Norman Spinrad est né à New York, le 15 Septembre 1940. Cet écrivain, auteur de « Printemps Russe », de « Jack Barron et l’étérnité » et d’une douzaine d’autres romans, s’est toujours fait remarquer par la pertinence et souvent, la causticité, de ses livres. Il habite à Paris depuis 1990. Rencontre…

Chronic’art : Pourquoi avez-vous choisi de vivre à Paris ?

Je suis venu à Paris pour écrire Le Printemps Russe. J’y suis resté pour la culture et pour voir de près les bouleversements de l’Europe durant la dernière décennie ; j’ai fait beaucoup de voyages : Allemagne de l’Est, de l’Ouest…

Qu’est-ce que Paris a de plus que New York ?

J’ai habité New York pendant vingt-cinq ans… Et je connais très bien la plupart des états américains, à l’exception de trois ou quatre. Ici, c’est nouveau pour moi, c’est un autre monde, une aventure.
Mon français n’est pas parfait mais je suis plus impliqué ici dans toutes les formes de culture qu’aux États-Unis. Je fais du journalisme, en pigeant pour Le Nouvel Observateur, L’Express, Le Monde Diplomatique, j’écris un scénario sur Vercingétorix (un prochain film de Jacques Dorfman…, ndlr) en anglais et en français… tout ceci est très varié. Je crois qu’il y a la possibilité de faire plus de choses ici.


Spinrad et l’Internet

Pourriez-vous nous définir l’Internet ? Quel(s) intérêt(s) le réseau a-t-il pour vous ?

Le réseau est une immense bibliothèque/encyclopédie internationale où l’on trouve n’importe quelle information. Si on cherche la carte d’un pays, on peut consulter les anciens atlas du KGB ou de la CIA. Les photos de Mars sont disponibles très facilement, les photos-satellites, tout ce que vous voulez…
Je me suis connecté pour la première fois il y a deux ans. Depuis quelques temps, j’ai mon propre site Web -que j’édite moi-même-, qui représente un bon moyen de communiquer, une forme de publicité mais aussi un contact avec les lecteurs. Je reçois entre 100 et 200 mails de lecteurs par mois…

En la matière, la France est-elle en retard ?

Oui et non. Le seul tort de la France, c’est d’avoir été trop en avance avec le Minitel. La France était le pays qui comptait le plus de connectés au monde avec ce petit truc gratuit, loin devant les États-Unis. L’idée était très novatrice, mais l’appareil lui-même est maintenant dépassé. La France n’est pas en retard pour ce qui est de l’idée ou des logiciels. D’ailleurs le business marche beaucoup mieux avec le Minitel qu’avec le Web, alors que ce matériel est tellement lent. Il s’agit juste d’un problème de hardware.
Mais cette année, je crois que tout va être bouleversé : France Télécom commence à bouger et, avec l’appui d’un tel géant, dans un ou deux ans, le paysage du réseau sera vraiment très différent. En plus, la dérégulation du marché des télécoms va accélérer le changement.

Croyez-vous à l’émergence d’une communauté mondiale grâce à l’Internet ?

Personnellement, je pense que pour comprendre l’influence de l’Internet dans les relations entre les gens, le meilleur modèle n’est pas la TV, mais le téléphone. Et ce dernier ne crée pas de communauté mondiale. L’Internet est un monde composé d’une grande diversité de communautés transnationales : par exemple, la communauté de la SF (une vieille communauté !).
Le réseau est donc un moyen de communication pour des communautés transnationales. D’habitude, on définit les cultures nationales selon des critères géographiques et historiques, mais sur l’Internet ces différences-là sont gommées. Il faut voir les choses sous un autre angle, les communautés se forment autour d’intérêts spécifiques : SF, cyber, basket… Mais il n’existe rien de global.

La prochaine révolution technique portera sur les langues. Ils ne sont pas encore tout à fait au point mais dans un proche avenir, les systèmes de traduction automatique vont permettre une forme de transparence de langage. Le monopole de l’anglais sur le Net sera fortement compromis par ces traductions simultanées.
Bien sûr, la littérature n’est pas concernée. Ceci dit, avec une communication internationale facilitée et instantanée, nous allons vers un effacement des particularités nationales nettement plus accentué…

Croyez-vous que, dans certains domaines, la limite entre professionnel et amateur peut disparaître sur l’Internet ?

Le passage de l’un à l’autre sera peut-être plus fluide, mais plus difficile aussi, car la compétition sera plus féroce.
En revanche, je crois que considérer l’Internet comme un moyen d’édition est ridicule. J’ai fait beaucoup de recherches là-dessus. D’abord, c’est une question de technologie, il n’existe pas encore de livre numérique : un objet/écran de la taille d’un livre sur lequel on pourrait télécharger un texte puis le lire confortablement. Même Sony en est encore loin…

Reste également un problème de choix. Si tout le monde peut poster son œuvre, comment savoir ce qui est valable ? C’est normalement le rôle des éditeurs -quoique en ce moment… : faire une sélection parmi la production littéraire.
Quels sont les risques que court le Net ?

