Gros buzz dans la blogosphère puis confirmation sur disque (We are The Pipettes) et sur scène, le girls band à pois Pipettes est rafraîchissant et léger (et sans doute éphémère) comme une bulle de savon. Interview avec Gwenno, blonde platine, et Becki, blonde à lunettes.

Chronic’art : Alors, si j’ai bien compris la vidéo de Pull shapes, Gwenno est plutôt « disco » et Becki est plutôt « hip-hop » ?

Gwenno : (rires) Oui ! Mais je crois qu’on a surtout chanté ça pour la rime. Je ne suis pas vraiment disco en fait, ni rock d’ailleurs…

Becki : Et moi j’écoute un peu de hip-hop. Ca colle un peu donc, mais accidentellement en fait.

Ca a commencé comment les Pipettes alors ?

Becki : Ca a commencé par une conversation dans un pub entre notre guitariste, « Monster Bobby » et la première membre des Pipettes, Julia. Lui parlait de Motown et de Phil Spector, et elle de KLF et de Malcom Mc Laren, de ces types qui ont cherché la meilleure façon de monter un groupe pop universel. Ce qui les a fait se rejoindre sur le projet d’un concept-band, un girls-band nommé les Pipettes. Rose est arrivée à ce moment-là dans le pub, ils lui ont demandé si elle pouvait chanter et rejoindre le groupe, elle a dit « ok », puis j’ai également intégré le groupe. Les Pipettes étaient nées, on a fait pas mal de concert pendant un an, puis Julia a décidé de quitter le groupe et on a eu la chance de trouver Gwen, qui l’a remplacé très vite et qui est donc désormais la troisième Pipettes.

Gwenno : J’avais acheté mon ticket deux mois à l’avance pour voir le groupe. On ne voit jamais de groupes de filles glamours et en même temps agressifs, je trouvais ça très rafraîchissant de les voir dans une salle de concert où la plupart des groupes sont masculins, assez machos.

Becki : Gwen nous a beaucoup apportée de son expérience, surtout en ce qui concerne les danses, les chorégraphies, et on a beaucoup progressés avec elle…

Quel est votre rôle créatif dans la musique ?

Becki : On est sept à travailler chaque chanson et c’est un processus complètement démocratique.

De l’extérieur, on a l’impression que c’est comme tous les girls-band, avec des producteurs derrière qui tirent les ficelles, qui composent tout, et les filles qui sont juste là pour chanter et pour l’image…

Becki : C’était très important pour nous de séparer les aspects marketing du groupe proprement dit. C’est nous qui représentons les Pipettes pour les médias, mais nous devons dire que tout le monde co-écrit et interprète les morceaux qui sont sur le disque, ce qui nous permet d’être très créatifs, beaucoup plus que si ça avait été nous trois seulement.

Gwenno : On veut faire de la pop-music, universelle, et je pense qu’on y arrive mieux à sept, avec des garçons et des filles, qui travaillent tous en groupe pour trouver la forme musicale la plus adéquate à notre projet. C’est notre richesse.

Ce qui est bien, c’est que vous importez vers le champ du rock indépendant toute cette mythologie du girls-band, un concept commercial créé par les majors. C’est une petite révolution…

Gwenno : Personnellement, je n’ai jamais vraiment écouté d’indie-rock, sinon depuis 98-99, au moment de l’essor de la brit-pop. Auparavant, j’écoutais toute sorte de musiques.

Becki : On n’a pas une culture indie, et on ne cherche pas à faire dans le « genre » musique indie, même si on n’est pas sur une major… Notre musique est incroyablement différente du genre indie, à mon avis, parce que nos références sont plus anciennes, plus diverses.
Et que pensez-vous des groupes fabriqués par les maisons de disques et les médias, comme les Spice Girls par exemple ?

Gwenno : Les groupes Motown étaient déjà très manufacturés. Nous avons une approche objective de ce qu’est la pop music, d’où elle vient, et de ce que nous voulons être en tant que groupe pop, en tant que concept. Nous admirons Kylie Minogue, même si elle est manufacturée : elle sort de vraies pop songs, parfaites dans leur genre.

