Que se passe-t-il lorsqu’un ex-batteur de Chapterhouse (Ashley Bates) rencontre un moitié cubain déraciné de son Canada natal ? Ils fondent un duo, titillent le public à coups de white labels et embauchent rappeur (Mau, ancien Earthling) et chanteuse à voix suave pour pimenter des compositions sublimes et surprenantes.


Chronic’art : Vous a-t-on déjà confondus avec des musiciens cubains ?

Ashley Bates : Oui, une fois. Un groupe d’Allemands a fait des centaines de kilomètres pour venir nous voir à Rennes en novembre dernier. On nous l’a dit à la fin du concert. Apparemment, ils ont quitté la salle dix secondes après notre entrée en scène ! Notre intro était très bruyante et les pauvres n’ont pas supporté.

Christopher Andrews : Les gens nous demandent si l’ont fait de la musique cubaine. On devrait sortir un album de salsa. Ou juste un morceau. Ou une intro.

Votre rencontre et vos débuts.

Ashley : Nous nous sommes croisés lors une soirée à Brixton, chez des amis.

Christopher : A cette époque, je déménageais et je devais attendre six semaines avant que mon nouvel appartement se libère. J’ai atterri chez Ashley. On a commencé à boire du vin rouge ensemble et un jour, alors que l’ordinateur était allumé, on s’est mis à bidouiller, comme ça pour rigoler. On ne pensait pas former un groupe, on était juste bourrés. Quelqu’un a récupéré ce morceau et nous avons été signés grâce à ça.

Ashley : Oui, sur la foi d’une chanson à demi terminée. On a toujours voulu tenter notre chance dans la musique. C’est d’ailleurs la seule chose qu’on soit capables de faire… On aurait sûrement fini par décrocher un contrat, d’une façon ou d’une autre.

La légende raconte cependant que cette signature serait due à une connexion maritale.

Christopher : Oui, en effet. La cassette s’est trouvée chez la bonne personne de cette façon-là, mais nous n’avons pas été signés pour ça. Le type de 4AD était venu voir Rachel (madame Andrews à la ville) et elle lui a fait écouter ce morceau, bien que j’avais stipulé que c’était un travail en cours.

Ashley : On était furieux, mais bon, vu le résultat… Aujourd’hui, il n’y a pas d’autre moyen d’obtenir un contrat. Il faut connaître quelqu’un. Envoyer des cassettes au jugé ne sert à rien. Ils ne les écoutent pas.

Quel effet cela procure-t-il d’être chez 4AD, le plus ancien label indé en activité ?

Ashley : Difficile, très difficile même. Ça demande beaucoup de boulot.

Christopher : Tout le monde imagine que 4AD est cette fabuleuse petite institution dédiée à la musique indé, alors qu’en fait, la moitié de la compagnie appartient à Beggar’s Banquet -ce qu’on a fait de plus proche d’une major, sans en être une. Ils ont un énorme chiffre d’affaires. La seule différence avec une major, ce sont les bureaux, plus petits, où six personnes environ travaillent. Nous les connaissons tous, bien sûr. On s’entend bien avec eux, ce sont des gens sympas… mais en termes de gestion du label ou des groupes, c’est exactement comme dans une grosse boite. On se croirait chez EMI.

Ashley : Sauf qu’ils claquent moins de pognon pour la décoration des locaux !

Combien de concerts à ce jour ?

Ashley : Je dirais 25 pour l’instant. Dans 8 pays, y compris les USA.

Christopher : On a joué au Bataclan pour le festival des Inrockuptibles et c’était raté. On préfère tourner dans le reste de l’Europe plutôt qu’en Angleterre.

Pourquoi ?

Ashley : Les Anglais sont moins ouverts, moins réceptifs à la nouveauté. Ils s’assoient, regardent du coin de l’œil. Ailleurs, si le public aime, il danse.

Christopher : Les Anglais s’inquiètent de toutes sortes de paramètres : est-ce cool ? Est-ce que le NME trouve ça cool ? Si ça n’a pas été déjà validé, ils n’oseront pas aimer quelque chose.

Votre opinion sur l’omniprésente French Touch.

Ashley : On adore Rinôçérôse. J’aime Daft Punk également, et j’ai l’impression que Cassius les a copiés. Pour être franc, Air ne casse rien.

Christopher : Kelly watch the stars est un bon morceau. Ça fait un peu prog-rock. Daft Punk est bien plus énergique, plus rentre-dedans. Da funk est une des meilleures vidéos que j’ai jamais vues. Le type à tête de chien parle tout le temps avec la musique seulement en fond sonore. Il fallait un cran, une audace énormes pour oser tourner ce court métrage de dix minutes, plutôt absurde, pour promouvoir un single. Et tout le monde l’a vu ! On devrait essayer de faire ça.

Quel genre de vidéos a tourné Cuba à ce jour ?

Ashley : Nos deux premières étaient bricolées avec des petits budgets. La troisième a été tournée à New York, pour notre nouveau single.

