The French Cowboy, le nouveau groupe de Federico Pellegrini, bien que composé de quatre ex-Little Rabbits, semble tout à fait affranchi de la pop hexagonale et s’est mis en route pour un ouest américain en v.o., du côté de Tucson, Arizona, sur les terres du fidèle Jim Waters. Rencontre.

Chronic’art : Avec ce nouveau projet, The French Cowboy, tu restes entouré de membres de ton ancien groupe, The Little Rabbits, qu’est-ce qui imposait un nouveau nom ?

Federico Pellegrini : Hé bien, déjà, on n’est plus tout les six. Ensuite, il faut prendre les choses dans le bon sens… Quand j’ai arrêté les Rabbits, j’ai vraiment arrêté les Rabbits. C’est-à-dire que je ne voulais plus du tout continuer ce groupe et je voulais recommencer tout seul. A ce moment-là, j’en avait marre et je n’y arrivais plus dans ce groupe. Tous, d’ailleurs, nous n’y arrivions plus. C’était donc fini et, à ce moment-là, je me suis mis à écrire, pendant un mois, plein de morceaux. J’ai repris ma gratte classique, celle que j’avais à 17 ans. J’ai écrit plein de chansons. En anglais. Chantantes, quoi. Et tout ça sans but particulier. J’avais proposé au départ à Stéphane (Stéphane Louvain, l’autre membre des Rabbits qui assurait les compositions du groupe, ndlr) de venir chanter dessus et qu’ensuite on fasse un truc folk super immédiat. Pas pour le sortir sous forme de disque – ou alors un truc dupliqué vite fait – mais pour faire des concerts dans des bars. J’avais besoin d’un truc qui sorte vite et qui soit rapide. Et le truc, après, c’est qu’il y avait Héléna qui cherchait des compositeurs pour faire un disque, à droite, à gauche, et c’est Gaëtan (Gaëtan Chataignier, également membre des Rabbits mais aussi vidéaste et musicien de Katerine, Dominique A, ndlr) qui m’en a parlé. Alors j’ai décidé de lui passer tous les morceaux que j’avais fait en lui disant que si certains lui plaisaient, elle pouvait les utiliser. Je lui ai dit que j’avais, moi aussi, envie de les chanter mais que ça n’empêchait pas qu’elle puisse en prendre certains. Finalement, elle les a trouvés super et elle a voulu en faire un album complet en me proposant de participer au disque, notamment en assurant certains choeurs ou des secondes voix. Et puis c’est devenu vraiment un disque en tandem qu’on a fait comme ça et où elle m’a laissé le contrôle – chose dont j’avais besoin après une expérience de groupe – car elle a interprété les titres mais elle a imposé peu de choses si ce n’est dans la phase de mixage où elle m’a demandé de faire les choses plus comme ci, moins comme ça… Ca m’allait de faire les choeurs et qu’elle fasse les voix « lead », que ça fasse une sorte de disque en duo. Mais je voulais aussi chanter ces chansons par moi-même alors j’ai proposé à Gaétan, Stéphane et Eric (Pifeteau, ex-Rabbits également, ndlr) de jouer dessus, de faire quelque chose d’un peu folk mais qui ait quand même une certaine assise rythmique pour ne pas faire deux fois le même disque. L’idée était de sortir les deux disques en même temps. Donc, du coup, ça devait s’appeler autrement car ce n’était pas du tout un truc dans l’esprit des Rabbits. On était dans quelque chose d’autre et puis, aussi, par égard pour les gars : ce n’est pas parce que je faisais un truc avec trois anciens Rabbits qu’on allait reprendre ce nom-là. J’avais besoin d’une rupture véritable, aussi. Il fallait éviter les amalgames. Et ça m’embête parce que, même là, on est obligé de parler des Rabbits. Je trouve ça embêtant. C’est pas que ça te poursuit mais c’est dur, pour les gens, de ne pas faire le lien. Il y avait aussi le fait que moi je ne connais pas des milliards de musiciens et que, quoiqu’il arrive, on sait jouer tout les quatre ensemble, c’est très fort, depuis tout le temps. Ce n’est pas anodin. En ce me qui concerne, c’était quand même un virage, l’occasion de changer les choses d’une certaine façon.

A aucun moment tu n’as tenté de t’entourer de musiciens que tu ne connaissais pas, pour éviter l’amalgame justement ?