Becki : On est bien sûr plus proches des Spice Girls et des Beatles que de n’importe quel groupe d’indie rock. Nous sommes surprises qu’aucun groupe actuel n’ait eu l’idée de former un pop-concept-band soi-même.

Gwenno : L’idée derrière tout ça, c’est un peu de redonner la pop-music aux gens. Les majors ont pris le contrôle de la pop à tel point qu’on ne peut jamais vraiment la relier à nous, qu’elle ne nous appartient plus. Nous voulons être un grand groupe de pop, mais à notre manière. Nous voulons avoir le droit de nous manufacturer nous-mêmes.

Vous êtes un girls-band DIY en un sens ?

Gwenno : Oui, le punk nous a définitivement influencées en ce sens, en terme d’éthique.

Becki : Nous nous amusons aussi à créer de la confusion chez les gens : la plupart pensent que nous avons montés ce groupe pour des raisons d’argent, ce qui n’est pas le cas, puisque nous aimons vraiment la musique que nous faisons. Et le punk nous a influencé rapport à une certaine forme d’agressivité que nous déployons sur scène et dans nos textes. Et puis nous fonctionnons économiquement comme un groupe vraiment indépendant. Ca nous fait rire de voir les gens se demander encore si nous sommes le pur produit formaté d’une maison de disque… Nous avons passé des mois à tourner, à dormir dans un camion, ça ne correspond pas vraiment à la vie des pop-stars des majors… On n’a pas des chorégraphes et des cours de chants, on fait tout nous-mêmes ; en ce sens les Pipettes sont vraiment un groupe DIY. Même si on aime bien laisser planer une part de mystère à ce propos…

Par ailleurs, vos lyrics son parfois « explicites », ne collent pas trop avec la culture mainstream, très édulcorée, des Supremes par exemple…

Becki : Notre influence principale sont les Supremes, on ne s’en est jamais caché. Mais ce qui se passait dans les 60’s et ce qui se passe aujourd’hui, c’est complètement différent. Nos lyrics parlent de ce que nous vivons aujourd’hui en tant que jeunes femmes, on évoque notre expérience. Pour ce qui est des lyrics, qui peuvent être un peu sexuels, on s’est aussi inspirés des Shangri-La’s, dont le songwriter était homosexuel : il trouvait dans l’écriture des chansons le moyen d’exprimer ses désirs sexuels.

Gwenno : Il se passe la même chose avec les Pipettes : certains croient que nos chansons sont autobiographiques, alors qu’elles ont peut-être été écrites par un des gars qui jouent avec nous. C’est juste qu’elles sont universelles, et que chacun doit pouvoir s’y retrouver, s’identifier à nous. Ces chansons ont été écrites collectivement pour les Pipettes, pour ce concept de trois filles qui chantent et dansent ensemble. Sinon, notre idée était de moderniser le concept de girls-band en allant plus droit au but, en étant plus directe, dans nos attitudes ou nos textes. Cela reflète notre condition aujourd’hui. De la même manière, nous ne jouons pas des rôles dans la conversation, et pendant les interviews, nous sommes honnêtes et disons tout ce que nous pensons. Nous voulons que les gens comprennent que les Pipettes, c’est un concept que nous élaborons et développons nous-mêmes.

Est-ce que vous pensez que les Pipettes est un groupe féministe ?

Becki : Oui, il y a des échos de féminisme dans nos chansons. Mais nous ne le sommes pas ouvertement, peut-être inconsciemment. Nous sommes féminines, et on peut être féministe tout en restant féminine, bien sûr. Ce qu’on veut dire c’est que, en tant que femme aujourd’hui, on peut être féminine, franche, directe, parler fort, mais on n’a pas besoin de montrer nos seins ou être agressive pour choquer les gens. Aujourd’hui, alors que les femmes ne sont pas encore les égales des hommes, nous pouvons nous sentir libres, grâce à notre activité, sans être obligatoirement politisées. Nous ne voulons pas mettre les gens à distance ou les effrayer en étant ostensiblement politiques.

Gwenno : Nous avons la chance de vivre une époque où nous pouvons être libres de dire ce que nous voulons, de chanter ce que nous voulons, sans être agressivement féministe. Notre gaieté est une forme de déclaration politique.

Propos recueillis par

Lire notre chronique de We are The Pipettes