Le label marseillais BiP-HOp fête ses 10 bougies d’été cette année 2009 et son fondateur en profite pour rappeler qu’il célèbre également ses 25 années d’activisme musicale. Point central du projet Strings Of Consciousness, le frenchie Petit et son label BiP-HOp est a l’origine de nombreux albums classiques (la série « BiP-HOp génération », pour ne citer qu’elle…) qui réunissent des artistes des quatre coins du globe, tels que Goem, Schneider Tm, Marumari, Phonem, entres autres… Avec un catalogue qui n’a rien à envier à ses concurrents étrangers (Touch, Fat Cat, Sub Rosa ou encore Staalplaat…), Petit continue son grand bonhomme de chemin avec brio. Rencontre et questions sur son univers musical, de Strings of Consciousness à BiP-HOp en passant par Pandemonium Records, Lydia Lunch, Oxbow Foetus et autres trublions merveilleux…

Chronic’art : Vous fêtez 25 ans d’activisme. Pouvez-vous narrer vos débuts dans l’industrie du disque, notamment la création et le développement de Pandemonium Records ?

Philippe Petit : Tout s’est fait par étape car je ne voulais pas rester simple spectateur et souhaitais partager les musiques que j’aimais. Donc j’ai démarré une émission radio, puis je copiais des compil-k7 à pas mal de personnes, puis commencé à passer des disques en soirées, puis du fanzinat, et autres articles pour la presse nationale. En plus de piges hexagonales je contribuais à une quinzaine de mags étrangers. L’un d’eux, Merlin’s Music Box, basé à Athènes comptait parmi les premiers en Europe à mettre en avant Fugazi, Sonic Youth et autres Mudhoney, et j’avais réussi à persuader son rédac de me laisser assembler une compilation en demandant à plusieurs des groupes que nous soutenions de nous donner un morceau. Pour l’occasion je voulais trouver un nom qui vienne du Grec et le choix se porta tout naturellement sur Pandemonium, qui dans la mythologie signifie « la capitale imaginaire des enfers ». Dans notre langage moderne le Pandemonium est « un état où règne le bruit et le désordre », deux définitions qui allaient bien avec les musiques que je souhaitais publier. Au bout du compte Merlin’s Music Box s’est éteint, avec lui le projet de compilation, mais de mon côté j’ai tout de même démarré le label. Au départ soutenant les meilleurs groupes français : Drive Blind, Condense, Hint et très vite s’ouvrant aux internationaux : Unsane, Ruins, Guapo, Cerberus Shoal, Flying Luttenbachers, et bien d’autres… En 1993 Pandemonium Rdz. avait pour but de documenter les scènes Post-HC, Noïz, Experimentales, puis au fil des ans il s’est ouvert aux ambiances, aux « musiques cinématiques » belles et envoûtantes, mais en règle générale aux sons qui sortaient des sentiers battus, hors norme et neufs. Une musique parallèle pour des sentiments perpendiculaires.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussées à créer BiP-HOp Records et quels sont les artistes et les moments importants de votre label ?

De plus en plus de disques intégrant les technologies électroniques sortaient sur Pandemonium, cela avait démarré en 96 par un LP de remix de Hint, puis le seul album d’Alboth ! composé uniquement par ordinateur, les Spaceheads, Andy’s Car Crash… Pandemonium Rdz. tournait plutôt bien, une sorte de routine s’installait et j’éprouvais le besoin de repartir de rien, tenter ma chance dans d’autres scènes parallèles. Ainsi naquit BiP_HOp et le plus important reste que ce nouveau départ me donna le coup de fouet dont j’avais besoin pour retrouver la passion initiale et me plonger à fond dans l’aventure.

Vous avez développé un label qui a des ramifications aux quatre coins du monde, comment s’est étendu votre réseau au cours des 10 dernières années ?