L’Internet est trop compliqué pour devenir un « mass-média ». Mais si, dans quelques années, avec des modems plus puissants, le Web devient une nouvelle sorte de télévision, d’entertainement, ce sera le bordel absolu ! Tout serait gelé ! C’est une question de bande passante. D’ores et déjà, le Net est largement encombré. Si des millions de gens l’utilisaient pour regarder de la vidéo, rien ne marcherait plus.
Une autre idée ridicule : le Network Computer, un truc pas cher sans mémoire et sans logiciel. Les logiciels et les documents sont stockés sur la mainframe. Dès que l’on veut utiliser un logiciel, il faut aller le chercher puisque le NC ne garde rien en interne, ou presque. Idem pour les documents. Nous sommes en train de réinventer le Minitel ! Avec une connexion plus rapide certes, mais c’est la même chose. Ce système engluerait le réseau. Qui plus est, c’est un moyen de contrôle puisque le mainframe contient tout, logiciels et documents. C’est sinistre. Je ne crois pas que ça marchera.

Comprenez-vous que certains gouvernements puissent s’opposer à l’Internet ?

En Chine, à Singapour, c’est le cas, mais je ne crois pas qu’un État puisse gagner ce genre de conflit : il y aura toujours de nouveaux moyens de contourner les interdictions. C’est une lutte inutile. Les gouvernements ne peuvent pas « contrôler » l’Internet, au mieux peuvent-ils rendre plus difficile son accès. Mais à ce jeu-là, ils seront toujours perdants.
D’autant que maintenant, il est relativement aisé de se connecter tout en voyageant, sur un téléphone ou un ordinateur portable. En pleine mer ou au cœur de la jungle, vous pouvez lire votre e-mail !


Spinrad et la science-fiction

Si vous deviez réécrire aujourd’hui Deus X, comment vous y prendriez-vous ?

En général, j’écris beaucoup de choses sur le Net mais je décris souvent un réseau extrêmement avancé : Rock machine, La Vallée du vide, etc. Les innovations technologiques actuelles ne m’inspirent pas trop pour imaginer ces Ultimate Networks.
Deus Ex
, c’est différent. C’est une novella. Si c‘était à refaire, je ferais un peu plus long, avec plus de détails.

Quels sont les livres que vous avez aimés cette année ?

Cyphers de Paul Di Filippo, Les Racines du Mal de Dantec et un petit roman d’un auteur peu connu : Second Coming de David Prill.
En général, j’aime le grand synthétisme dans le polar, la science-fiction où l’on trouve, par exemple, expliqué en seul livre, la physique quantique, la kabbale et les serial killers.

Vos projets ?

Avec Maurice Dantec, nous travaillons ensemble sur une oeuvre musicale de Heldon. Richard Pinhas reforme le groupe (Heldon est un groupe mythique de la contre-culture, apparu dans les 70’s, ndlr)…

Propos recueillis par

Le site de Norman Spinrad

Bibliographie :


En français

La Grande guerre des bleus et des roses
(Pocket)
Les Miroirs de l’esprit
(Pocket)
Rêve de fer
(Pocket)
Les Années fléaux
(Denoèl)
Vamps
(Denoèl)
Jack Baron et l’éternité
(Laffont)
L’Enfant du fortune
(Laffont)
Le Chaos final, Les Prionnières du chaos
(Pocket)
Rock machine
(Laffont)
Chant des étoiles
(Calman Levy)
Le printemps russe
(Denoèl)
Deux Ex
(Denoèl)
En Direct
(Denoèl)


En anglais

Romans
The Solarians
(1966)
Agent of Chaos
(1967)
The Men in the Jungle
(1967)
Bug Jack Barron
(1969)
The Last Hurrah of the Golden Horde
(1970)
The Iron Dream
(1972)
No Direction Home
(1975)
Riding the Torch
(1978)
The Star-Spangled Future
(1979)
A World Between
(1979)
Songs from the Stars
(1980)
Little Heroes
(1987)
Other Americas
(1988)
Riding the Torch
(1990)
Russian Spring
(1991)
Deux X
(1993)
Journals of the plague years
(1995)

Non-Genre Fiction
Passing Through The Flame
(1975)
The Mind Game
(1980)
The Children of Hamelin
(1991)

Non-fiction
Fragments of America
(1970)
Experiment Perilous
(1976)
Staying alive
(1983)
Science fiction in the real world
(1990)

Publications
The New tomorrows
(1971)
Modern science fiction
(1974)