Non, parce que je ne me pose pas trop la question non plus. Au départ, c’était Stéphane… Après, quand il a fallu rajouter une batterie et une basse, je n’avais pas envie de chercher trop longtemps je ne sais où. Ce n’était pas un truc contre les différentes individualités des Rabbits. C’était l’entité que nous formions tous les six et l’habitude sous un patronyme qui finissait par faire qu’on était devenus une espèce de tank en fait. C’était nous six. Là, la force du truc, c’était que je récupère mon propre projet. Pas nécessairement d’une façon dictatoriale mais…

De ce point vue, The French Cowboy, c’est un groupe ou c’est toi en solo ?

Pour moi, c’est un groupe et c’est aussi un truc que je porte seul sur mes épaules. C’est un groupe parce que, forcément, quand tu joues en groupe, ça influence beaucoup la musique que tu fais. La preuve : l’album avec Héléna et l’album avec les gars sont deux albums complètement différents. Et puis quand tu écris des chansons et que tu sais que tu vas avoir autour de toi une batterie et une basse, tu te projettes dans une autre écriture. C’est à la fois un groupe mais c’est un groupe que je mène bien plus que les Rabbits. Car, dans les Rabbits, on était devenu six personnes dans quelque chose. Là, on est quatre mais je tiens à garder le cap, le contrôle. Pas pour snober le reste du groupe mais parce que c’est devenu un peu vital. J’avais besoin de ça et donc j’essaie de ne pas le perdre.

Tu me disais que, pour mieux comprendre les choses, il fallait les replacer dans leur chronologie. Or, pour ce projet, on a d’abord eu The French Cowboys, puis The French Cowboy & The German Dudes et enfin French Cowboy. Comment expliques-tu ces changement de noms ?

C’est venu petit à petit. Au départ, c’était French Cowboy parce que Jim Waters (producteur américain, notamment de plusieurs albums des Little Rabbits, ndlr) m’appelait comme ça à cause de mon beau chapeau. Donc les gars avaient proposé de s’appeler les German Dudes, comme une grosse blague, pour que ce soit un peu comme quelqu’un qui a un projet et qui a besoin d’un backing band avec un nom un peu particulier. C’était un peu comme Nick Cave & The Bad Seeds ou je ne sais pas quoi. Mais petit à petit, on a réduit le truc parce que plus tu as des noms à rallonge, plus c’est compliqué… Après, moi, ça ne me dérange pas : on est un groupe et l’important c’est que je me sente bien dedans ; que je puisse aller au bout de ce que j’ai envie de faire. Et French Cowboy, ça résume bien nous quatre.

Tu disais que tu avais eu l’envie de sortir deux disques identiques en même temps et, finalement, on retrouve dans ce disque quatre titres de l’album avec Héléna – cinq si on compte celui présent sur le EP – et d’autres morceaux. Ce sont des morceaux qu’elle n’avait pas choisi ?

Oui. Des trucs comme Leather boots, des morceaux qui n’étaient pas dans ce qu’elle pouvait imaginer pour elle. Mine de rien, comme je n’ai pas pu sortir les disques comme je l’aurais voulu et qu’il s’est passé un an et demi entre temps… Ca n’avait plus lieu d’être ! L’idée de disques « miroir » me plaisait beaucoup mais avec un an et demi de décalage ça a évolué, la vie a continué. Et plus ça allait, plus j’avais tendance à ne pas vouloir mettre trop de titres en commun.

Comment a été reçu le disque avec Héléna ? Je crois qu’il y a eu peu de concerts, par exemple…
Oui, tout à fait. Je crois que le disque a bien été reçu par la presse. En même temps, moi, une fois qu’un disque est sorti, j’essaie d’en savoir le moins possible à son propos. Je ne suis pas à l’affût de savoir comment il a été reçu. Mais, je sais qu’on a fait beaucoup de télé. Bon, aussi à cause d’Héléna parce que, par moi-même, je n’aurais pas fait beaucoup de télé. On a eu pas mal de papiers. Les gens qui nous ont vus à droite à gauche, les amis, ont bien reçus le truc. Mais… je ne sais même pas combien on en a vendu. Je n’en ai pas la moindre idée. Personnellement, je l’aime beaucoup ce disque en tandem. J’aimais bien le principe du squelette, un disque nu, avec deux voix différentes. Mais je peux comprendre qu’on trouve ça ennuyeux d’entendre un disque de trois quarts d’heure où c’est tout le temps deux guitares et deux voix… Je le comprends très bien ; c’est pas un truc dansant.
Avec ces projets, tu t’es orienté vers des répertoires quasi exclusivement anglophones. Il y a bien une ou deux chansons en français mais le répertoire est très globalement en anglais et on se retrouve un peu dans l’exact contraire des Rabbits où les derniers disques étaient en français avec parfois de l’anglais. Est-ce que, pour le moment, tu n’envisages la composition qu’en anglais ?

