Née à Lima, au Pérou, Heddy Honigmann a étudié au Centro Sperimentale di Cinematografia à Rome et vit aux Pays-Bas depuis 1978. L’Orchestre souterrain qui sort en salle à Paris le 20 janvier est la seizième œuvre d’une filmographie alternant documentaire et fiction. Ce film tourné à Paris a obtenu en 1998 de nombreux prix dont le Prix SCAM du cinéma du réel et le Prix du meilleur documentaire au festival Dei Populi de Florence. Entretien…


Chronic’art : Le film est sorti en salle à Paris et va tourner en province. Pour vous cette étape du passage en salle est très importante ?

Heddy Honigmann : Bien sûr ! Quel cinéaste au monde ne voudrait pas que son film sorte en salle, non ? Je fais peut-être partie de la vieille école, mais je trouve ça beau de voir un film en salle, en 35 mm avec le son dolby stéréo, c’est très différent de la télé. On se laisse emporter dans une aventure…

Dans ce film il y a une aventure spéciale qui est le passage de la vidéo au cinéma ?

Oui, quand on est dans le sous-sol, on est un peu « en enfer « , le bruit, la qualité est différente. On a simplement filmé un moniteur vidéo spécial avec une caméra 35 mm. Nous n’avons pas pu nous payer un vrai kinescopage car ça coûte très cher à la minute, Lars Von Trier peut le faire, moi non ! Si j’avais eu de l’argent, je l’aurai fait de manière différente, mais je voulais qu’on voie vraiment la différence entre la vidéo et le cinéma. Quand on sort, c’est l’air, c’est la ville…

Quel problème avez-vous eu avec la RATP ?

A votre avis ?

Dans le film, on voit des employés de la RATP stopper à plusieurs reprises le tournage, pourtant des films ont déjà été tournés dans le métro avec leur accord, pourquoi ne l’avez vous pas obtenu ?

Vous voulez dire pour des fictions et des reportages ?

Non, pour des documentaires

Bon, je sais qu’il faut payer c’est une première raison, et quand on a demandé la permission, on voulait tourner TOUT le film dans le métro, en 35 mm, pendant 4 semaines, alors ils ont dit non. Ils ne désiraient pas avoir une équipe pendant 4 semaines dans le métro. L’ambassadeur des Pays-Bas à Paris a même parlé avec le directeur de la RATP, mais il a encore refusé. Si on avait été français, peut-être aurait-il accepté, je ne sais pas… on a donc joué les touristes, avec une petite caméra vidéo pour filmer dans le métro… Heureusement, on a, au final, un son de très bonne qualité car à parfois, on utilisait 5 micros ! L’idée étant de montrer aux gens qu’il y a une musique magnifique dans le métro, il fallait bien trouver le moyen de la reproduire.

Souvent, dans le film, lorsque l’on voit un nouveau musicien, votre rencontre avec lui est filmée et montée. Est-ce primordial pour vous ?

Oui, surtout en début de film car c’est ce que vivent beaucoup de gens qui entrent dans le métro. Tu marches dans un couloir, tu entends une musique quelque part, peut-être vas-tu trouver la personne qui joue, mais, par l’étrange jeu de sonorité du métro, peut-être est-elle bien plus éloignée qu’il y paraît. Parfois, c’est comme ça qu’on a trouvé les musiciens quand on faisait les recherches avec Nosh Van Der Lely : en marchant dans le couloir et en arrivant à la source de la musique. Je trouve que cette rencontre est importante pour le spectateur parce qu’elle introduit une intimité avec le film.

Pendant ces rencontres, on passe peu de temps avec chacun des musiciens. Pourquoi cette fragmentation des personnages ?

Un des points de départ du film était d’essayer, avec l’aide de bons musiciens exilés de tous les continents et vivant à Paris, de raconter ce qui s’est passé dans le monde depuis 20 ans. D’où la fragmentation et la diversité des musiciens : Europe de l’Est, Afrique, Amérique Latine, Asie, voilà…

Vous avez choisi un échantillon ou cela s’est fait progressivement ?

Je voulais un échantillon mais ça s’est fait progressivement. Parfois tu cherches quelqu’un avec des cheveux noirs et puis tu trouves quelqu’un de différent qui correspond au type de personnage recherché. A tel point que c’est véritablement cette personne que tu cherchais finalement, et pas celle avec des cheveux noirs… C’est comme ça que ça se passe ! Et puis l’Orchestre souterrain en deuxième ou troisième lieu, comme on veut, c’est aussi un portrait de la ville : qu’est-ce qu’une métropole nos jours ? Un amalgame d’impressions. La fragmentation, je la voulais aussi parce qu’il y a cette vitesse dans une grande ville : on passe, on écoute et on part, on fait des rencontres courtes. Mais je crois que dans le film, même si les rencontres sont brèves, il y a quelque chose qui reste toujours en nous…

Vous avez fait toutes ces rencontres avec Nosh van Der Lely. Comment s’est articulée votre collaboration avec elle ?

