A l’occasion de la sortie en salles de 24 hour party people, de Michael Winterbottom, nous avons rencontré le mythique Tony Wilson, qui se défend d’y être pour quoi que ce soit dans cette révolution musicale, et qui préfère invoquer Madchester pour expliquer comment il a eu la chance de se trouver au bon endroit au bon moment… Confirmations de rumeurs et révélations : Tony Wilson nous dit tout sur Factory, la Hacienda, Joy Divison, New Order et les Happy Mondays !

Chronic’art : Selon vous, le film de Michael Winterbottom, 24 hour party people, est-il basé sur le mythe ou la réalité ?

Tony Wilson : Le film est un ramassis de mensonges et de contre-vérités. Cependant, il transmet l’exacte vérité, ce qui n’était pas gagné ! C’est paradoxal. Tout est faux, et pourtant, ce film décrit parfaitement le punk, les drogues, et mon groupe d’amis de l’époque. Le slogan de 24 hour party people est rapidement devenu cette citation du film Liberty Valence : « Si vous devez choisir entre la vérité et la légende, conservez la légende. » Les plus grosses erreurs me dérangeaient, j’ai fait changer plusieurs scènes, mais la plupart sont restées.

Votre personnage vous ressemble-t-il ?

Ce qui lui manque, c’est ma méchanceté. Le vrai Monsieur Manchester, Bruce Mitchell, le batteur de The Durutti Column, me décrit comme un rhinocéros. A de nombreuses reprises, il m’a vu charger mon interlocuteur comme si j’allais le tuer. Le film ne montre jamais cette facette de ma personnalité. Pourtant, j’ai fait appel à ma technique de rhinocéros pour foncer dans Michael Winterbottom, et nous avons eu de belles engueulades ! Le problème, c’est que Michael est pire que moi : plus arrogant, plus volontaire, ce qui n’est pas pour me déplaire…

Quelle a été votre réaction la première fois que vous avez vu le film ?

La première fois, j’ai complètement détesté parce que c’était le « first cut ». Le film durait deux heures et demi, tout était merdique sauf le titre et le générique. Henry Normal, le partenaire de Steve Coogan, m’a pris à part pour me dire : « Ne t’en fais pas, tout le monde ressent la même chose en visionnant le first cut. » Six mois plus tard, je vois une nouvelle version. Michael avait retravaillé la première partie, c’était pas mal, mais la deuxième partie était toujours catastrophique. Quand il a bossé sur la deuxième moitié, elle était tellement bien que la première semblait nulle en comparaison.

Quels éléments dans le film auriez-vous modifié, ajouté ou retiré ?

J’ai essayé de faire enlever la scène où l’on voit ma deuxième femme à l’hôpital. Elle y est affreuse, ce qui est injuste envers elle, et personne ne comprend ce qu’elle fait là. En réalité, elle avait failli être tuée par une jeune femme, mais il y a eu un problème au montage, et le contexte reste flou. Cette scène a provoqué une véritable guerre. Tout le monde voulait la couper, sauf Michael Winterbottom, qui s’est débrouillé pour la conserver. Au final, on peut la définir comme une imperfection intentionnelle : à ce titre, elle trouve sa place dans le film.
Que pensez-vous de la façon dont les drogues sont présentées dans le film ?

Dans une version non-définitive, la deuxième, les personnages prenaient énormément de cocaïne. J’ai râlé car ce n’était pas vrai. Mais étant donné que le film n’était qu’un ramassis de mensonges, un de plus, un de moins, vous me direz… Mais là, j’avais l’impression qu’on transmettait un faux message. Si on avait pris autant de coke que Michael Winterbottom le montrait, on n’aurait jamais pu faire ce qu’on a fait. La vérité, c’est qu’on fumait de la dope tout le temps, ça oui. Dans la troisième version du film, il y avait une scène dans laquelle Shaun Ryder, le chanteur des Happy Mondays, se piquait. Mais Shaun ne se piquait pas, il chassait le dragon. Ces scènes-là me dérangeaient car elles donnaient une fausse idée de Shaun. Les drogues n’avaient pas une telle importance au début. Joy Division et New Order ne se droguaient pas vraiment. Enfin, New Order a pris pas mal de cocaïne à une certaine époque, mais Joy Division, non.

Comment décririez-vous ce que New Order a apporté, musicalement parlant ?

Joy Division a créé le post-punk, et New Order a révolutionné le rock en utilisant les premiers ordinateurs. Ils sont à l’origine des musiques électroniques actuelles. Blue monday, ou plutôt Everything’s gone green, a littéralement changé le cours des choses.

