Rocky Balboa ouvre le bal d’une série de séquelles qui vont transformer 2007 en grand revival 80’s, puisque suivront les nouveaux « Rambo », « Die hard » et « Indiana Jones ». Parce que Stallone affirme qu’il boucle ici la boucle entamée il y a tout juste trente ans par le premier opus, rapide retour sur l’un des mythes les plus fertiles du cinéma américain contemporain.

Il y a quelques années, Les Cahiers du Cinéma organisaient un mini-festival autour du thème de la compétition, et demandaient à Yves Afonso, fan du film, d’y présenter le premier Rocky. Chou blanc pour la grande gueule des films de Stévenin : personne ou presque n’avait répondu à l’invitation, comme si l’affaire -redécouvrir des deux yeux et sur grand écran ce doudou usé des dimanches soirs en peignoir- manquait un peu de sérieux. Authentiquement furieux, battant l’air de ses grosses pognes rageuses, Afonso se résigne à rentrer dans la salle quasiment vide et pousse une grande gueulante en guise de speech introductif : « Crevez-vous les yeux, spectateurs aveugles ! ». On ouvre donc grandes nos mirettes quand résonnent les premiers pam-pam-pa-pa-pa-pam galvanisants de Bill Conti, prêts à recevoir une authentique révélation. Premier plan : le visage du Christ, suspendu au-dessus du ring. Au final, Afonso n’avait pas tort, le film valait bien qu’on le dégage de son lourd carcan de phénomène générationnel. Rocky n’est pas un chef-d’œuvre, mais assurément un beau film, d’une sincérité désarmante et formellement assez loin de ce que le trafic des souvenirs nous renvoyait. Plus sec, plus modeste, étrangement timide en dépit du mythe qu’il a lui-même forgé. Un objet un peu bancal qui, avec du recul, tire son charme de son étrange statut de passeur dans l’histoire récente d’Hollywood, coincé entre les 80’s qu’il inventait malgré lui et une patine 70’s rugueuse, sombre, urbaine. Et surtout, la naissance d’un beau personnage de cinéma, loin, très loin des caricatures qui allaient se substituer à lui.

L’homme de la rue

C’est à cette forme initiale que Stallone affirme avoir voulu revenir en offrant, seize ans après sa dernière et piteuse tentative, un ultime come-back à son alter ego. Difficile de juger du résultat sur la foi du teaser, trop occupé à remplir son office réjouissant de teaser-de-Rocky, presque un genre à part entière. En tout cas, sonnant l’anachronique retour de la « greatest underdog story of our time », et dévoilant le cousinage de quelques plans avec l’original, les images confirment l’entreprise d’exhumation des racines du mythe. « It ain’t over ‘til it’s over », c’est le gimmick de ce Rocky Balboa -ah, le génie tautologique de la punchline…-, balancé par Sly sur le ring à la fin du teaser. Réponse de son nouvel adversaire, Mason « The Line » Dixon -génie des noms, aussi, décidément- : « Where is that from, the 80’s ? ». Stallone : « Probably the 70’s ». 1976, exactement, quand un acteur de seconde zone, les poches vides, écrit puis joue (il ne réalise pas encore) ce qui va devenir un peu malgré lui la fable populiste la plus fédératrice de l’époque, en traçant le portrait d’un innocent qui, justement, allait redonner son innocence à une Amérique jusqu’ici obstinée à se peindre en noir sur les écrans.
La formule est pourtant connue et largement éprouvée : elle vient de Capra, quoique Stallone ne s’en soit jamais vanté -Capra, lui, avait témoigné à l’époque de son admiration pour le film. Cette formule, c’est celle du common man et de l’idéalisme jeffersonien, celle de Mr Smith goes to Wahington, dont Rocky, à bien y regarder, tient presque du pur décalque : un simplet, timide et ami des bêtes, est instrumentalisé par une bande de puissants cyniques qui moquent les grands principes fondateurs. A la fin, le simplet sue sang et eau, jusqu’à l’épuisement, pour leur expliquer que non, on ne rigole pas avec la démocratie (surtout pas à Philadelphie en plein bicentenaire de l’Indépendance).

L’idiot

Voilà pour la fonction mythique et cet idéalisme de la deuxième chance qui n’en finira plus d’obséder Stallone, reconduisant de films en films le schéma passion / résurrection de Rocky. La fable a imprégné si durablement les esprits américains qu’un livre de photos est sorti cette année, où est disséqué l’incessant pèlerinage de fans venus à Philadelphie courir dans les pas de « Citizen Sly ». Mais la vraie beauté du film, cette singulière poésie prolétaire qui sublime sa banalité, est ailleurs, et sûrement d’abord dans la façon qu’a eu Stallone de plier ce schéma antédiluvien à la singularité de sa physionomie, cette affliction inaltérable de l’œil tombant et de la bouche difforme qui semblent devoir le tirer éternellement vers le bas. Copland, quelques années plus tard, donnera une belle déclinaison de ce spleen poids lourd. Dans Rocky, tout semble distribué depuis ce lest, et si le film a marqué comme emblème de la win, c’est sa peinture des losers qui en fait le prix. Affaire de casting, en éloge des physiques moyens et des gueules cassées : Talia Shire, Burgess Meredith, Joe Spinnel, Burt Young. Et vraie maîtrise d’une espèce de pathétique burlesque pleinement investi dans le corps du personnage (la belle séquence de la patinoire avec Adrian, l’entraînement sur des quartiers de bœuf), dans sa diction (les séquences de drague piteuse), dans quelques menus détails (son couple de tortues, son poisson rouge qui s’appelle Moby Dick). Les Guignols de l’info n’ont jamais rien compris à Stallone, le traitant en parangon du cynisme de l’Amérique quand il joue, à l’inverse, son idéal de naïveté. Les Guignols prennent Stallone pour un con alors que Stallone est un idiot. Quand il s’est aventuré à jouer les vengeurs uniformes, sans ce substrat de mélancolie gauche, là Stallone avait l’air d’un con, et on voit bien qu’il était le premier à le savoir. Dans Rocky Balboa, Stallone aura de quoi tirer la gueule : Adrian est morte. On imagine les deux reproches qu’il aura à essuyer, au moment de la sortie, pour avoir donné à la saga cet ultime prolongement : trop vieux, trop prévisible. Trop vieux ? Au contraire : c’est la fonction même de son pachydermique héros que d’être trop ou trop peu, et de laisser enfler le ridicule languide de son décalage. Prévisible ? Le script, possible. Quant à Sly, pas si sûr, finalement : ses deux prochains projets concernent la vie d’Edgar Poe et la mort de 2Pac.

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