Intrigué par la beauté sereine de son premier album, L’Incroyable vérité, nous avons rencontré Sébastien Tellier, 25 ans, pour tenter de percer cette énigme musicale. Notre homme a trouvé refuge chez Record Makers, le nouveau label de Air, pour y développer en toute confiance son projet artistique. Bières et cigarettes s’enchaînent pour dissiper l’embarras du jeu promotionnel…

Chronic’art : On sent une très nette influence de Robert Wyatt dans tes chansons. L’absence de batterie est-elle une référence volontaire à Rock bottom ?

Sébastien Tellier : Effectivement, on me compare souvent à Robert Wyatt… En réalité, quand j’ai commencé mon album, je ne connaissais ni Wyatt ni Rock bottom. Après, lorsqu’on a évoqué ce rapprochement, j’ai découvert Wyatt et j’ai adoré. On peut ressentir une certaine parenté mais je trouve que dans le fond, ce n’est pas du tout la même came. Moi, c’est tout pour la flambe et le style, les trucs de Godard et Heidegger : « Le style, c’est l’homme, l’homme c’est le style. » Wyatt dans le fond, c’est de la complainte. Moi, c’est de la démonstration de style. C’est très différent. Rock bottom est un chef-d’œuvre surpuissant, la comparaison n’est pas gênante. Ce qui m’embête, c’est que l’on puisse croire que je n’ai pas créé ma musique, alors qu’en fait, tout ce qu’il y a sur mon disque est vraiment de moi. J’ai toujours fui l’idée que l’on puisse m’acoquiner avec d’autres artistes. J’ai toujours voulu réaliser quelque chose de personnel. Cette première œuvre publique va déterminer toute ma carrière. Mes prochains disques seront comparés à cet album. Je devais donc faire une musique extrêmement vierge de toute souillure, de tout défaut de style. A partir de ce point de repère, je vais pouvoir me lancer dans toutes les directions.

Pourrais-tu parler de Trilogie chien et Trilogie femme ?

Dans la Trilogie chien le chien, c’est l’homme. Je n’ai jamais aimé les chiens, ça m’a toujours dégoûté les gens qui roulent des pelles à leurs chiens. En revanche, il y a un rapport musique-chien, il y a une complicité énorme entre le personnage du chien et la musique. Le côté romanesque du chien (le chien qui a une petite aventure amoureuse, le chien un peu tristounet ou très content), c’est une bonne caricature de l’homme. Il y a toute une tradition dans la musique, je n’ai pas été le premier. J’ai l’impression d’appartenir à la grande tradition de la musique pour chien ou musique à chien (rire) ? Il y a Snoop Doggy Dog, Mademoiselle Nobs des Floyd, Hey bulldog des Beatles. Je crois que Gainsbourg a du passer par là, avec Je pense queue. C’est un peu chien aussi…

C’était surtout une allusion érotique…

Bien sûr, mais je l’ai vu jouer cette chanson en imitant un chien. Cette tradition me plaisait bien, un peu comme les personnes qui aiment le music-hall… Ces deux trilogies sont une sorte de définition de l’inévitable pour les gens standard.
Je voudrais que plus tard on puisse se référer à ces chansons pour savoir comment nous vivions, ce que l’on ressentait, intérieurement et sentimentalement. Par exemple, j’adorerais connaître les états d’âme des Egyptiens, à l’époque des Pharaons. C’est ce que j’ai voulu faire avec les trilogies. Les autres chansons sont plus épisodiques. Oh malheur chez O’Maley, c’est la colère. Grec, c’est la discussion, l’échange. Kazoo III, c’est un peu tes soirs de sortie où tu es trop tendu. Tu vas rencontrer une fille avec qui tu devrais sortir et tu essaies d’être « style » mais tu flanches du genou. Universe, c’est quand, en tant qu’homme, on pense à la vie en général. Trilogie femme et chien, c’est plus dans les grandes largeurs. Les autres chansons sont des petits instantanés, eux-mêmes inévitables d’une certaine manière.

Pourrais-tu décrypter les fins de ces trilogies ?

En vieillissant, tu deviens plus strict et en même temps complètement fou. Dans la Trilogie chien, le chien devient extrémiste. Même s’il est complètement pataud, ses mauvaises idées s’accentuent, un peu comme ces mecs qui ne peuvent pas saquer les Noirs et les Arabes. Je suis content, car il y a un accord qui est une sorte de réminiscence du passé, c’est un moment de nostalgie. Personne ne le remarque, c’est très court. Pour la Trilogie femme, la femme radote -c’est le piano répétitif- puis elle se regarde dans le miroir, se souvient de sa beauté et crie.

Comment s’est passé l’enregistrement de l’album ?

