Pour se faire une idée d’un phénomène, mieux vaut toujours laisser la parole aux principaux intéressés. Rencontre avec ceux qui bloguent, depuis longtemps, ou pas, ou plus. Interview de carnettistes d’influence (Le Tronçonneur de blogs, Kwyxz, Cynapce, Binnie, Nacara, Maïa Mazaurette, Utena et Simone de Bougeoir), en complément de notre dossier « Les néo-blogueurs vont-ils pourrir Internet ? », à lire dans Chronic’art #49, actuellement en kiosque.

Le Tronçonneur de blogs
letronconneurdeblogs.blogspot.com

Chronic’art : Quand as-tu commencé ton blog ? Quelle a été l’impulsion ?

Le Tronçonneur de blogs : Je blogue depuis 2003, mais je joue les critiques du Net depuis 1999. L’écriture a toujours été une passion et le blog me semblait être une révolution des méninges, un outil populaire au service de l’intellect. Malheureusement, les marketeux et autres chargés de com’, hautement manipulateurs, ont instantanément sauté sur l’occasion pour prostituer ce média avec de la publicité, du bling-bling et de l’ego à tous les étages.

Quelles sont selon-toi les évolutions actuelles du blogging les plus contestables, celles qui « trahissent » le plus l’esprit d’Internet disons ?

Nous sommes passés d’une blogosphère horizontale, où chacun était fier de fidéliser péniblement quelques lecteurs, à une blogosphère verticale et oligopolistique. Désormais, 95% des lecteurs se concentrent sur 5% de blogueurs qui, à l’image de notre société, déploient toutes les stratégies possibles et imaginables pour attirer les regards. Grosso modo, ce noyau dur est constitué de geeks boutonneux, de polémistes agressifs, de consultants auto-satisfaits, de stars médiatiques, et d’un peu de cuisine et de BD ! Le bruit est tel qu’il écrase le faible signal émis par les milliers d’autres blogs qui mériteraient de l’attention. Cette évolution génère depuis quelques mois un grondement qui attise les rivalités et décrédibilise les contenus. On est loin de la vision idéaliste des années 90.

Quels ont été les moments forts de ta vie de blogueur ?

Quand on passe de longues heures à créer un contenu original et que ce travail est reconnu, ne serait-ce que par une poignée de commentateurs, c’est extrêmement valorisant. L’audience passe alors au second plan et des relations humaines se nouent. Avec Le Tronçonneur de blogs, j’ai réalisé une démarche inverse : viser l’audience avec la parfaite conviction que le contenu était racoleur et sans grande qualité. Le succès a été immédiat. Cependant, s’il est grisant de savoir tirer les bonnes ficelles, ce bruit médiatique n’apporte pas grand-chose sur un plan personnel. L’audience n’a d’intérêt que dans une finalité de manipulation, publicitaire par exemple.

Quels blogs lis-tu ? As-tu l’impression qu’il existe encore des blogs subversifs ?

Je m’intéresse surtout au flux de communication entre les blogs, aux communautés qui se créent et aux égos qui se développent parfois de façon hystérique. En bon analyste, je garde un oeil sur les blogs les plus bruyants qui s’exhibent sur le devant de la scène. Mais je cultive aussi l’art de me perdre dans la blogosphère, au fil des liens et des réseaux. Il y a toujours des choses intéressantes à lire, c’est souvent de lecteurs attentifs et avisés dont on manque.

As-tu souvenir d’illustres guéguerres / polémiques de blogueurs ?

Elles sont nombreuses. Un Ginisty est capable de se mettre à dos des dizaines de blogueurs par ses réflexes réactionnaires. Aurora et ses acolytes ont longtemps conspué Loïc Le Meur qui a détruit la communauté U-blog d’un simple sourire. Versac, adulé, n’a jamais su prendre du recul par rapport aux attaques et a généré des guerres politiques sanglantes qui se poursuivent encore aujourd’hui. Il y a également une guerre de cent ans entre les blogueurs adeptes de la pub (notamment dissimulée) et ceux qui évitent la prostitution de leurs espaces. Le propre de ces situations est de découvrir que les égos, souvent démesurés, étouffent toute tentative d’argumentation.

Faut-il sauver la blogosphère ? Comment ?

La blogosphère vit sans qu’on lui dicte quoi que ce soit. C’est aux lecteurs et aux blogueurs de prendre leurs responsabilités : soit ils considèrent l’outil comme un moyen de plus de répéter des schémas mercantilistes et décérébrés, soit ils font de ce média une arme de destruction massive contre le conformisme social. Certains misent sur des chartes communautaires pour arriver à faire bouger les choses. Mais la plupart des blogueurs se complaisent dans une passivité intellectuelle pseudo-libertaire (« chacun est libre »), celle-là même qui les mènera dans leur cercueil.

Au fond, la déliquescence de la blogosphère peut-elle être liée au fait que de plus en plus de gens utilisent Internet, qu’il devient finalement un média de masse comme les autres ?

Ce n’est pas la masse d’utilisateurs qui décrédibilise les contenus. Rassembler, mobiliser est plutôt un bienfait. Ce sont les valeurs « massacre ». Le constat est sans appel : de l’éducation aux loisirs et à l’information, tout est fait pour nous inculquer un mode de réflexion qui nie l’existence de nouvelles problématiques socio-économiques. Plus les inégalités se creusent, plus la classe moyenne défend son droit à l’achat du dernier iPhone vert pomme. Cherchez l’erreur…

Propos recueillis par &

Lire aussi nos interviews de Kwyxz, Cynapce, Binnie, Nacara, Maïa Mazaurette, Utena et Simone de Bougeoir.

Lire également le fameux Top Worst qui fait gentiment jaser la blogosphère…

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