En fait je crois que je n’envisage pas tellement… Comme je te le disais, quand j’ai arrêté les Rabbits, j’ai repris ma gratte dans l’idée de « chanter ». Et quand je chante pour moi, c’est en anglais. J’ai du mal à être mélodique en français. Tout de suite, je me trouve très sceptique. Je trouve ça trop difficile et, dès que je chante en français, j’ai tendance à un peu moins être dans les mélodies. Or, après les Rabbits, j’avais vraiment envie de chanter, de retrouver quelque chose d’assez direct, des mélodies, des chansons assez simples, ce qui me manquait un peu à la fin des Rabbits. Ca me manquait de chanter des chansons : parce que j’aime ça, mine de rien. C’est un truc que j’avais un peu perdu. Et le fait de me retrouver seul, juste avec une gratte tout d’un coup faisait que je n’écrivais plus pour un carcan en particulier, je n’écrivais plus que pour moi. Avec aucun but spécifique, sauf celui de chanter. Donc, je me suis mis dans l’écriture en anglais, depuis deux ans, pour pouvoir chanter. J’ai tendance à chercher des mélodies qui me transportent pour pouvoir chanter dessus et là, j’ai tendance à les écrire en anglais. Par contre, après, j’aime toujours mettre quelques chansons en français car c’est quand même quelque chose qui te relie au monde dans lequel tu fais ta musique. Il y a quelque chose d’assez direct aussi, dans la parole, quand tu es français et que tu l’écoutes : un chat est un chat. J’aimerais bien faire aussi un disque en italien, tu vois… Pour moi, toutes les langues sont bonnes à prendre et chacune d’elle influe la musique qui va avec. J’aime bien l’idée d’exercice.

On a beaucoup parlé de ce qui montrait une rupture entre la période Rabbits et la période actuelle. Il y a peut-être une sorte de fil directeur, de point commun entre ces périodes, dans la personne de Gainsbourg dont on retrouve la marque un peu partout…

En fait, je ne sais pas… Tu vas me dire ton sentiment : Gainsbourg, est-ce que tu le retrouves dans La Ballade de Baby Face Nelson ou dans les trois chansons en français de l’album ?

Essentiellement dans La Ballade.

Voilà ! Parce que, là, c’est vraiment une boutade. Et c’est pour avoir souvent entendu dire que mes duos ressemblaient à du Gainsbourg que je l’ai fait et parce que Gainsbourg, c’est un des rares trucs français où je me retrouve. Enfin, c’est plutôt une musique que j’aime écouter qu’une musique où je me retrouve : je ne fais pas cette musique-là. Mais, là, sur ce titre, c’était trop évident. Quand ce truc m’est venu, « Tu t’appelles comment ? » , je me suis dit « : Merde ! Baby Face Nelson » ! Ca me faisait marrer donc je l’ai fait.

Ce serait une sorte d’horizon indépassable, pour toi, Gainsbourg, dans ce qui se fait en français ?

Indépassable, non. Je crois que, pour l’instant – et comme depuis longtemps -, je n’ai pas trop la curiosité du français, en tant qu’auditeur. Je n’écoute pas spécialement Gainsbourg, même si je l’ai beaucoup plus écouté à une époque. C’était une forme musicale dans laquelle je me retrouvais vraiment parce qu’il en a essayé tellement et qu’il a su mettre le français dedans assez heureusement. Mais, non, ce n’est pas indépassable. Je suis sûr qu’il y a des milliards de trucs formidables en français mais c’est mon oreille qui est comme ça…

J’imagine volontiers que tu as un rapport particulier au français car, dès le premier album des Rabbits, le seul morceau en français de l’album était une reprise : le seul morceau en français d’un groupe anglais, les Jazz Butchers…
Oui, c’est vrai. Mais je crois que le truc c’est que je viens quand même d’une culture anglo-saxonne et, quand j’ai commencé à écouter de la musique, c’était ces groupes et pas ce qui se faisait en France.

