L’excellent webzine nantais Autres Directions (chroniques, interviews, MP3s) est aussi depuis peu un label de musique électronique, Autres Directions In Music, dont Seasonal LP de Dudley est la deuxième sortie, après le très joli Parthenay EP de Mélodium. Entretien avec son fondateur.

Chronic’art : Comment est venue l’idée de créer un label de MP3s ?

Stéphane Colle : L’idée nous est venue naturellement. Nous avons, dès 2001, souhaité faire d’Autres Directions une plateforme de diffusion qui comprenne un fanzine, une émission de radio et, à terme, un label. Le fait d’utiliser des MP3s s’est imposé de lui-même dans les conditions actuelles : Internet nous permet une diffusion mondiale et gratuite. En temps que label indépendant en France, il reste possible de trouver un distributeur national, voire même dans certains pays étrangers, mais le nombre de personnes touchées est inférieur aux nombre de personnes connectées. D’autre part, quel intérêt y a-t-il à faire un disque qu’on trouvera dans à peine une dizaine de supermarchés culturels français, pendant 3 ou 4 mois avant qu’il ne soit écrasé par la masse de nouveautés ? Est-ce cela que de défendre un artiste ? Nous nous sommes portés sur le format MP3 car il est le plus courant et le plus connu des formats audio disponibles sur le Net. Enfin, le label de MP3s ou Web label est aujourd’hui chose assez courante, mais de notre connaissance aucun ne va suffisamment loin dans une démarche qui caractérise un label à savoir la création d’une identité esthétique, variation des formats, émergence d’une petite famille musicale marquée par des collaborations entre les différents artistes, promotion…

« We believe more than relevant today to provide people with means of accessing artistic creations for free and in an official manner ». Peux-tu développer ? Quel caractère de nécessité à officialiser cela ?

Toutes nos activités liées à la musique, comme notre premier fanzine papier par exemple, ont toujours été bénévoles et accessibles gratuitement. J’ai voulu continuer sur cette lancée. Dans une certaine mesure, l’accès à la culture pour tous est quelque chose à quoi on ne peut qu’aspirer. Internet diffuse bon nombre de musiques publiées dans le commerce. Et bon nombre qui ne le sont pas. Nous lui fournissons nous-mêmes des musiques gratuites à diffuser. Posséder sur son disque dur les disques d’Autres Directions In Music, les partager avec d’autres, c’est légal et recommandé. Les logiciels peer-to-peer semblent avoir sensiblement modifié les comportement des « consommateurs de musique » : il permettent de développer la curiosité de chacun, la découverte et, encore une fois, la diffusion des musiques. C’est une médiathèque à domicile qui ne fera que se vulgariser. Et un atout de taille pour ceux qui veulent faire connaître leurs oeuvres.

En quoi la numérisation et l’immatérialité selon toi modifie-t-elle la perception de la musique ? Des musiciens ? D’un label ?

Je pense, dans notre cas, que le fait que la musique soit légalement gratuite ou pas ne change rien dans la façon dont elle sera abordée. Sur Internet, tout est gratuit. Pour un musicien non plus, je doute que la gratuité change grand-chose à la perception qu’on peut avoir de ses travaux. Les comportements changent, et ce même chez les initiés. La gratuité facilite l’accès à une musique. Pour nos disques, la perception de cette dernière est fonction du format qu’on lui confère par la suite. Si l’auditeur se fabrique une pochette et se grave le disque, il peut être plus attaché à l’objet qu’il a lui-même confectionné qu’à n’importe quel CD acheté dans le commerce. Pour un label, c’est assez différent. Le mot label reste associé à l’idée de maison d’édition. En offrant gratuitement nos produits étiquetés Autres Directions In Music, on passe facilement pour un label au rabais. Certains restent attachés à l’objet (même « enchaînés »), ou ne sont pas coutumiers du « DIY » (« Do It Yourself »), ou bien ils méprisent la démarche parce que l’objet n’est pas « noble ».
Personnellement, je n’ai pas d’affection pour le CD et pour les boîtiers cristal. Un objet fabriqué à la main possède un tout autre cachet. Et puis j’aime cette idée que les auditeurs puissent faire comme ils le désirent. Le disque peut ainsi être gravé sur CD, laissé sur disque dur, enregistré sur minidisc, etc. De même, chacun est libre de se créer sa propre pochette ou bien d’imprimer celle fournie sur papier cartonné blanc ou de couleur… A chacun de faire selon son désir. C’est interactif, et Internet privilégie les contacts entre les auditeurs et les artistes. Encore un détail, que je tiens à préciser : le label n’est en rien propriétaire des morceaux des artistes, qui peuvent les rééditer ailleurs si bon leur semble, à partir du moment où on peut, nous, continuer à les proposer en téléchargement.

Quel avenir, quelle viabilité économique possible pour de tels projets ? Quelle vision politique et sociale cela induit-il ?

Les artistes ne vivent pas de leur musique à moins qu’ils ne soient sur une major, et encore… Combien d’artistes indépendants émergent aujourd’hui ? Je ne sais pas quel genre de rapports ont les Web labels et autres « vrais » labels avec leurs artistes… Nous, nous aidons nos artistes, financièrement s’ils le souhaitent en les encourageant à s’inscrire à la SACEM, en les aidant à mettre en place des collaborations avec d’autres artistes, en promouvant leurs disques et en diffusant leurs musiques… A terme, on voudrait évidemment leur trouver des dates, surtout pour Depth Affect (duo d’abstract hip-hop & troisième sortie). Pour nous l’investissement n’est pas si important : 100 euros pour la promo, c’est l’investissement minimal. C’est ce que nous avons fait pour le Parthenay EP de Melodium. Pour l’album Seasonal de Dudley, les frais ont été plus importants car nous l’avons aidé un peu, nous avons également embauché un copain pour refaire le son, sans compter la promo, et le disque est revenu à 200 euros environ. Ce sont de petites sommes par rapport à un label qui sort des disques. Nous préparerons aussi des exemplaires pour vendre lors des concerts : ici, les bénéfices sont reversés au groupe. Nous en avons placé, sous forme de kit, chez le disquaire Box Elder à Nantes. Peut-être en mettrons nous ailleurs. On s’autofinance, on perd forcément de l’argent mais pas trop. Ce fonctionnement ne nous permet pas d’en gagner, mais simplement de poursuivre ce que nous faisons. Et c’est peu cher payé pour la liberté de fonctionnement que l’on a. Je suis en rapport avec quelques labels en France et leurs projets sont souvent limités en nombre, tout est très planifié, les disques sont très chers à produire, surtout à cause de la SDRM. Nous ne voulons pas d’un tel fonctionnement. Tant qu’à faire cela par passion, nous souhaitons continuer à multiplier les projets, à faire les choses qui nous semblent intéressantes sans épée de Damoclès au-dessus de la tête. Cette année va être très chargée. Nous avons lancé de grands projets, de multiples sorties sont prévues, et surtout, il s’agit d’inscrire notre démarche dans une certaine continuité, de montrer qu’on ne fait pas de l’événementiel. Cette démarche n’est pas égoïste, au contraire, elle sert l’artiste. Il s’agit de tout faire pour que les mentalités changent. Et notamment celles des médias. Enfin, nous remettons nous-mêmes en question cette démarche, notamment avec les artistes, nous en discutons beaucoup. Nous n’avons pas la prétention d’apporter une réponse convaincante à la situation actuelle. Cela reste une démarche artistique, même si elle passe par un contournement du système.

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Seasonal LP de Dudley et Parthenay EP de Mélodium.
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