédie-Française son spectacle consacré à la poésie de René Guy Cadou. Lorsqu’elle parle de lui, on a l’impression qu’il est là, quelque part dans un coin de sa loge, qu’il la regarde et l’accompagne.

Chronic’art : Te souviens-tu de ton premier choc de poésie, même si cela remonte à ta petite enfance ?

Véronique Vella : Tout à fait, c’est même pour moi un souvenir extrêmement précis. Mon premier choc, c’est René Guy Cadou. C’est rigolo que tu me poses cette question. C’est le premier livre sans images qu’on m’ait offert. J’avais huit ans. Un jour, mon père a débarqué avec les œuvres complètes de Cadou. Il était déjà édité chez Seghers. Il s’agissait de deux livres en format de poche avec deux portraits de Cadou dessinés à l’encre. Je me suis plongée dans cette poésie-là avec des yeux d’enfant. J’y ai repéré des textes qui, à l’époque, pouvaient me parvenir émotionnellement. Je me souviens en particulier d’un tout petit poème qui me faisait rêver alors, il disait : « Comme elle était danseuse étoile, elle s’éteignit un beau matin ». J’en connais bien d’autres à présent !

L’envie de devenir comédienne était-elle déjà là à cette époque ?

Oui. Déjà à sept huit ans, ça germait en moi. Ma mère l’était à l’époque, mon père aussi ; il l’est toujours. Ensuite, lorsque j’ai fait mon métier de manière professionnelle, je me suis dit que je me sentirais bien et que j’aurais l’impression de faire une œuvre de salubrité publique en prêtant ma voix et en disant les mots de celui que je préfère d’entre tous. Parce que, même si ça fait bondir les puristes, je trouve que, tout comme Sophocle, Racine ou Baudelaire, René Guy Cadou fait partie des très grands poètes sur lesquels il faut revenir tout le temps. Il a chaque fois quelque chose de nouveau à transmettre, à dire, à redire. Il faut cesser le relire ; tout comme il est très important de revenir à Racine, de le « re-comprendre » autrement, de se le réapproprier.

Tu as une formation de musicienne au départ ?

J’ai eu une formation de musicienne contrariée. Quand j’étais enfant, quasiment à la même époque que celle de mon souvenir de poésie, j’ai dit à ma famille que je voulais faire du piano. Je suis issue d’une famille modeste et ma mère et ma grand-mère m’ont dit : « Tu sais, un piano même en location c’est encore trop cher, la maison n’est pas très grande, on ne saurait pas où le mettre ». Ma mère qui sentait déjà mon désir d’être saltimbanque m’a dit aussi que si je voulais faire ce métier, je ne pourrais pas emporter mon piano sur mon dos, alors qu’une guitare, par exemple, serait plus facile à transporter. Donc, j’ai fait de la guitare ! Je dis que j’ai eu une formation de musicienne contrariée parce que j’ai commencé par la guitare classique avec une très gentille prof à Grenoble (ma ville natale) ; elle m’apprenait le solfège, pour lequel j’étais totalement rétive. J’ai fini par « jeter » ma guitare au fond de ma chambre en pensant que je n’y toucherai plus jamais, que je n’y comprendrai jamais rien ! Et du coup, j’ai appris à m’accompagner moi-même avec des Méthodes. Maintenant, je joue de la guitare de variété, à la limite.

Le désir d’être chanteuse n’était pas plus fort que celui d’être actrice ?

J’avais le désir de monter sur les planches, mais je ne savais pas très bien pour quoi faire. Je me rappelle aussi que chez ma grand-mère, il y avait un gros pot en bois avec un pilon, très beau ; c’était une brocante qu’elle avait polie, poncée, vernie et c’était devenu un très joli objet qui avait vraiment la forme d’une micro… Lorsque je branchais ma chaîne stéréo, j’imaginais que c’était un micro et je faisais du play-back sur les chansons qui passaient.

Comment as-tu composé les musiques des textes de René Guy Cadou ?

Je les ai faites à la guitare exclusivement, parce qu’il n’y a que comme ça que je sais composer. Au départ, ce sont plutôt des mélodies, ensuite Jean-Louis Cortès, qui est arrangeur et musicien professionnel, s’est mit au clavier.

Mettre ces poèmes en musique te paraissait plus simple que de les dire ?

Dans le spectacle, sur 49 poèmes, 7 seulement sont chantés. C’est un spectacle pour le coup pas poétique ; parce que les poétiques au théâtre, les graves, sérieuses et compassées, ça m’emmerde profondément !
Je crois que j’ai réussi à faire un vrai spectacle de théâtre, si ce n’est qu’il ne s’agit de dialogues mais d’un long monologue, qui est une suite de poèmes. Je n’ai pas eu envie non plus que ça devienne un tour de chant. C’est la raison pour laquelle, j’ai opté pour le micro cravate, afin de pas avoir sur scène un micro sur pied vers lequel je devrais aller pour chanter. Sur le CD* qui est sorti, la première plage est un texte dit ! Cadou est un poète, pas un parolier.

Il écrivait en français ou en breton ?

En français. C’est une bonne question, tiens. D’ailleurs, je me demande même s’il parlait le Breton…

C’est toi qui as mis en espace ce spectacle ?