J’ai le sentiment que tes textes sont de nature différente selon qu’ils soient en français ou en anglais. Qu’en penses-tu ?

A mon avis, c’est lié à plusieurs choses. Premièrement, je ne maîtrise pas le français et l’anglais de la même façon. Quand j’écris dans une langue étrangère, j’écris avec mon langage dans cette langue étrangère. Donc, si je me mets à écrire des chansons en italien, j’aurais un vocabulaire encore plus restreint, qui ne me permet pas d’être précis. En anglais, j’ai une précision assez moyenne mais, par rapport à l’italien, je suis loin de la précision du français. Le français, c’est ma langue maternelle. Quand j’écris en français, je suis confronté à toute une culture de livres, de films et de chansons alors je suis obligé d’inventer mon monde particulier, pour que cela me plaise. Alors qu’en anglais, je crois que je peux être un peu plus middle of the road !

Est-ce bien d’Hemingway dont il est question dans Happy as can be ?

Oui, Le Vieil homme et la mer.

Je n’ai pas remarqué d’autres passages où tu citais une oeuvre : c’est ton auteur fétiche ?

Non. En fait, il y a pas mal de chansons, dans ce disque-là, qui sont dédicacées à une amie que j’avais, à la fac, qui est morte il y a quelques années ; il y a sept ou huit ans. C’était vraiment une super amie. On s’entendait vraiment bien et il se trouve que c’est un bouquin qu’on a étudié ensemble ; comme on se projetait tout le temps étant vieux – pas amants mais vieux amis -, je dis : « On ne sera jamais Le vieil homme et la mer« . Il y a pas mal de chansons qui lui sont dédiées.

Ce sont donc des chansons sans doute plus autobiographiques que ce que tu faisais avec les Little Rabbits ?

Oui, je crois. Justement, après qu’on ait splitté le groupe, j’étais dans une espèce de sentiment de mort, quand même. J’étais vraiment assez loin. Un peu perdu. C’est pour ça que tout est un peu mélancolique. Je crois que j’ai beaucoup puisé dans cette ancienne copine et je crois que je m’étais installé pour quelques temps dans une espèce de peau. Il y avait quelque chose d’assez fort là-dedans et ça baignait autour d’elle, à travers des souvenirs, une nostalgie de quelque chose. C’est très lié : la mort de cette fille, la mort du groupe. Et avec cette mort, un espèce de besoin de balayer, de nettoyer, de gratter. Parce que j’ai écrit toutes ces chansons très rapidement. J’étais content d’être un mois dans cette espèce de chemin de croix. Oui, un chemin de croix, parce que je n’étais pas bien du tout. Donc, oui, c’est assez autobiographique, sans l’être tout le temps puisqu’il y a quand même des chansons plus légères.

En l’entendant, on sent bien que c’est plutôt quelque chose qui a été vécu qu’inventé…

Oui, mais je crois qu’en quittant le groupe, j’avais besoin d’être honnête. Et c’est quelque chose que je garde encore aujourd’hui, c’est-à-dire que je crois que j’ai arrêté d’être cynique ce jour-là. Parfois, dans les Rabbits, j’avais une écriture un peu comme ça, comme une espèce de violence et de camouflage en même temps. Après les Rabbits, j’ai eu besoin d’être honnête, au moins envers moi-même. Et je crois que j’ai fait une croix sur le cynisme. Comme un moyen de défense que je ne voulais plus trop utiliser. Je ne veux plus de second degré. J’aime bien l’idée de se mettre à poil. J’aime bien les gens qui se mettent à poil, ça m’aide à vivre. Je me nourris beaucoup de choses comme ça, en ce moment. J’écoute beaucoup de groupes féminins, parce que j’ai l’impression que les filles sont beaucoup plus sincères que les gars. En ce moment, j’écoute en boucle le PJ Harvey. Pour moi, c’est énorme, c’est trop beau. J’ai l’impression qu’elle est encore plus sincère qu’auparavant. J’écoute Au revoir Simone aussi mais, je ne sais pas si ça rentre dans la catégorie… Je n’ai pas eu le temps de voir en détail de quoi ça parle.
A propos des femmes dont tu as besoin en ce moment, j’ai entendu dire que tu avais fait un clip avec les strip-teaseuses du Cabaret Burlesque…

