Fort d’un premier titre musical, innovant et généreux, « Maestro ! Jump in Music », et d’une collaboration créative réussie avec leur ex-partenaire d’Arkedo (voire nos chroniques dans Chronic’art #62, en kiosque), Fabien Delpiano, directeur de Pastagames revient avec nous, dans un entretien en deux parties, sur les aléas du développement vidéoludique chez les studios indés français et sur les problématiques logistiques et conceptuelles propres au jeu musical.

Suite de notre entretien – relire la première partie

Chronic’art : A votre avis, compte tenu de la difficulté d’obtenir des morceaux quand on crée des jeux musicaux, Quelle durée légale devrait être mise en place avant qu’une œuvre tombe dans le domaine public ? Est-ce que vous soutenez le parti pirate qui milite notamment pour la réduction des droits d’auteurs à cinq ans ?

Ca dépend. Quand on est compositeur, on peut fabriquer des morceaux tous les jours et dont la plupart ne marchent pas. Si par exemple, on fixe les droits d’auteur à 5 ans, un compositeur peut se retrouver à crever de faim simplement parce que les compositions des 5 dernières années n’ont pas marché. Ce sont des métiers à risque. Quand enfin on produit un morceau que le gens désirent acheter, idéalement ce profit doit pouvoir aider à faire des choix courageux et à continuer à produire des morceaux jusqu’à qu’un autre morceau marche. De fait, que des droits d’auteur aient cours jusqu’à la mort de l’auteur me paraît on ne peut plus légitime. Qu’après sa mort, sa descendance puisse profiter quelques années du fruit de son travail me parait également raisonnable. Par contre, lorsqu’on se retrouve en 2010 à payer pour des morceaux crées avant 1900, on n’a quand même la nette impression d’être pris pour des cons.

Votre intervention sur votre blog le 25 novembre (date à laquelle Delpiano réalise que Maestro a été cracké), avait des allures de lettre ouverte aux pirates et marquait une volonté de dialogue et de pédagogie. Plus globalement, quelle est votre vision du phénomène ?

On est en train de vivre une période de transition un petit peu douloureuse. Les gens ont compris que la distribution des jeux en boîte fait monter le coût à l’achat de manière déraisonnable. Toute la chaîne de la distribution classique (du loyer des magasins, à la logistique d’acheminement en passant par le salaire des vendeurs, le coût de la boîte en plastique etc…) est remise en cause. Les gens n’ont plus envie de payer le salaire du vendeur de la Fnac qui, la moitié du temps, est incapable de savoir quel jeu il a en stock. Tout comme ce n’est pas le problème du joueur que Nintendo ne fasse fabriquer ses cartouches qu’au Japon et les fasse transiter par avion. Bref, payer 40 euros pour un jeu dont les 7 ou 8 dixièmes vont dans la poche de gens dont le métier ne nous intéresse pas et nous semble parfaitement inutile, ça nous fait un peu mal au ventre. Du coup, d’un côté les gens se demandent « comment ne pas payer ? ». Et d’un autre, vous avez des vendeurs dans des boutiques spécialisées qui proposent ouvertement « Je vous rajoute la petite cartouche qui vous permet d’avoir les jeux gratuit sur Internet ?». L’autre jour, j’ai assisté à une scène qui m’a laissé sur le cul. J’étais chez Game, je vois une petite grand-mère arriver. Elle lance au vendeur : « Je voudrais une DSi. Je voudrais la blanche pour ma petite fille et la cartouche qui permet d’avoir les jeux gratuitement ». Vous vous rendez compte ?! Une grand-mère ! Bien entendu, les mecs de Game étaient gênés ; ils ne font pas dans ce genre d’article. Je vais vers elle et je lui lance « Mais madame, vous savez que c’est illégal. C’est du piratage. » Elle répond : « Ah ! Mais moi on m’a bien expliqué qu’acheter des jeux était totalement imbécile. Ca coûte trop cher. Et puis ça sert à rien on les trouve sur Internet. Si vous voulez pas me vendre la cartouche, moi je vais ailleurs ». Elle est repartie sans acheter la DS. Ce genre de comportement semble hélas, vraiment rentré dans les moeurs.

Est-ce que vous voyez un parallèle avec le succès de l’iPod qui, faut-il le rappeler, a construit son succès sur la dématérialisation illégale des œuvres musicales ?

