Pour se faire une idée d’un phénomène, mieux vaut toujours laisser la parole aux principaux intéressés. Rencontre avec ceux qui bloguent, depuis longtemps, ou pas, ou plus. Interview de carnettistes d’influence (Le Tronçonneur de blogs, Kwyxz, Cynapce, Binnie, Nacara, Maïa Mazaurette, Utena et Simone de Bougeoir), en complément de notre dossier « Les néo-blogueurs vont-ils pourrir Internet ? », à lire dans Chronic’art #49, actuellement en kiosque.

Binnie
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Chronic’art : Quels ont été les moments forts de ta vie de blogueuse ?

Binnie : Pour moi, blogger c’est « toujours un bon moment » parce qu’écrire sur ton blog, c’est un peu comme parler à ton méta-ami. Tu ne peux pas exactement faire la même chose avec tes potes et avec ton blog, et il y a deux raisons à cela. La première, c’est que l’échange d’idées prend une autre dimension. Certes, tu pourras aborder avec certains de tes amis et autour d’un café les sujets que tu abordes sur ton blog ; mais tu ne pourras pas les aborder de la même manière, avec la même approche, avec la même puissance. On ne peut pas faire de lien hypertexte ou insérer une Jpeg frappante au beau milieu d’une conversation dans un café, on ne peut pas étayer et mettre en valeur certains discours de la même manière que sur un blog en sortant d’une salle de ciné. La dimension « non finie » des lecteurs est elle aussi très intéressante : à partir d’une masse critique m de lecteurs réguliers, il devient possible de parler de sujets aussi peu « mainstream » que les anagrammes de noms de groupes de rock, les films d’opérations chirurgicales, ou la dernière lubie déco de Courtney Love, et malgré cela, d’obtenir tout de même du feedback. Dans la masse de personnes qui vont te lire, il y en aura toujours une pour s’identifier à ce que tu as écris, trouver ça drôle ou intéressant. 99% des moments notables sont des bons moments. En soi, écrire sur un truc qui fait parti de ton petit univers personnel et recevoir un mail derrière, c’est déjà quelque chose d’agréable. C’est le premier niveau, et ça arrive très vite. Le niveau 2, c’est quand des gens que tu admires s’intéressent à ce que tu écris dans ton petit coin. En 2004, Virginie Despentes m’a envoyé quelques mails, j’étais super contente, et pour cause : j’avais lu son premier roman, Baise-moi, peut-être trois ou quatre fois l’année de mes 15 ans. On me fait des cadeaux : des bouquins, des DVD … souvent accompagné de petits mots gentils et désintéressés, des remerciements, en somme, ambiance « merci d’être dans mon bookmark le matin au taf quand je bois mon café ». Chaque fois que je reçois quelque chose, je me dis que c’est parce que j’ai suscité un sentiment positif chez quelqu’un, que je l’ai diverti, ou touché, d’une manière ou d’une autre. C’est un sentiment très heureux que de savoir que l’on fait rire quelqu’un ou qu’on égaie sa journée ne serait-ce que cinq minutes. A l’époque où c’était la mode, il y a des lecteurs qui m’envoyaient des fansigns : des dessins ou des photos pour me témoigner en quelque sorte leur affection. Il y a toujours des personnes que tu trouves parfois toi-même très intéressantes qui veulent absolument te rencontrer, par curiosité. Parfois il m’est arrivé d’être reconnue dans une soirée ou ailleurs. C’est plutôt drôle et décalé comme situation, avec ce petit côté très andy-warholesque. Tout ça représente pour moi d’excellents moments de partage, de découvertes et de rigolade. Les mauvais moments représentent 1% des moments notables (je précise que je ne suis pas une blogueuse à commentaires, voilà pourquoi j’ai peu de mauvais souvenirs). En ce qui concerne les bad trips, il n’y a pas trop eu de pistage sérieux ; juste de mecs qui essayaient à un moment de récupérer des photos de ma fac via d’autres étudiants. Je trouvais ça juste fou. Je crois que mon blog s’est fait hacker une fois, mais c’était du gentil hack. Le mec en question n’était pas vicieux, il a juste fait un gros delete sur mon FTP. Il aurait aussi bien pu changer mes pass et mettre une photo de moi avec une moustache pour des siècles et des siècles sur un index.html.

As-tu noté un changement dans la blogosphère ?

Il y a en a eu tellement. Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’explosion des blogs bien sûr, mais aussi et surtout leur diversification et leur regroupement quasi instinctif par genre : blog de niche sur des thèmes divers, blog marketing, BD blog, food blog, music blog, blog de voyages, blog mode, blogs d’influenceurs, blogs de politiques, blog érotiques, et même des maman-blogs. On trouve de tout, le blog 2.0 post Loïc Le Meur n’est plus l’apanage du geek : il est bel et bien à tout le monde. C’est devenu un pur produit d’entertainment à domicile, et ça, après que les gros pontes américains aient fait leur beurre, tout le monde l’a finalement très bien compris en France, surtout Skyrock. Pour les blogs marketing, je ne suis pas surprise : c’est la suite logique des choses. Les marketeux seraient fous de ne pas utiliser une telle plate-forme de diffusion, aussi puissante et pénétrante, passez-moi l’expression, parce que c’est la bonne.