Oui ! Mais, ça, c’est une idée d’Eric. C’est une bonne idée, en tout cas. Il leur a proposé de participer. On joue sur une scène et Gaétan a filmé. Il a filmé leurs numéros aussi et, petit à petit, les gens s’immiscent dans notre concert et ça devient un peu n’importe quoi, complètement débridé. C’était super. On a fait ça en un soir. Ce sont des gens formidables, ils sont incroyables. Elles sont totalement décomplexées, et ça les rend belles ! Parce que ces filles sont quand même de toute forme, elles ne rentrent pas dans des canons particuliers, mais elles vont tellement au bout de leur personnage… Et cette facette de leur personnalité a l’air d’avoir pris le pas sur leur quotidien, sur leur naturel. Elles sont là-dedans en permanence. Après, je ne sais pas comment ça se vit, ça. Mais il y a quelque chose de drôle : tu sais, elles sont toujours habillées comme ça (c’est-à-dire assez peu vêtues, ndlr) et, quand tu discutes avec elles, il y a quand même quelque chose de très naturel. Je me souviens de l’une d’entre elles, quand elle fait tomber quelque chose par terre, comme tout le monde elle le ramasse mais d’une façon tellement provocante – mais sans y prêter attention… ce que j’aime bien, c’est que c’est encore plus provocant. C’est comme ça. Et donc, tu peux parler tout naturellement avec une nana qui a des gros seins à l’air. Tu n’es pas du tout gêné et c’est marrant qu’elles arrivent à transmettre ça.

Tu en parlais un peu avant, en disant que le nom The French Cowboy & The German Dudes était un peu inspiré par Nick Cave & The Bad Seeds : je trouve que, dans la présence des choeurs, très bas et graves, et dans les ballades souvent mid-tempo, il y a aussi une forte influence de Nick Cave dans ce disque…

(L’air un peu surpris…) D’accord ! Non, c’était pas du tout un effet recherché. En fait, pour tout te dire, au départ, c’était tout le temps Stéphane qui faisait les choeurs et là, ce qui m’intéressait, c’était plus d’avoir un « tuyau » des trois. Jusqu’ici, Eric a chanté un peu mais très rarement ; et Gaétan presque jamais. En même temps, comme on a notre local, on peut chercher et s’entraîner et l’idée c’était que tout le monde chante, qu’on soit toujours trois chœurs. Alors quand ça ne fonctionne pas pour un, on va chercher la voix qui est à sa hauteur. Gaétan a une voix plutôt grave ou alors assez aiguë – il n’a pas un grand prisme mais deux possibilités : voix de tête ou voix grave -, Eric est plutôt dans les graves et Stéphane, lui, sera plutôt dans les aigus. En cherchant, ça a donné cette voix-là, on n’était pas dans une recherche particulière. Je crois que, pour chaque chanson, on a essayé de faire avec la voix de chacun, en chantant doucement, en essayant d’être harmonieux mais en utilisant le timbre de chacun pour arriver à quelque chose qui soit authentique, qui soit leur voix. Et c’était vachement bien. Parce que, du côté de la musique, on n’est pas allés dans des fioritures, c’est « no solo », l’important c’est cette sorte de mini-chorale et le fait de faire chanter des gens qui ne sont pas habitués à le faire. Et c’est vraiment inestimable car, en concert, je me retrouve avec tout le monde qui chante et, tout d’un coup, tout le monde est à fond parce que c’est pas pareil de ne jouer que d’un instrument. En chantant, tu es dans autre chose, c’est une autre dimension. C’est la dimension qui dépasse la musique, presque, puisque la musique reste assez squelettique. Mais, non, c’était pas les Bad Seeds. Mais, bon, on n’a rien inventé non plus.

Quel bilan tu tirerais de ta période avec les Little Rabbits et de ta période avec Héléna ?

