Depuis vingt et un ans maintenant, le Festival des 3 continents de Nantes est le lieu où s’exposent en France les cinématographies les plus rares venues d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Cette année, le festival est enfin parvenu à réunir une grande partie des cinéastes de onze pays arabes du Moyen Orient pour tenter de réfléchir avec eux à la possibilité de sortir de la grave crise que connaît le cinéma dans cette région du monde.

Première surprise, quand on assiste à l’une des séances du festival : la présence d’un nombreux public venu voir les films de réalisateurs dont il ne connaît le plus souvent rien d’autre que le pays d’origine. Les spectateurs se retrouvent donc tout d’abord pour le « voyage », pour faire l’expérience de l’altérité au cœur d’une salle obscure. Au tout début, quelques craintes se font parmi les spectateurs « professionnels » lorsque des groupes de scolaires arrivent et chahutent un peu en s’installant dans les rangs du fond. Mais elles s’effacent vite, car dès que la lumière s’éteint, le silence se fait naturellement. Même les incidents de parcours durant les projections n’altèrent pas cette forte adhésion du public. Ainsi, lors de la première d’un film en compétition, Aksuat, la version électronique sous-titrée n’a pas fonctionné, et la séance s’est poursuivie avec pour seule traduction les sous-titres anglais. Certes, trois ou quatre personnes ont bien quitté la salle, mais c’est tout ! Et ironie du sort, c’est ce film-là, précisément, qui a obtenu le Prix du public. Cette anecdote est emblématique de l’ambiance qui règne au Festival des 3 continents de Nantes : au cours des vingt dernières années, les fondateurs du festival, les frères Alain et Philippe Jalladeau, ont réussi à fidéliser un public prêt à toutes les curiosités.

La découverte la plus réjouissante du festival est venue du Tadjikistan : Luna Papa (Montgolfière d’or et Prix du jeune public). Son réalisateur, Bakhtiar Khudojnazarov, nous a offert là un film débordant d’énergie, une fable délirante dans la veine des meilleurs Kusturica. Un film qui retrace un morceau de la vie de Mamlakat, jeune fille naïve rêvant de devenir actrice dans un monde totalement chaotique où les avions perdent des veaux en plein ciel, où les toits des maisons se transforment à l’occasion en radeau volant, bref où rien n’est comme ailleurs. Coproduit par une société hexagonale, Les Films de l’Observatoire, le film sortira en France au mois d’avril 2000. Même région, le Kazakhstan, mais ton radicalement différent pour Serik Aprymov le réalisateur d’Aksuat (Montgolfière d’argent, Prix du public et Prix d’interprétation masculine). Au cœur d’une steppe aride et froide, des êtres désincarnés se croisent, donnent la vie, fuient la mafia locale, meurent sans jamais exprimer la moindre émotion : une ambiance qui rappelle celle de Tueur à gages, œuvre d’un autre réalisateur kazakh, Darejan Omirbaev sorti en salle en début d’année. Enfin, Les Coupeurs de bois de Longï du Vietnamien Vuong Duc dresse un portait vibrant du changement social survenu dans son pays au cours des dernières années. Lors du débat qui a suivi la projection, le réalisateur a confié au public qu’il avait choisi de placer son histoire dans la forêt car « c’est dans l’isolement que l’homme révèle le mieux ses faiblesses » et parce qu’ »avec l’économie de marché primitive la fraude commence par la plus petite des tricheries : le vol d’un bout de bois », avant d’ajouter en souriant qu’il avait réalisé son film avec un budget de 35 000 dollars, soit « 15 secondes de Star wars » selon ses propres calculs.

Mais au moins, pourrait-on dire, a-t-il réussi à le réaliser, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pour de nombreux réalisateurs arabes, venus du Moyen Orient pour la journée de table ronde qui s’est déroulée le 27 novembre. Elle réunissait des cinéastes venus d’Irak, de Jordanie, du Liban, de Palestine, du Koweït, de Syrie, de Bahreïn, des Emirats arabes unis, d’Oman, du Yémen et d’Arabie saoudite, ce qui en a fait une rencontre exceptionnelle. Le but de cette journée de discussion était double : faire un état des lieux de la production et réfléchir à son amélioration. Au cours des débats, des situations diverses sont apparues, celle de l’Irak par exemple mise en lumière par le Secrétaire général des arts et de la culture, Farouk Saloum, qui souligne que la production cinématographique s’est arrêtée dans son pays depuis le début des années 90 pour cause d’embargo. Ailleurs, au Yémen, au Liban, aux Emirats arabes unis, c’est la vidéo qui permet aux réalisateurs de faire des films puisqu’ils ne disposent pas de fonds suffisants pour produire leurs œuvres, que ce soit en provenance de l’Etat ou du secteur privé. Partout, les cinéastes ont regretté de ne pas disposer de la liberté d’expression qui existe en France et ont stigmatisé l’impossibilité pour chacun d’entre eux de voir dans leur propre pays les films réalisés par leurs voisins arabes. Enfin, si certains cinéastes présents -Elia Suleiman d’origine palestinienne ou Ghassan Shalab libanais- ont émis des réserves sur l’idée même qu’il puisse exister un cinéma arabe, tous ont accepté de signer une lettre-manifeste demandant la création d’un fond de soutien pour la production cinématographique, « la création et le développement des salles de cinéma, l’instauration d’un système de taxe sur les entrées, des accords de collaboration avec les pays non arabes, le développement d’écoles de cinéma » et bien sûr « une liberté d’expression pour les créateurs d’œuvres audiovisuelles », ce qui, aujourd’hui malheureusement, ne va pas de soi.

« Nous avons besoin de vos films, si nous ne résistons pas tous ensemble à l’hégémonie actuelle du cinéma américain, dans quelques années, nous n‘existerons plus, ni le festival ni vous les réalisateurs ! », soulignait l’initiateur de cette table ronde, Philippe Jalladeau. Mais pour l’instant, heureusement, Nantes est là pour que tous les cinémas puissent exister.

Palmarès 99 :
Montgolfière d’or : Luna papa de Bakhtiar Khudojnazarov
Montgolfière d’argent : Aksuat de Serik Aprymov
Prix d’interprétation féminine : Rosario Blefari dans Silvia Prieto de Martin Rejtman
Prix d’interprétation masculine : Dabit Kurmanbekov dans Aksuat de Serik Aprymov
Prix du scénario : Martin Rejman pour Silvia Prieto
Prix de la ville de Nantes en hommage à Jacques Demy : L’Amour des trois oranges de Hung Hung
Prix spécial du jury : Marchons, marchons, marchons encore de Akihiko Shiota
Prix du public : Aksuat de Serik Aprymov
Prix du jeune public : Luna Papa de Bakhtiar Khudojnazarov