L’album a été enregistré à Saint-Nom-La-Bretèche, en pleine forêt, dans une maison anglaise avec un petit studio. C’est le studio de Air en fait, celui qu’ils avaient avant. L’enregistrement a duré trois mois et demi. Nous avons fait plus de 400 prises par jour. Une cadence extrêmement soutenue ! J’ai eu des empoignades avec l’ingénieur du son. Comme c’était mon premier album, je ne savais pas si ce que je vivais et ce que j’exigeais était raisonnable ou pas. Je ne savais jusqu’où je pouvais aller. Je me disais que j’étais peut-être un monstre ou un pauvre con !

Certaines chansons dégagent une atmosphère très apaisante, presque bucolique.

Il y a de ça, mais je ne suis pas proche de la nature. Ce n’est pas du tout un rejet mais je ne suis pas du tout week-end à la campagne. C’est mon phantasme bucolique, ce sont mes petits rêves de campagne.

Dans ce registre, l’empreinte de Roger Waters est très présente.

Waters est un personnage important pour moi. Il fait partie de mes références mais c’est une référence pour dire « attention il ne faut pas faire comme ça » car il s’est complètement perdu. C’était la catastrophe, la relation avec le groupe, la musique, tout. Il a tout gâché. Je l’ai toujours admiré car il y a une force énorme en lui, mais je me suis toujours dit que la façon dont il s’est comporté était l’expression de la connardise. Les rêves de grandeur, d’accord, mais pas sauce dictature. J’ai dû regarder mille fois le Live at Pompei. A 15 ans, avec mes potes, on fumait nos premiers joints en écoutant les Floyd.
On avait l’impression de vivre un truc fou. Depuis, je me suis détaché des Floyd, j’ai remarqué plein de défauts, de fautes de goût. Toujours est-il que ce groupe a marqué mon adolescence.

Quelles sont tes autres influences musicales ?

Etrangement, Run DMC, à l’époque de Tougher than leather et Raising hell. Comme c’est très éloigné de ma musique, on me rit au nez quand je dis ça. C’était les « States » à fond, le vrai « pera ». J’ai une admiration complètement basique pour Los Angeles, les caisses, les palmiers, les piscines et toutes ces conneries. Grâce à la musique et à ma signature, j’y suis allé et on a fait n’importe quoi. J’étais avec Air, avec toute la troupe : DJ Falcone, le chanteur de Phoenix… On est restés trois semaines aux US, complètement à bloc ! On a filmé à fond avec Mathieu Tonetti. C’est un côté que j’aime bien mettre en avant, même si c’est hyper cliché. Sinon, j’aime tous les classiques : les Beatles, Led Zeppelin, Gainsbourg. De toute façon, dans la vie, ce qui m’attire le plus, ce sont les choses bien standard, sauf quand l’état d’esprit est abominable. La vraie perfection n’est pas le sublime, c’est être standard.

Il y a un véritable esprit de famille chez Record Makers, une affinité affective et esthétique.

Chez Record Makers, j’ai l’impression d’être complètement protégé de toute la violence extérieure, d’appartenir à un monde où je n’ai jamais affaire à des gens qui me gênent. Je suis bien entouré. Tout le monde veut tendre vers le mieux. On est pas extrêmement nombreux non plus… Ces gens comprennent mon art. Je me sentais tellement isolé avant, par rapport au reste du monde, tandis que là, j’ai l’impression d’être au milieu d’un groupuscule tentaculaire. Je sais que tout ça m’amène toujours vers d’autres bonnes choses qui sont plus éloignées.

Vas-tu faire des concerts ?

Lors de mes concerts, je veux intégrer des discours, dans lesquels j’exprimerais mes états d’âme (quand j’ai fumé trop de joints), mélangés avec un truc philosophique plus construit. Après avoir dit mon discours, « un, deux, trois, quatre! », ça se mettrait à jouer à la Sinatra. Je ne pourrai pas proposer ce genre de spectacle pour mes premiers concerts car je n’ai pas l’orchestre pour faire « un, deux, trois, quatre », mais je travaille déjà sur les textes. Ce sera une sorte de mélange Sinatra-preacher américain-Andy Kaufman, ce comique qui prenait toujours le public à partie et incarnait un autre personnage en parallèle. Il fait n’importe quoi, il est dément ! Tout pour le show !

Dans ce projet, tu apparaîtrais sur scène en costume et en nœud papillon ?

Sur la pochette de mon album, je suis en smoking et en nœud papillon, c’est vrai ! C’est mon truc. Enfin j’espère…

Propos recueillis par

Lire notre critique de L’Incroyable vérité
Introducing Sebastien Tellier
, la mini-vidéo réalisée par Mathieu Tonetti est visible sur le site de Sébastien Tellier : un portrait minimaliste et intimiste de l’artiste.