Pour moi la dématérialisation va dans le sens de l’histoire et constitue un excellent moyen de diminuer les coûts de distribution, phénoménaux à l’heure actuelle. On se rend bien compte qu’en achetant un jeu, on récompense surtout la chaîne de distribution et presque pas l’auteur. Le problème c’est que l’industrie a tellement tardé à s’y mettre que la dématérialisation a fait son chemin indépendamment des circuits commerciaux. Que ces circuits alternatifs sont d’une efficacité redoutable et qu’ils ne coûtent rien à l’utilisateur. Alors maintenant, faire revenir les gens vers une offre légale, sous peine que plus personne ne veuille créer du contenu, ça va être compliqué. Je pense que d’une manière ou d’une autre il faut ré-impliquer le public dans la création de contenu. On voit l’exemple d’artistes musicaux produit par des internautes. Impliquer les gens dans le processus créatif. Leur dire : voilà, on est en train de travailler sur ça. Achetez notre jeu dès maintenant et vous le payerez moins cher ; vous aurez droit à des avant première, à des artworks et ce jeu là, mine de rien, ça va devenir un peu VOTRE jeu. Vous aurez votre nom dans les crédits etc., ou sur un arbre placé dans le jeu… Voilà le genre de démarche qu’il faudrait entamer. Le problème c’est que ça représente une sacrée somme de boulot. Nous, Pastagames, on est petit… ça nous prendrait un temps fou. Quoiqu’il en soit, impliquer le public dans la création de contenu dématérialisé serait à la fois éducatif et permettrait de sortir le joueur de la position de pur consommateur, de récepteur d’information passif qui attend qu’on lui livre un produit. Dans le même ordre d’idée, faire participer les gens à des bêtas, obtenir leurs retours sur des forums, des blogs… Si les gens sont placés dans cette dynamique là, ils n’auront plus envie de pirater le contenu auquel ils ont participé. Parce qu’ils y ont mis du temps et que le jeu prend la valeur qu’ils lui ont donné. Le miracle de World of warcraft, c’est que ce jeu là donne l’impression à ses joueurs de créer de la valeur dans l’univers dans lequel ils évoluent. Obtenir un cheval enflammé et une armure épique, les joueurs savent que ça leur a coûté du temps. Et quand ils veulent se désabonner, ils se disent qu’ils sont en train de cramer la valeur qu’ils ont crée. Un peu comme foutre à la poubelle des heures et des heures de travail. Parce que s’impliquer dans un univers comme World of warcraft, quelque part c’est un travail créatif. Le jeu prend la valeur que le joueur lui créé. Pour revenir à mon intervention du 25 novembre dernier, je ne voulais pas me plaindre ou chialer. Je voulais simplement interroger les pirates et leur dire : « Dites moi comment, moi Fabien Delpiano, directeur d’un petit studio, je fais ? Je crée un contenu, si je ne le rembourse pas, je suis dans la merde. » Les DRM, les middlewares…c’est bien beau mais le piratage c’est faire sauter des verrous posés par d’autres qui ne possèdent pas plus de connaissance que les premiers. Aucun système de protection ne résiste à la motivation de gens qui ont envie de le faire sauter.

Dans cette intervention vous parliez également d’une industrie globalement déconnectée du plaisir des joueurs…

Là où nous avons rencontré beaucoup de peur et de frilosité c’est surtout dans les magasins, dans les centrales d’achat des grands groupes. Je me retrouve avec des acheteurs qui me disent : « Votre jeu est génial. Il est super. Il est trop bien… Ca va être une vraie galère à vendre. On n’y arrivera pas. La DS ne va pas bien. Votre jeu n’est pas supporté par une licence connue. Vous ne disposez pas d’un budget de 100 000 euros pour la pub, les 4 par 3 dans le métro. Vous n’avez pas de plan de comm’ agressif. Le seul point positif c’est que vous allez prendre des RP chez VPcom pour faire parler de vous. Franchement, ça ne suffira pas quoi ». Ce à quoi je leur répondais : « Mais si vous aimez le jeu pourquoi vous ne le mettez pas en avant ?! ». Et eux de répliquer : « Oui, mais si on met ton jeu en tête de gondole, on va en vendre un peu mais pas assez pour que ce soit intéressant. On n’a pas les épaules pour aider à son lancement ». Avec au final des « Ton jeu, je l’adore mais je le prend pas ». C’est dur, vraiment dur à entendre. Ca signifie « J’ai pas le couilles de m’impliquer dans un projet dans lequel je crois ». Bon, d’un autre côté, d’autres gens ont heureusement accepté de prendre ce risque. La Fnac a pris Maestro, l’a mis en avant, avec les signalétiques « coup de coeur », son classement dans les « idée cadeau de Noël » ; ils nous ont fait de la pub spontanément sur Internet. J’espère que le risque pris se verra couronné de succès. Mais dans l’absolu, on a rencontré beaucoup de gens qui estimaient très cher chaque mètre de leurs linéaires et qui, s’ils n’étaient pas certains que Maestro allait se vendre très bien, n’avaient aucune envie de prendre le moindre risque. C’est plutôt triste.