Christopher : On dirait une pub pour Pepsi, tellement c’est soigné… En réalité, on voit juste Ashley et moi en train de marcher dans New York, devant des trucs comme le Brill Building. Shara (Nelson, chanteuse sur certains titres de Black dawn riot) ne pouvait pas nous accompagner, car elle était enceinte. Alors ils l’ont filmée en studio, face à un écran spécial qui permet les superpositions ensuite. Lorsqu’Ashley et moi traversons Times Square, elle apparaît sur un de ces écrans géants et nous regarde.

Ashley : Elle est supposée nous poursuivre sans relâche, je crois.

Christopher : C’est ce que nous répétait le réalisateur en tout cas. Il nous disait : « Regardez, Shara vous envoie des ondes d’amour… » Nous on disait : « ouais, ouais, c’est ça, ok. »

Oui, finissons-en, qu’on fasse un peu de shopping. On est à New York, quoi !

Christopher : Tout juste. Ce que je porte aujourd’hui vient de NY, justement. On nous avait donné un budget vêtements et on a tout claqué, mais on n’a pas mis les fringues pour le tournage. Il faisait trop froid pour ça, il pleuvait.

Ashley : Le réalisateur nous criait : « n’ayez pas l’air d’avoir froid », et nous avions le nez rouge, qui coulait…

Devil’s rock ressemble à du Morricone. Coïncidence ?

Christopher : Absolument pas. Il y a de la flûte, de l’harmonica et nous qui chantons « Oh, oh, oh » derrière. C’était très drôle à enregistrer. On adore Morricone, John Barry et Lalo Schifrin. Nous avons vu John Barry diriger un orchestre, il y a deux ou trois mois. C’était pas terrible, il n’a pas joué The Persuaders et ses meilleurs trucs, en insistant essentiellement sur ses compositions plus récentes, comme Dancing with wolves. C’était au Royal Albert Hall, il y avait tous ces gens en tenue de soirée et nous, une quinzaine environ, en baskets et en pantalons extra-larges. On criait « Barry ! » et on buvait des bières. Je suis sûr qu’il a apprécié notre enthousiasme.

Quelle est la répartition des rôles au sein du duo ?

Ashley : Ça dépend des morceaux, de qui a eu l’idée directrice en premier. On est multi-instrumentistes tous les deux… On se réunit pour composer en général.

Vous vous associez à de nombreux musiciens sur scène.

Ashley : Deux mecs bidouillant des machines, c’est franchement casse-pieds à regarder. Autant aller dans un club et écouter les disques que passe un DJ.

Christopher : Si je vais voir les Chemical Brothers, par exemple, je finis par me dire qu’il me suffirait de les écouter. Ça me fait l’effet de regarder un mécanicien réparer ma voiture. Les gens pensent que voir ça devrait nous inspirer, mais non, ça nous ennuie aussi.

Ashley : On a envie de se différencier. Il y a peu de groupes instrumentaux qui ressemblent à un groupe de rock normal sur scène. Avec nous, le public attend toujours que le chanteur sorte des coulisses. Excepté qu’il n’y a pas de chanteur !

On vous compare beaucoup à Primal Scream.

Christopher : C’est juste du journalisme paresseux. Un jour, un type a écouté un de nos morceaux et entendu une trompette. Primal Scream a été l’un des premiers à en utiliser une… C’est ainsi qu’est née cette comparaison un peu agaçante, parce qu’on n’est pas trop fans de Primal Scream. J’aime bien Screamadelica, mais je ne me déplacerai pas pour aller les voir jouer. On se sent plutôt proches de gens comme Funkadelic ou Sonic Youth, mais il n’y a pas énormément de contemporains à qui l’on ressemble.

Avant de mettre en vente un single, vous avez sorti deux white labels (exemplaires destinés aux DJs). C’était une façon de faire monter les enchères ?

Christopher : Les gens nous entendaient dans des clubs et voulaient savoir qui on était. On aimait le fait de s’entendre en club. Quand un DJ aime un disque et le passe, il en garantit le succès. Le culte du DJ est puissant en Angleterre.

Ashley : C’est ce qui s’est passé avec Stardust. Le groupe a balancé des white labels de Music sounds better with you à la Miami dance music conference. Tous les DJs du monde en avaient un exemplaire. Les gens allaient en vacances à Ibiza, par exemple, entendaient ce titre tous les soirs, et, à leur retour, ils étaient ravis de pouvoir l’acheter… C’était la bande-son de leurs vacances.

Les prochaines étapes de Cuba ?

Christopher : Nous allons être DJs à Londres tout l’été. De façon toute simple, en mélangeant les genres, comme si on faisait ça à la maison ou pour une fête chez des copains. Ensuite, nous allons participer à des festivals. On est impatients de rejouer.

Votre musique a été décrite comme étant « hot and sweaty ».

Christopher : Il ne s’agit pas de notre musique, mais de nous.

Sur scène ?

Christopher : Non, constamment.

Ashley : J’adore cette définition, je n’en veux pas d’autre. Ça convient à Hot shit.

Christopher : Ils auraient pu ajouter sexy.

Propos recueillis par