Quel rôle Martin Hannett a-t-il joué ?

Martin Hannett a appris pas mal de choses à Joy Division et à New Order, mais ce n’est pas lui qui a produit Blue monday. En fait, le véritable génie de Manchester pour ce qui est de la production, c’est Bernard Sumner. Bernard a pris le relais de Martin mais personne ne le sait car il n’a pas signé les disques qu’il a produits. Martin a arrêté de travailler avec New Order juste après Temptation. New Order a enregistré Blue monday sans lui.

En quoi les membres de New Order ont-ils été influencés par leur séjour à New York ?

Ils n’ont pas été influencés par la scène new-yorkaise à proprement parler. Bernard dit parfois que la Hacienda est basée sur le modèle de la Fun House et de la Gallery, mais à l’époque, New Order avait déjà sorti Blue monday. Ils débutaient mais avaient déjà leur propre style.

Quel est le concert de New Order que vous préférez ?

J’ai deux souvenirs inoubliables, des souvenirs de rappels pour être précis. Joy Division et New Order ne faisaient jamais de rappel. Enfin, si, mais une demi-heure plus tard ! Je me souviens d’un concert au Japon : le public était parti, les gars de la sécurité aussi, c’était un concert où je jouais de la guitare d’ailleurs. Bref, la salle est vide, New Order revient sur scène, Bernard envoie le premier accord et les gens rappliquent illico. Comme il n’y avait plus de sécu, ils mettent la salle complètement à sac ! Les Japonais sont hallucinants.
Un autre de mes meilleurs souvenirs est celui de Birmingham. New Order sort de scène, on visionne pour la première fois le clip de Perfect kiss. 45 minutes plus tard, ils décident de faire un rappel. Les gens avaient hurlé pendant 10 minutes avant de rentrer chez eux. New Order remonte sur scène. Dans la salle, il y a trois femmes de ménage. Cinq minutes de folie ! A la fin, dans un silence complet, Rob Gretton hurle : « Allez-y ! Montrez à Birmingham ce que vous avez dans les tripes ! »

Comment avez-vous commencé à prendre de l’ecstasy, au début des années 80 ?

On est tombé dessus au Texas. Quand on tournait là-bas, les gens nous en proposaient partout : c’était légal, ça l’est resté jusqu’en 1981, ce qui est très bizarre…

Comment avez-vous décidé de construire la Hacienda ?

L’idée est née en 1980, à New York, pendant la tournée qui aurait dû être celle de Joy Division et qui est devenue la première tournée de New Order. Rob n’avait pas encore décidé du chanteur, ce qui fait qu’ils chantaient tous les trois chacun à leur tour ! De retour à Manchester, on se met à construire un club, moitié salle de concert, moitié boîte de nuit. Deux semaines avant l’ouverture, un gars nous demande : « Pour qui est-ce que vous ouvrez cette boîte ? » On répond : « Pour les jeunes ». « Vous avez vu à quoi ressemblent les jeunes aujourd’hui ? » « Qu’est-ce que vous voulez dire ? » « Ils portent des impers et vous, vous construisez une putain de boîte new-yorkaise ! » Il avait raison. C’était une aberration. En vérité, on avait construit la boîte pour se faire plaisir. Par un pur hasard, quelques temps plus tard, la Hacienda s’est retrouvée au bon endroit au bon moment : les gens allaient enfin pouvoir y écouter la musique qu’ils attendaient.

Comment expliquez-vous son succès ?

On avait passé un super été 87 à New York. On dansait tout le temps, même sur Cindy Lauper. Le problème, c’est que quand on est rentrés en Angleterre en hiver, sous la pluie, on n’avait plus du tout envie de danser sur Cindy Lauper ! Mais dans le même temps, toute une génération de gens qui prenaient des drogues était en attente d’une certaine musique. La chance qu’on a eu, c’est qu’ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient sur notre dancefloor. C’était aussi l’époque où la pression était à une Livre. Il ne faut pas oublier ça. Les jeunes prolos pouvaient s’éclater, prendre des drogues, écouter de la musique, et boire de la Stella à un prix dérisoire. Une révolution culturelle était en train de se dérouler sous nos yeux.

Est-ce vrai que vous avez failli signer Madonna ?