Chaque expérience était importante. Il y en a eu une qui a été plus longue que l’autre parce que, mine de rien, avec les Rabbits, on a inventé notre métier presque à vie. On a commencé ensemble, ça a été notre premier groupe. On l’a gardé dix-sept ans, on l’a gardé tant qu’on a pu. On a réussi à tenir même si on n’a jamais vendu tellement de disques. On a réussi à tenir ça… et on s’est bien amusés. Et puis avec Héléna, c’était un peu la première fois que je tenais un truc, que je faisais un truc autrement qu’avec les Rabbits, que je menais de A à Z… C’était la première fois et ça m’a beaucoup servi. Parce que c’est important, je trouve, d’arriver à se fouiller au maximum, de faire ses propres erreurs, de n’avoir de compte à rendre qu’à soi-même. Il y a quelque chose que j’aime assez là-dedans. On bossait en trio, moi, Héléna et Jim, mais j’avais leur confiance. Ca m’a fait gagner en assurance.

Qu’est-ce qui vous a conduit à créer votre maison de disque, en ces temps téléchargeables ?

Je crois qu’il y a plusieurs raisons à ça. D’abord, à mon avis, notre âge : on se sent capable de mener plusieurs choses de front autour d’un projet. Il y a l’équipe que l’on forme car on est quand même huit. On est des personnes assez différentes, avec une volonté particulière. Il y a dix-sept ans que l’on travaille avec des maisons de disque et tant qu’on était un groupe d’individualités, on se laissait porter par ça mais à partir du moment où tu t’arrêtes et que tu réfléchis un peu, tu te dis que cette grosse maison de disque, elle ne nous aurait jamais emmené nulle part ! Le rapport que j’ai eu avec Barclay, c’est quoi ? C’est : « Vous êtes un groupe français ? Nous, on sait travailler les groupes français… en France ! ». Sauf que, nous, on était l’éternel « groupe en développement » et en fait, on était presque toujours aux antipodes de nos fantasmes. Moi, ça m’est égal de vendre 10 000 albums en France, même 5 000, même 2 000. Pour moi, l’important, c’est d’en vendre un peu partout, même si c’est 1000 là, 3000 ici, et 2000 là. L’important, c’est de voyager en faisant de la musique, de rencontrer d’autres cultures. Et tout ce format que nous proposait Barclay, ça peut marcher pour des Florent Marchet ou des gens qui… – euh… j’ai dit « Florent Marchet » pas spécialement contre lui en particulier mais parce que je disais « Ca peut marcher » et « Marchet », ça m’est venu comme ça ! (rires). Ce que je veux dire, c’est que ça va pour des gens qui s’inscrivent dans une chanson française. Après, tu élargis aux pays francophones et puis après… Pour nous, ça ne marche pas ces trucs-là. On était trop spéciaux. A la limite, notre musique actuelle peut intéresser autant un français qu’un allemand. Petit à petit, on s’est dit que si on montait notre structure on allait s’acoquiner avec un distributeur qui sera à notre taille et avec d’autres gens qui sont à notre taille et qui ont le même engouement pour les mêmes choses, la même volonté. C’est super palpitant. Quand on l’a rencontré, on a fait le constat qu’on parlait de la même chose avec notre distributeur. Nous, on invente notre façon de faire, petit à petit.

Et Havalina Records, c’est destiné seulement à sortir vos disques ou vous avez l’intention de présenter une écurie d’artiste ?

Au départ, l’idée est d’apprendre à le faire, autour de ce disque. Mais, très vite, on est dans le fantasme de sortir des singles avec des copains de Tucson, des split singles… Là, notre prochain truc prévu, c’est un split single avec Al Foul. (voir son MySpace). Et puis on veut sortir son album, en fait. Ce sera avec nos moyens, bien sûr. Le truc intéressant, c’est qu’on défend autant le groupe que le label et que notre prétention de sortir des choses un peu « minus », comme ça, ça motive également nos distributeurs. Donc ce n’est pas vraiment une écurie mais c’est une manière de dire : « Voilà ce que l’on propose, voilà ce que l’on veut faire », et ça permet de fidéliser un peu les équipes. On est un peu dans tout ça, de front.

Katerine et Dominique A ont démarré en même temps que vous, plus ou moins : quel regard portes-tu sur leurs parcours respectifs aujourd’hui ?

On a commencé en même temps mais on a toujours un peu été en marge de ces deux lascars. Ils ont eu des parcours un peu parallèles. Et finalement chacun à sa sauce. Philippe serait un peu McCartney et Dominique A serait plutôt John Lennon ! (rires).
Il va mourir de bonne heure alors ?