Le repérage, c’était très important de le faire avec elle car c’est une très bonne amie : on est collègues, on aime souvent les mêmes films, on aime aussi la poésie, la musique et ses oreilles à elles sont plus ouvertes à certaines musiques, les miennes à d’autres…C’était donc une bonne complémentarité d’oreilles…(rires…) d’yeux et de cœurs… Parfois, en rentrant chez nous on se disait : ça c’est bien ou ça c’est pas bien, peut-être ne devrait-on pas filmer telle personne parce qu’elle a trop de problèmes privés et qu’elle ne pourra pas transmettre autre chose que le privé. Dans les 3 ou 4 périodes de recherche, on s’est souvent demandé ce qui nous manquait, il était primordial d’avoir une image générale de ce qu’on était en train de faire.

Ce film a eu un grand succès critique, est-ce que ça lui a permis de sortir dans des pays où le documentaire n’a pas forcément sa place ?

Le film a été 48 semaines d’affilée à l’affiche dans un cinéma en Hollande. Il va aussi sortir en salle en Allemagne, mais pour le reste du monde, 108 minutes de documentaire, c’est beaucoup ! La France, l’Allemagne, la Hollande, ce sont des pays où les gens vont en salle pour voir des films documentaires, ce n’est pas le cas ailleurs…

Pourquoi à votre avis ?

Je ne sais pas. Pour la Hollande, on dit toujours que les documentaires hollandais sont meilleurs que les fictions hollandaises et je le pense… En France, c’est le cinéma de fiction qui est une grande tradition. Il n’y a aucun pays dans le monde où l’on peut ouvrir un magazine de spectacle et voir des films de midi à minuit de réalisateurs aussi divers que Mélies ou Dreyer ou du dernier film américain grand public en vogue. On peut tout voir à Paris !

Et par rapport à d’autres endroits où vous avez pu vivre, en Amérique Latine par exemple ?

En Amérique Latine, il n’y a pas de documentaire en salle, et il n’y en a presque pas à la télé non plus. Même en Europe, très peu de pays ont des chaînes qui passent des films documentaires de 108 minutes…. il y a des exceptions, comme la Finlande ou certains pays d’Europe de l’Est. Je le sais car L’Orchestre souterrain a été acheté par la télévision d’Estonie, c’est très drôle…

Un autre de vos films, O Amor Natural, sort prochainement en salle dans le cadre du premier Fetisch Film Festival ?

Ah bon ! Je ne suis pas au courant… Vous êtes sûre ?

Oui…

Bien, je suis contente quand même car personne en France ne voulait de ce film, même s’il a eu beaucoup de prix dans des festivals. Ici, il a seulement été diffusé dans le cadre des Rencontres de la Vidéothèque de Paris. Le livre O amor natural du plus grand poète brésilien a été traduit en hollandais, j’ai vu le livre et je me suis dit que j’allais faire un film au Brésil avec des personnes âgées de 60 à 90 ans qui lisent des poèmes et parlent de l’amour, du sexe de souvenirs très forts de leur vie amoureuse. C’est un film sur l’une des plus belles choses au monde : le sexe !

Cela concerne leur vie passée ou présente ?

Comme ce sont des personnes âgées, il s’agit plutôt du passé mais il y a certains hommes qui disent le faire encore… Un homme de 85 ans m’a dit : « Oui, je le fais encore, je ne vais pas vous demander si vous voulez faire l’expérience avec moi mais ça se passe très bien ! » Ce sont des gens qui parlent très librement de cette grande force qu’ils ont eu dans leur vie et qui les accompagne encore, par le souvenir. On l’emporte dans le tombeau…

C’est un film auquel vous tenez beaucoup ?

Oui, mais je tiens beaucoup à mes derniers films surtout. Les autres…

Pourquoi, ça tiens à une façon de travailler ?

Oui, et puis je me suis retrouvée moi-même. Parce que j’aime beaucoup les gens et c’est pour ça que le repérage, c’est 50% du film. Je cherche vraiment des gens que j’arrive à aimer, dont les histoires m’enrichissent. Et puis, il y a aussi l’humour, avant j’étais très sérieuse, je pensais qu’il fallait dire ça (geste précis des mains sur la table) et maintenant je pense qu’il faut dire ça (répétition du même geste) mais comme ça (mouvement ondulatoire des mains), en dansant…

Propos recueillis par

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