Je pense que ma plus grande richesse est de me lever le matin libre de toutes contraintes extérieures, libre de mener ma journée comme je l’entends, libre de tisser mon réseau en échangeant avec d’autres activistes fans de musique. Chaque jour de nouveaux liens se font ou se défont, ce qui m’importe c’est que tout ça reste naturel.

BiP-HOp fête donc ses 10 années d’existence, comment présenter votre label à ceux qui ne le connaissent pas ?

BiP_HOp est un webzine, une émission radio, une structure organisant soirées / concerts, et surtout un label qui s’attache à diffuser les musiques électroniques contemporaines aventureuses et créatives, les aventures sonores non conventionnelles, croisements entre l’instrument et la technologie digitale… Nous nous sentons proches des gens qui achètent nos disques (ne partageons-nous d’ailleurs pas la même passion ?!) et essayons de leur proposer des sons de qualité dans de belles pochettes, vendus à un prix honnête.

Le magazine anglais Wire vous a confié son sampler pour l’édition de mars 2009. Comment s’est organisée la concoction musicale de ce disque ?

BiP-HOp a toujours souhaité lutter contre le côté autiste présent dans les musiques électroniques, trop souvent faite en solo, manquant d’avis extérieur.… Donc il y a de cela quelques années j’avais lancé une série visant à documenter le procédé de la réciprocité :[reciprocess : +/vs.]. Chaque volume présentait deux metteurs en sons se remixant, collaborant, et présentant leur travail solo. Quand est venue l’idée de faire un disque qui serait donné avec le prestigieux magazine The Wire pour célébrer les 10 ans du label et ma longue période d’activiste j’ai naturellement pensé que collaborer avec des amis, musiciens et compositeurs de talent, serait un bon moyen de réaliser un disque qui sorte du lot. Le résultat a dépassé mes espérances puisque nous avons produit 18 collaborations et quasi 80 minutes de musiques exclusives avec Lydia Lunch, égérie new-yorkaise du mouvement No Wave qui lança Sonic Youth. Il y a aussi Eugène Robinson, chanteur du cultissime groupe Oxbow qui à plus de 10 albums à son actif. Simon Fisher Turner, acteur, poète, et musicien signé chez Mute. Cosey Fanni Tutti, performeuse depuis les années 70 et figure de proue du mythique Throbbing Gristle, une légende. Sybarite, signé chez 4AD et grand compositeur de musiques de films. Si-cut.db, l’apôtre anglais du Dub Digital et Techno épurée, qui publie des disques depuis plus de quinze ans. Jason Forrest, troublion des scènes Breakcore qui se produit partout dans le monde. Bela Emerson, violoncelliste anglaise récemment signée chez BiP-HOp. Justin Broadrick (Techno Animal), premier guitariste de Napalm Death, puis Godflesh et qui aujourd’hui connaît une florissante carrière sous le pseudo Jesu. Klangwart: duo Berlinois emmené par le patron du label Staubgold. Chapter 24, groupe d’Athènes qui vient de fêter 25 ans de carrière. dDAMAGE, duo parisien qui fait beaucoup de bruit et sort ses disques sur de prestigieux labels internationaux. Aidan Baker est canadien et auteur d’une vingtaine d’albums sous son nom ou en duo avec Nadja. Kumo est anglais signé chez Mute et collabore avec le légendaire Irmin Schmitt de Can. Et bien sûr Strings of Consciousness…

Vous officiez donc au sein du groupe Strings of Consciousness, pouvez-vous décrire les envies musicales du groupe, sa genèse et votre rôle en son sein ?