Madonna a fait son tout premier concert en dehors des Etats-Unis à la Hacienda. On aurait pu la signer. Le problème, c’est qu’elle faisait de la pop et que moi, je n’étais pas du tout spécialisé dans la pop. Pour la petite histoire, un jour, je déjeune en face d’elle lors d’un grand rassemblement à New York. A la fin du repas, je me dis : « Il faut que je lui en parle. » Et je me jette à l’eau : « Madonna, est-ce que vous vous souvenez avoir fait votre tout premier concert en Europe dans notre club, la Hacienda, à Manchester ? » Elle me regarde droit dans les yeux et me dit : « Ce souvenir s’est complètement effacé de ma mémoire. »…
Chris Blackwell avait vraiment failli la signer. Trois jours après le concert -trois jours de baise selon les rumeurs-, Chris la reçoit dans son bureau. Il met la cassette : c’est Holiday. Chris adore la chanson, il s’apprête à lui faire une proposition, mais Madonna se met à danser les bras en l’air, et comme elle n’avait pas pris de douche pendant trois jours, l’odeur était atroce. Chris Blackwell l’envoie balader : c’est comme ça qu’il est passé à côté de Madonna !

Comment les New Order ont-ils commencé à travailler avec Steven Hague ?

J’ai tanné New Order et Rob pendant des mois pour les convaincre de prendre un producteur. Neuf mois plus tard, ils sont d’accord pour travailler avec Steven Hague. Ensemble, ils enregistrent True faith. Comme New Order n’envisageait pas de sortir un album à partir des singles, je me suis fait ma propre compilation pour mon lecteur CD. C’est ainsi qu’est né Substance. Ce disque s’est avéré un beau succès financier mais pour des raisons complètement désintéressées. Toute autre maison de disques aurait sorti cet album pour faire de l’argent. Pour nous, c’était avant tout un disque à usage personnel !

Y a-t-il un groupe de votre label qui n’a pas eu le succès que vous auriez escompté ?

Oui. Les Stockholm Monsters. A l’époque, je n’ai pas réalisé à quel point ils étaient bons. Ça m’énerve, je suis persuadé qu’ils avaient un truc. Bien avant les Happy Mondays et les Stone Roses, ils incarnaient le groupe de prolos pour les prolos. Je regrette de ne pas les avoir mieux développés.

Qui faisait quoi à Factory et à la Hacienda ?

Factory a découvert cinq groupes : New Order/Joy Division, Orchestral Manoeuvre In The Dark, Happy Mondays, James, et M People. Ou Quando Quango si vous préférez. Mike était le meilleur programmateur du monde. Il faisait venir des groupes inconnus qui se retrouvaient au sommet des charts deux mois plus tard. Je regrette parfois de l’avoir sous-estimé. C’est toujours un sentiment très bizarre : je ne fais pas grand-chose, mais parce que je côtoie les gens qui font l’histoire, on pense que c’est moi le responsable. Du coup, c’est moi qui encaisse tous les reproches quand ça foire, et c’est moi qui reçois tous les compliments quand ça marche. On m’a reproché de ne pas avoir développé un label de dance. Selon moi, le label faisait de la dance au tout début des années 80. De toute façon, pour avoir un label de dance, il faut être un homme d’affaires et être prêt à se faire de l’argent sur le dos des artistes. J’en suis incapable.

Pourquoi Quando Quango a-il quitté Factory ?

Après la sortie de leur album, Mike Pickering veulent que Mark Kamins remixe le deuxième single. On fait venir Mark de New York. Mike et Mark passent une semaine à se mettre la tête à l’envers. Ils claquent 10 000 £. On remet Mark dans l’avion avec perte et fracas, mais Mike veut le faire revenir pour finir ce qu’ils ont commencé. Je lui dis : « C’est de la folie pure, on ne va pas remettre 10 000 £ dans un remix ». Et lui me répond : « Mon manager, Pete Hadfield, est prêt à payer s’il peut récupérer Quando Quango. » C’est comme ça que Mike Pickering a quitté Factory en tant que membre de Quando Quango. Il est cependant resté Dj de la Hacienda, et DA. Les Quando Quango ont rejoint Deconstruction, le nouveau label de Pete Hadfield et Mike a fait entrer Black Box dans Deconstruction. Mais Pete n’a jamais payé pour faire revenir Mark, bien sûr, il n’était pas bête à ce point !

La morale de cette histoire ?

Ce qu’il faut retenir, c’est que je n’ai jamais été un homme d’affaires. Comme je l’ai dit, on m’a fait beaucoup de reproches, beaucoup de compliments, mais c’est de la foutaise : moi, je n’ai rien fait !

Propos recueillis par et

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