Le retour de Rocky sur le ring, c’est cette semaine. L’événement n’est pas mince, et l’attrait actuel pour toute forme de revival n’est sans doute pas pour rien dans la promotion un peu dégénérée qui accompagne le film. Par son cachet si cheap, la maigreur de sa mise en scène, l’état de conservation du vieux Sly, par son humilité et sa pudeur surtout, le sixième Rocky gagnerait très sûrement à sortir avec la même discrétion que le cinquième du nom (1990). L’effet de complaisance provoqué par la cette déification insidieusement apitoyée, la mutation de l’étalon italien en bête de foire amidonnée et ballonnée, tout cela fait ressembler le film à une sorte de baudruche un peu fake, bad trip nostalgique qu’un habillage numérique digne d’un sketch des Guignols achève de ramener à sa réalité de spectacle forain.
Tout dans la trajectoire de Stallone respire une telle tristesse, un tel sentiment d’échec qu’on ne peut, à la vision de ce « dernier round », contenir son émotion. Cette spirale de la loose, symboliquement, tient dans la volonté de Stallone à corriger le tir d’un épisode 5 qui demeure pourtant probablement l’un des meilleurs de la série. Rocky se devait donc de finir sur un ring ? C’est le drame et la beauté de cet opus, la croyance fatale qui le fait brusquement basculer du côté du grotesque : attachant dans sa description du quotidien endeuillé du personnage -Adrian est morte, Rocky se traîne en vieux tonton saoulant dans sa petite pizzeria des quartiers pauvres de Philadelphie-, le film vire à la mascarade dès lors que commence le fameux entraînement (plus rien désormais qu’un gros bibendum Michelin qui tente de retrouver la forme, la musique des Grosses Têtes plein les oreilles), avant de sombrer le temps d’un combat auquel personne ne veut croire.
Mais ce grotesque fait partie intégrante du personnage, et il y a chez Stallone cette énergie pathétique, au sens noble, qui neutralise refus de raccrocher et constat hyperréaliste des dégâts du temps. Que ce corps raidi et figé qui peine à se mouvoir sur le ring rappelle les retours cauchemardesques d’un Maradona obèse sur les gazons n’est pas rien : le poids du corps déformé par les années, l’extinction de toute grâce, la terrifiante mortalité du mythe émeuvent aussi. C’est d’autant plus vrai que la carcasse n’est pas vide, et que la gueule à demi-paralysée du vieux Sly déborde depuis toujours de sa propre conscience de déchéance et d’anéantissement. Cette science des décombres, cet amour du bas, cette faculté à encaisser par lesquels brille souvent le film (les vieilles façades décaties auxquelles se compare le personnage), c’est l’admirable révision d’un malentendu : vainqueur par accident, gueule de bois post-reaganienne, monument effondré depuis la nuit des temps, Rocky a toujours eu plus à voir avec les douloureuses gargouilles d’Edgar Poe (dont Stallone a toujours voulu réaliser le biopic) qu’avec la stabilité robotique d’un Schwarzenegger.