Oui, d’autant plus que lors de la première vague des jeux casual, lorsqu’il est sorti au Japon personne n’aurait misé un kopeck sur le Programme d’entraînement cérébral du professeur Kawashima. Son succès s’est fait très progressivement…

Sauf que Kawashima, il y avait Nintendo et Iwata derrière. « La recherche d’un nouveau public. Le blue ocean. On y va à fond et on va imposer ça ». Du coup quand Nintendo rencontre un acheteur et qu’il est en mesure de lui dire « on va mettre x millions d’euro de comm’ ». L’autre en face, même s’il ne croit pas dans le produit, se trouve grandement rassuré.

Certes. Après le jeu musical avec Maestro, quels autres genres que vous aimeriez faire évoluer chez Pastagames ?

On a évidemment des tas d’idées dans les cartons. On s’intéresse de près à tout ce qui se passe sur la scène du jeu en Flash. Beaucoup de jeu récents s’avèrent être des merveilles d’intelligence.

Vous pensez à des titres en particulier ?

Je vais vous en citer 4 ou 5 mais il y en a un paquet… Contiguous, le jeu de plate-formes où on déplace des bouts de niveaux. Un autre aussi que j’adore, (également chroniqué dans la rubrique Chronophage sur écran.fr) c’est The Company of myself dont le principe (plate-formes, là encore) est d’interagir comme dans un voyage dans le temps avec le fantôme de son avatar. Bref, il y a plein d’idées de gameplay très couillues et c’est la direction que nous essayons de suivre notamment avec les Arkedo Series dans les indie games du XBLA. Pixel ! est justement une petite coproduction entre nous et Arkedo. Un jeu HD avec des graphismes Game Boy dans lequel on plonge dans des pixels pour résoudre des problèmes à l’intérieur de l’image. On l’a développé en deux mois, à deux personnes.

Justement, quel avenir voyez-vous pour Pastagames sur les réseaux de distribution dématérialisés ?

Notre but c’est d’envoyer à l’attention des joueurs des petits ballons sondes en fabriquant des petits jeux qui nous coûtent pas trop chers, qu’on produit en fond propres, qu’on balance sur les nouveaux réseaux de distribution. On est sur le XBLA. On sera sur l’Apple Store. En allant proposer du bizarre, au niveau de la patte graphique, du gameplay. Proposer des expériences radicalement nouvelles. Parce que même lorsqu’on bosse sur Maestro, on investit des années de travail, des centaines de milliers d’euro et forcément, on en vient à se limiter aux niveaux des risques, à s’autocensurer, pour pouvoir garantir un retour sur investissement. Tandis que si on se plante sur un jeu indie games XBLA ou iPhone, la perte est bien plus raisonnable, ce qui nous encourage à proposer des expérience de jeu beaucoup plus folles tout en essayant de trouver un modèle économique viable.

Peut-on aussi y voir un moyen de retrouver l’énergie de l’âge d’or, très fantasmée du reste, du jeu garage des années 80 ?

C’est exactement ça. Il y a une vraie nostalgie chez tous les studios de jeu vidéo de cette époque-là et une réelle envie de refaire des petites choses créatives, couillues mais qui ont du goût. Bon goût ou mauvais goût mais du goût ! Toute la problématique consiste à maîtriser les coûts de production et à atteindre le public avide d’expériences hors des sentiers battus. Pour l’instant, cette équation économique est encore en cours d’écriture.

Propos recueillis par

Relire la première partie de notre entretien

003 Arkedo series : Pixel ! – XBLA (Pastagames / Arkedo)
(en téléchargement uniquement)