Au pays de Tortoise, on prend son temps pour tout. Avant de composer -même si les membres du collectif, par l’intermédiaire de leurs side projects, sont finalement hyper-actifs-, pour produire, pour se produire live… et pour répondre aux questions. Après une première tentative infructueuse, Chronic’art a coincé John Herndon et Dan Bitney dans un café parisien.


Chronic’art : Pourquoi votre dernier album s’appelle-t-il TNT ?

Dan Bitney : C’est presque une blague. Pendant que nous étions en train d’enregistrer cet album, on regardait un dessin animé, et sur la pochette, les héros avaient du TNT accroché en bandoulière. C’est vraiment fortuit, quand on vu ça, on a trouvé que c’était marrant, et on a décidé d’appeler l’album comme ça.

Etrangement, à l’écoute de TNT, on a deux impressions contradictoires. D’un côté, l’album est très sophistiqué ; de l’autre, on entend vraiment l’improvisation…

John Herndon : Oui, en fait, la plupart des morceaux ont été écrits et joués de façon très spontanée. Et même sur les différentes parties de ces morceaux, la majeure partie a été faite en une seule prise. C’est ensuite que nous avons pris beaucoup de temps, pour manipuler le son, pour produire les titres enregistrés.

Avec ce disque également, il semble que vous vous éloignez de plus en plus des schémas classiques du rock. Est-ce une évolution naturelle ?

John Herndon : Oui, sur TNT, on n’avait vraiment pas envie de se retrouver enfermés dans des structures rock. D’un autre côté, la chose s’est vraiment faite naturellement, ce n’était pas quelque chose de conscient ; on n’en a même pas parlé. Et paradoxalement, les morceaux peuvent se rapprocher des structures pop telles qu’on les percevait auparavant, en tout cas, pour nous, pas comme sur notre premier album qui comprenait ce que j’appellerais des paysages sonores.

La scène rock est-elle ennuyeuse aujourd’hui ?

Dan Bitney : Je ne sais pas. De toutes manières, je n’écoute pas de rock. Je m’intéresse nettement plus au dancehall, au reggae, à la musique brésilienne. Pour moi, la musique est une question de rythme, pas de genre. Il faut que ça bouge, que ce soit sexy…

Pour revenir à TNT, il n’y a pas beaucoup d’influences drum’n’bass, par rapport au travail de remix effectué sur vos précédents morceaux…

Dan : C’est vrai, et pourtant, je pense que la drum’n’bass a été une influence lorsque nous avons écrit les morceaux de TNT. Moins que sur l’album précédent, peut-être. De plus, nous n’écrirons jamais de morceau de morceaux dont on pourrait dire que c’est de la drum’n’bass. Nos influences sont plus mêlées.

John, vous avez pourtant sorti un maxi sous le nom de U-Sheen qui est très drum’n’bass…

John : Oui, moi j’adore ce genre de choses. Je vais d’ailleurs sortir un autre disque sur un label de Chicago. Et de son côté, Casey (Casey Rice, NDR) va sortir deux maxis, dont un sur Duophonic, le label de Stereolab. C’est super bien, et ça sonne vraiment comme de la drum’n’bass.

Tous ces projets personnels, c’est votre manière de voir la musique ?

John : Tout à fait. Il n’y a rien de pire que de n’avoir rien à faire. En tout cas, moi, je ne peux pas m’arrêter. C’est intéressant de faire plein de choses différentes et passionnantes, des choses qui vous font progresser en tant qu’artiste. Etre créatif, c’est à ça que je veux passer le reste mon existence.

Dan : Et puis, quand on fait une tournée pendant cinq mois comme nous avons fait, à la fin, on en a marre. On veut se changer les idées, mais quand on veut se reposer, on a encore de l’inspiration, alors on s’y remet, et c’est comme ça que tous ces projets naissent.

En tournée, votre son est très organique ; vous avez beaucoup d’instruments sur scène, alors qu’en studio, vous utilisez plus de machines. Est-ce un choix ?

Dan : Au départ, c’est un peu une nécessité, même si nous avions plusieurs options à disposition. Nous aurions pu utiliser des séquenceurs, mais nous avons préféré de pas nous en servir, en fait apprendre à ne pas nous en servir. Mais le problème des séquenceurs, c’est que ça fige énormément les morceaux. A partir de là, impossible d’improviser. Quand la séquence enregistrée est terminée, vous vous retrouvez planté. Le travail en studio est tout à fait différent. C’est intéressant d’utiliser toute la technologie dont vous pouvez disposer pour être créatif. Et dans un studio, on ne se pose même pas la question de savoir comment on va reproduire un morceau en concert.

John : Du coup, il y a des titres que nous n’essayons même pas de jouer sur scène ! Pour certains, c’est vraiment impossible.

Comment fonctionnez-vous en studio ?

John : Ca dépend. Certaines fois, l’un d’entre nous arrive avec un morceau pratiquement terminé, où toutes les parties s’enchaînent parfaitement. Ce n’est pas la peine d’y retoucher. D’autres fois encore, quelqu’un a apporté un petit bout de quelque chose qui lui plaît, et nous nous penchons tous dessus pour voir ce qu’on pourrait lui adjoindre, si il y lieu de le modifier. La plupart du temps, ça part vraiment de pas grand chose.

On a parfois dit que votre musique était intellectuelle. Qu’en pensez-vous ?

Dan : A ceux qui pensent ça, je ne dirai qu’une chose : écoutez autre chose que Tortoise…

Propos recueillis par