Je ne sais pas. Mais c’est dans ce que je pouvais projeter d’eux deux. Deux personnes qui peuvent partir non pas d’un univers commun mais qui ont quelque chose en commun. Après, c’est peut-être plus dans leur démarche…

C’est peut-être parce que je vois les choses différemment de toi que je suis dans une autre perspective. Je trouve que Dominique A a accédé finalement assez rapidement à une certaine renommée puis à une grande exposition avec La Mémoire neuve, qui semble l’avoir mis en difficulté au point de devoir faire Remué ensuite – et on le sent encore dans une période un peu intermédiaire -, tandis que Katerine a eu un parcours beaucoup plus progressif avec une explosion populaire tardive mais qu’il semble mieux gérer et digérer…

Mais je crois que Philippe il était dans ce fantasme-là depuis le départ. Je m’en rappelle, dès les premiers temps. Il a tout de suite été d’accord pour passer chez Jacques Martin. Dominique A, il est plutôt dans l’excès inverse. Dans une maîtrise de son image… Enfin, l’un et l’autre sont dans une maîtrise de leur image mais Dominique est peut-être plus dur avec lui-même. Le jour où il a sorti ce single, Twenty-two bar, c’était bien. Ce n’était pas une chanson honteuse mais il l’a mal vécu. C’est dommage parce qu’un single comme ça te permet de faire découvrir les chansons qu’il y a autour. Et puis, ce n’était pas un truc de pute, il ne faut pas exagérer ! Mais, bon, je ne sais pas trop. Et puis, tu sais, j’en ai marre de faire des interviews où on parle pendant une demi-heure de Dominique A et de Katerine (rires). Je ne sais pas si ils parlent tellement de moi, dans leurs interviews (rires).

Si, bien sûr, mais la presse le censure, évidemment ! Pour finir là-dessus, Dominique et Katerine ont choisi de quitter Nantes pour poursuivre leurs carrières alors que vous êtes restés à Nantes : est-ce que cela a changé quelque chose à la carrière du groupe et était-ce une volonté de rester provinciaux ?

Je ne sais pas si ça a changé quelque chose à notre parcours. Déjà, eux, ce sont des individus et nous comme nous étions un groupe, c’était important d’être au même endroit. Si tu veux travailler ensemble, c’est plus dur par correspondance, avec les voyages en train et tout ça. Après, moi, je ne pourrais pas vivre à Paris. Dans une autre capitale, peut-être mais… En même temps, j’aime bien les villes comme Nantes. Avant, j’ai habité à Rennes, puis Angers. Et puis je ne crois pas que tout se passe à Paris. Je crois que c’est une des villes que je déteste le plus en France. Je n’aime pas la mentalité des gens, le public. Bon, le public de Nantes est particulier parce qu’on est de Nantes : tu joues dans la ville où tu connais plein de monde alors c’est assez particulier, évidemment. Mais le public de Nantes, c’est le même que celui des autres villes de province : il y a un bon esprit. A Paris, tout à coup, c’est différent. Je vais te raconter un truc : un fois – je ne sais pas comment je me suis retrouvé là-dedans -, je suis allé au Paris-Paris, on m’avait dit que c’était LA boite la plus branchée de Paris et quand je suis rentré là-dedans, je me suis dit : « Merde, Paris, c’est ça !? ». Je ne sais pas si tu es allé dans des boites à l’étranger mais quand on t’indique une boite branchée, que tu y vas, je ne sais pas, il y a quelque chose ! Là, tu arrives dans des espèces de pseudo-merdes, soit-disant hype et qui sont horribles… Voilà ! Pour moi, Paris, c’est ça. Après, c’est évident qu’il y a des gens cools mais moi, je me sens bien dans des villes plus petites et où tu restes anonyme. La semaine dernière, on s’est retrouvés à faire de la promo et on a finit dans une soirée du Mouv’, je crois que c’était pour leurs dix ans : c’est pas mon truc, ce genre de machins. Tu croises dix losers au mètre carré et tout le monde essaie de faire son petit truc là-dedans, de gratter… Au bout d’une demi-heure, tu te demandes ce que tu fous là et tu sautes dans un taxi !

En tant que Nantais et musicien professionnel, tu penses quoi du développement de la zone du Hangar à bananes concomitante à une application plus stricte des limites de bruit et d’heure appliquées aux bars musicaux du centre ville ?