Oui. J’ai monté ce spectacle en 1995, après plusieurs années de Comédie-Française, donc plusieurs années de troupe et plusieurs années à n’être qu’actrice. Et là, j’ai eu envie d’être créatrice (et non plus créature) du projet, de A à Z. Pour être en vase clos avec René et voir ce que ça fait. Autour de moi, des proches, des professionnels se proposaient d’être mon regard extérieur, mais j’ai refusé.

Ça te donne envie de continuer la mise en scène ?

J’ai eu l’occasion de réaliser des lectures dans le cadre des samedis du Vieux-Colombier. Cet automne, je m’étais attelé à La Vie en rose, d’Armand Salacrou. Il y avait beaucoup de personnages. Les acteurs avaient le texte à la main et il fallait faire en sorte que le public comprenne quelque chose, entre dans ce type de spectacle. C’est essentiellement ça qui m’a donné envie de m’atteler à la direction d’acteur. La mise en scène, c’est un peu superfétatoire.

Où te sens-tu le plus en liberté ? Avec Andromaque ou avec Cadou ? Il n’y a pas plus différent…

Ah ça ! Je crois que je n’ai pas fait plus différent en un temps aussi court. C’est avec Cadou que je suis la plus libre. Seule en scène, si tu réussis, tu es la seule à réussir et si tu te plantes, tu es seule aussi ! Le risque n’est que pour toi-même et l’univers de Cadou est un univers que je connais mieux que celui d’Andromaque. Disons que mon sentiment de récréation est plus fort avec Cadou.

Quel genre de musique écoutes-tu ?

Je ne suis pas passéiste, sinon je n’aurais pas fait de la variété sur des textes de Cadou, j’aurais demandé qu’on m’écrive des Lieds ! Pour répondre en plusieurs partie à ta question, sans être désagréable pour les autres, je dirai juste qu’il que semble que Racine, par exemple est infiniment plus moderne que bien de nos auteurs contemporains. Je ne veux en citer aucun, ni de récemment mort ou anciennement vivant. On se disait, en répétitions que Racine avait lu Freud, c’est l’évidence même -bien que l’on sait pertinemment que chronologiquement et historiquement c’est impossible ! Racine n’est pas un auteur contemporain, mais c’est un moderne, c’est sûr. Ceci dit, je peux écouter Alain Souchon, en boucle pendant huit heures, parce que musicalement et au niveau des textes je trouve cela divin… Je peux écoute Céline Dion et sa voix sublime ou Juliette qui écrit des choses formidables. Et puis à côte de ça, on m’a fait découvrir la plus grande soprane légère : Nathalie Desaye. Elle est pour moi une révélation. En plus elle est Rock n’roll !

Tu sais qu’elle va travailler avec Björk ?

OUI ! J’ai entendu cela, elle est rock n’roll, rigolote. Chaque fois que je l’entends, je me demande : comment ça sort ? d’où vient cette voix ?

En t’entendant parler, je réalise cette chose étonnante : Daniel Mesguish et toi avez le même phrasé…

Ah ? Il y a peut être quelque chose que je lui ai piqué au fil du temps… Cela dit, je peux tout à fait entendre ce que tu me dis, car parmi les premières choses qui m’aient particulièrement bluffées chez Daniel, et que je n’ai pas et je n’y arrive pas à choper, c’est cette capacité qu’il a à parler extrêmement vite sans faire « heu…heu… », comme je fais tout le temps ! Il a une diction serrée, un phrasé tenu. J’essaie d’y tendre « difficultueusement » !

Après Andromaque, trois en heure en scène, quels sont tes projets ?

Hermione est un grand et sublime rôle, le plus beau que j’ai eu depuis longtemps au Français… Mes projets ? C’est me reposer un petit peu, puis de tourner dès le mois d’août dans le prochain film de Gabriel Aghion. Je viens de terminer un petit rôle très rigolo dans le film de Claude Berry, La Débandade, que l’on verra à la rentrée. Puis, en ce qui concerne le Français, il y a une tournée des Femmes savantes dans mise en scène de Simon Heine, de septembre à novembre. On va visiter des villes, rigoler quoi. On forme une bonne équipe. On a prévu d’amener appareils photos, caméscopes pour se filmer sous toutes les coutures, de garder les tickets de cinéma en inscrivant des bêtises au dos, les additions des restos, puis de coller le tout dans un cahier… Bref, les Colonies de Vacances.
A la Comédie-Française, il n’y aura rien. C’est le principe de la Maison… Il faut dire que j’ai été particulièrement bien servie depuis trois ans… Donc un peu aux autres. Et puis, j’emmène Cadou ailleurs et loin : Japon, Etats-Unis, Corée, Brésil, Mexique, Guyane, Maroc. Je crois qu’Hélène, la veuve de René, en est particulièrement heureuse. J’essaie aussi de confier la traduction de mon spectacle, afin de le dire en anglais dans les pays de langue anglo-saxonne, disons un soir sur deux. Voilà, je lance sur le Web : si des gens sont intéressés par la traduction de Cadou en Anglais… C’est ma grand-mère qui recevra les mails et étudiera toutes les offres !

Propos recueillis par

* Liberté couleur de feuilles, Véronique Vella chante René Guy Cadou

René Guy Cadou, la cinquième saison
Studio-Théâtre de la Comédie-Française
99, rue de Rivoli – Paris 1er
Renseignements : 01 44 58 15 46
Du 25 au 30 juin 1999 à 18h30