Strings Of Consciousness s’envisage comme un collectif emmené par Hervé Vincenti et moi. Hervé compose les bases à la guitare puis nous nous retrouvons et travaillons les finitions, parties électroniques, la direction que doit prendre le morceau. Ensuite nous faisons appel à des amis instrumentistes qui font preuve d’inventivité et utilisent leur instrument sans abus de démonstrations techniques, préférant le détourner, jouer sur les textures ou les sonorités qui s’en échappent, tout en sachant en préserver la musicalité. Musicalité reste le maître mot puisque nous souhaitons composer des musiques qui résistent aux écoutes répétées et surtout pas uniquement expérimenter. Pour cela nous avons décidé d’élargir nos possibilités en invitant quelques amis à poser leurs voix/textes. Mon idée était de ne demander qu’à des chanteurs capables d’écrire de vrais textes et ayant une voix forte, différente. Les morceaux sont donc chantés par Lydia Lunch, J.G. Thirlwell (Foetus), Scott McCloud (Girls Against Boys), Cosey Fanni Tutti, Eugene Robinson (Oxbow), Lisa Smith-Klossner, Pete Simonelli (Enablers), Pantaleimon, Black Sifichi ou Barry Adamson (Magazine/Bad Seeds / Gun Club/Visage…). Notre envie est de ne pas toujours avancer dans la même direction, prendre des risques, surprendre et nous renouveler. Tant que nous aurons l’impression d’y parvenir nous continuerons.

Contrairement à des labels comme Goom, Noise Museum ou encore Active Suspension, créés à peu près à la même époque que votre premier disque, vous existez encore aujourd’hui. Quelles ont été, à votre avis, les erreurs de ces trois structures françaises ?

Je ne suis pas du genre à donner des leçons ni ne me permettrai d’analyser les choix des trois labels cités, puisque des erreurs tous les humains en font et le moyen d’avancer dans la vie est de justement en tirer leçon, de faire les bons choix. Les raisons pour lesquelles ils ont choisi d’arrêter leur appartiennent mais en ce qui me concerne si je suis encore là c’est parce que la passion reste le moteur principal du label, je n’ai pas cherché à en vivre directement et donc n’ayant pas pour obligation de rendre des comptes ou de débloquer un salaire mensuel, les considérations bassement économiques, le côté commercial reste au second plan.

Quel est votre dernier disque sorti dans les bacs ?

Les deux dernières parutions sont l’album de la violoncelliste Bela Emerson, son quatrième. L’Anglaise alterne parties très musicales avec toutes sortes de frottements, crissements, tire tout le registre des cordes amplifiées ou acoustiques : résonances, mélodies, percussions, cliquetis, drones… étirant les possibilités de son violoncelle qui grogne, proteste, lancine sous les caresses de l’archet. Simultanément est paru le neuvième volet de la série BiP-HOp Generation qui une fois de plus rassemble 6 formations internationales et pousse encore plus loin l’alliance de l’acoustique avec le digital. Y figurent les allemands Kammerflimmer Kollektief, l’Anglais Spaceheads, Andrey Kiritchenko qui vient d’Ukraine, Illàchime Quartet d’Italie, Hauschka & Antenna Farm réunis pour la première fois, et l’Australien Adrian Klumpes bien connu pour être membre de Triosk.

Quels sont vos projets musicaux pour 2009 ?

Après 25 ans passés à promotionner les musiques des autres je vais donner la priorité aux miennes et mon premier album « Philippe Petit scores Henry The Iron Man » paraît chez Beta Lactam Ring (détails sur www.blrrecords.com/). Il y a aussi l’album en collaboration avec James Johnston (Gallon Drunk / Bad Seeds / Faust) qui arrive chez Dirter Promotion titré James Johnston & Philippe Petit : fiends with a face (détails sur http://www.dirter.co.uk/). Il y a également un vinyle picture disc documentant ma collaboration avec Cosey Fanni Tutti (Throbbing Gristle) qui sort chez Optical Sound en juin 2009 (infos sur www.optical-sound.com/). Ah oui, sans oublier l’album Lydia Lunch & Philippe Petit : Twist of fate qui paraîtra en 2009 (infos sur www.myspace.com/lunchp). Merci pour l’interview…

Propos recueillis par

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