Qu’est-ce qui t’énerves le plus dans la blogosphère ?

Etrangement, ce sont toujours les mêmes depuis le début, à savoir ceux qui se prennent trop au sérieux, qui pensent faire partie de je ne sais quelle élite pensante parce qu’ils savent installer WordPress et bidouiller un site web moche en CSS. Il y a aussi les « blog chemise à carreaux », soit les blogs de pères de familles informaticiens en pull à cerf qui ont acheté leur licence Vista à la Fnac et qui ont des blogs juste pour souhaiter la bonne année avec un Gif ou une card pourrave, et raconter qu’ils ont installés un nouveau programme sur leur Smartphone pour bloguer quand ils sont aux chiottes. What’s the point ? Ca me fatigue. Après, je pars du principe que si un site t’énerve tu n’es pas obligé de le lire, nous ne sommes pas tous obligés d’être masochistes, et autant éviter de perdre du temps avec de l’information que l’on considère comme merdique ou foutue de nous mettre de mauvaise humeur. Si un blog m’emmerde, je vais lire autre chose ; le web, ce n’est pas seulement trois chaînes publiques.

Quels blogs lis-tu ? Découvres-tu encore des nouvelles choses ?

Je lis les blogs de mes copains, intimes, et moins intimes. Je lis des blogs de gens que je trouve intéressants, qui me touchent, me font rire ou font naître de la curiosité chez moi. Je lis des blogs de journalistes que j’apprécie lire habituellement dans la presse, ça a un petit coté « backstage » et détendu que j’aime bien. Je lis des blog musicaux s’ils sont drôles et postent des photos de soirées marrantes. Je lis des blogs qui traitent de jolies choses : photo, art, mode, voyages. Je lis des blogs d’entrepreneurs. Je lis des blogs d’auteurs. Je lis aussi des blogs BD, j’aime beaucoup celui de Margaux Motin. Je lis aussi le blog de Peggy Sastre, la meuf qui a cloné son chat. C’est a peu près tout. Et oui, presque à chaque fois que je lance Firefox, je découvre de nouvelles choses !

Quelles sont pour toi les plus célèbres guerres entre blogueurs ?

Je me souviens d’Oxymore et Orgasme inerte, deux blogs « méchants » sur lesquels il y avait pas mal de tartage en règle. Chaque semaine, un blogueur y passait et se faisait littéralement massacrer. Mais c’était plutôt pour jouer, ça restait bon enfant, et j’y suis passée. Certaines « victimes » le prenaient très bien, d’autres le prenaient beaucoup plus mal : sur Internet, les gens ne sont pas toujours gentils, et ils sont même souvent plus « durs » qu’IRL. Chacun a sa sensibilité, mais après tout, quand on s’expose sur son blog, il faut aussi s’attendre à être critiqué, hate-mailé, parodié, moqué, defacé, hacké, pourri, etc.

Faut-il sauver la blogosphère ? Comment ?

Beaucoup d’early bloggers aiment dire que la blogosphère s’est galvaudée, avilie, voire carrément prostituée. Du coup, en 2008, on parle facilement de « blogoputes », et quand je vois comment certaines meufs à peine lettrées balancent de la merde sur leur compte Blogspot pour avoir le privilège de se tartiner la gueule de crèmes antirides gratos, je ne suis pas forcément contre cette appellation. De mon point de vue, la blogosphère a simplement évolué, grossi et absorbé de nouvelles particules. Le fait qu’elle prenne de la masse et s’entoure de réseaux de blogs annexes n’a pour autant pas détruit ses noyaux originels, qui demeurent toujours accessibles et solidement indexés dans les entrailles de Google. D’autre part, les réseaux de blogs sont fermés, étanches ; personnellement, je ne me suis jamais sentie emmerdée par les skybloggeurs, les influenceurs, les marketeux et tous ses gens-là, simplement parce qu’ils ne font pas partis de mes bookmarks, de mon réseau, de mes référents, de ma sous-culture : de « mes internets », comme dirait l’autre.

As tu senti un effet « blog célèbre » (autocensure en particulier…) ?

Mon blog ressemble plutôt à un recueil d’illuminations, idées et opinions. Je ne balance rien ou presque sur ma vie privée, rien de lourd en tout cas. Du coup, comme mes propos sont faciles à assumer, ils ne génèrent pas de pression, et je n’ai jamais trop eu à me poser ce genre de questions d’autocensure puisque dès le départ, j’ai pris une ligne directrice qui me permettrait de les éviter. Et si je casse mon patron, c’est que j’ai déjà posé ma lettre de démission.

Propos recueillis par &

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