Le Hangar à bananes, j’y suis allé deux ou trois fois et c’est vraiment pas ma tasse de thé. Je ne sais pas si c’est du racisme ou quoi mais je n’aime pas trop la population que tu y croises. J’ai l’impression de me retrouver un peu dans une fête « tonus ». Quand tu es là-bas, il y a autant de monde dehors que dedans mais il y a tout à inventer car ils ont tout pré-inventé. Il y a soi-disant des bars à thèmes. Ca me fait penser à ces soirées tonus qu’on faisait où les types inventaient des bars à thème : des fois, on allait jouer dans des trucs comme ça, on faisait des hold-up parce qu’ils avaient plein d’argent. Et tu avais un bar à thème sur tel délire, un autre bar à thème sur tel autre délire alors que, pour moi, le B-A BA d’un bar, c’est de s’inventer en permanence. Il y a des bars que j’aime vraiment parce que, petit à petit, en y allant, tu rencontres le gars qui le tient. Et puis, tu en parles à tes amis : « Tiens, en ce moment, je vais là-bas et c’est pas mal », et tu peux emmener tes amis découvrir ça et la population s’invente. Au Hangar à bananes, j’ai l’impression qu’ils ont voulu inventer quelque chose mais sans savoir aucune connaissance de comment les choses s’inventent.

Ex-nihilo !

Ouais ! Et puis, mettre comme ça sept bars côte à côte, c’est presque gerbant.

En fait, je pensais aussi au sort qui était fait aux bars musicaux du centre-ville, avec ce phénomène des vases communicants qu’on peut craindre : tu as ce lieu où tu peux jouer du métal ou ce que tu veux, très tard, et les bars du centre ville où même un concert acoustique doit s’arrêter à 22 heures sous risque de représailles… Ca, c’est une autre sorte de hold-up…

En ce moment, c’est ça ? Moi, je trouve ça déplorable parce qu’un centre ville, il faut que ça vive de tout et il faut que ça vive aussi de la nuit. Des ambiances de bar, des endroits où tu peux aller à pied. Quand tu habites dans le centre ville, ce n’est pas parce que c’est censé être un endroit de vieux, ça doit être aussi un endroit pour les vieux mais pas seulement. Ca doit être un endroit de mélange. Et puis, bon, quand tu y penses, c’est quand même super d’aller voir un concert dans un bar. Bon, je ne suis pas trop au courant de ce qui se passe mais si vraiment il y a cette envie de vases communicants, ce n’est pas bien : là-bas, tu n’as pas envie d’y aller. Attends qu’il fasse un peu froid et tu auras encore moins envie d’y aller. Tout le monde ira en bagnole là-bas parce que personne n’habite là-bas, il y aura les flics tout le temps. C’est grotesque ! Si les bars du centre ville ont eu un peu peur de ça, je crois qu’ils doivent être un peu rassérénés aujourd’hui. Ils doivent voir revenir leurs clients.

Toi qui a souvent chanté l’abus d’alcool, tu penses quoi du projet de plan anti-alcool envisagé par le Préfet et relayé par Jean-Marc Ayrault ?

Moi j’aime boire, j’aime fumer, j’aime l’ébriété. Je n’aime pas tout le temps être bourré non plus. Mais je trouve que c’est des moments de grâce aussi, parfois. Et je trouve que ça fait partie de la vie. Après, il faut éviter de conduire, bien sûr, mais sinon, tu peux te balancer dans l’Erdre, c’est ton problème, quoi ! (rires) Et puis tomber dans le coma parce que tu as trop bu, ben voilà, c’est un tout. J’ai l’impression que ça a toujours existé ce truc-là. Ce n’est pas en faisant des plans anti-tout ça que ça va changer quelque chose. Ou alors, il faut carrément arrêter de les vendre, ces produits. Mais ce serait horrible : je ne crois pas qu’il y ait des sociétés qui aient vécu sans ça. Tu ne peux pas être dans la réalité tout le temps. Pour moi, c’est quelque chose d’important. Etre dans ce genre d’excès ou ce genre d’exaltation. Il faut faire cohabiter ces deux mondes-là. Il faut vivre avec. D’ailleurs, je crois que les élus aiment bien boire des coups, tu sais. N’empêchons pas ça !

Propos recueillis par

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