Actrice, chanteuse, danseuse, Myriam Mézières est surtout connue pour sa collaboration avec Alain Tanner, le plus grand des cinéastes suisses, dont elle est depuis 1976 la complice et la muse, héroïne charnelle d’ »Une Flamme dans mon coeur » et du « Journal de Lady M. », deux films en partie autobiographiques. Mais son parcours ne se résume pas à cette belle osmose artistique : comédienne chez Vecchiali (« Change pas de main », « Corps à coeur »), Mocky (Un Linceul n’a pas de poches ») ou Zulawski (« Mes nuits sont plus belles que vos jours »), Myriam Mézières tourne beaucoup en Espagne, où elle est aussi une femme de scène pas comme les autres, prêtresse de spectacles érotiques qui exacerbent la dimension sexuelle propre à la plupart de ses rôles. Rencontre avec cette mystérieuse apatride qui vient de co-réaliser (avec Alain Tanner) son premier long-métrage, Fleurs de sang, film rebelle empreint de fureur et de passion. Evidemment.

Chronic’art : Fleurs de sang peut-il être considéré comme le dernier volet d’un tryptique, après Une Flamme dans mon cœur (1987) et Le Journal de Lady M. (1992) ?

Myriam Mézières : Oui, absolument. De mon point de vue du moins, mais il faudrait demander à Alain Tanner. En tout cas, j’ai l’impression que ma vie a commencé avec Une Flamme dans mon coeur.

Ah bon ? Et votre carrière ?

Ce n’est pas une excuse mais disons que ma jeunesse m’a un peu échappé, que je ne comprenais pas tout et que ma conscience a commencé à se réveiller avec le tournage d’Une flamme dans mon cœur. Mais je ne regrette pas le reste. J’étais une très jeune comédienne : je voyais un rôle, pas l’ensemble d’un film. En écrivant le scénario d’Une flamme dans mon cœur , j’ai initié un travail en rapport avec l’autobiographie. Je savais que ce que je faisais était risqué, que je pouvais être attaquée, mais je le revendiquais, j’en étais fière. Donc, ça a été déjà une première prise de conscience, mon premier vrai parti-pris.

En même temps, jouer dans le premier film porno distribué en France, (Change pas de main, 1975, de Paul Vecchiali), c’était aussi un vrai parti-pris.

Ce n’était pas un film porno, c’était tout sauf un film porno.

Disons un film avec des scènes de sexe explicites…

C’était un film violent, pur et dur. Vecchiali m’avait demandé de jouer une détective privée, et à ce moment-là, je tripais sur Bogart. J’ai donc pleinement assumé les scènes de violence du film, ou en tout cas la façon violente dont le sexe était abordé. Mais mon personnage était plutôt spectateur. Je n’aurais jamais participé aux orgies qui étaient filmées, parce que j’ai un sens de la propriété de mon corps qui est assez développé. Je suis l’anti-Catherine Millet (rires). Pour revenir au porno, c’est quelque chose que je ne trouve pas du tout excitant, et qui n’est comparable ni au travail de Vecchiali, ni à celui de Tanner. Dans Une Flamme dans mon cœur il y avait des scènes explicites, des scènes qui pourraient être jugées violentes d’un point de vue sexuel par the so called cinéma artistique, mais c’étaient des scènes d’amour. J’ai un côté assez femelle traditionnelle tout en ayant la capacité d’aller très loin dans un film lorsque je joue une histoire d’amour. Je n’arrive pas à dissocier l’amour du sexe et inversement. C’est incurable.

A partir de Change pas de main, vous avez été cataloguée « actrice subversive » ?

Oui, évidemment. Vous pensez que les actrices d’aujourd’hui, à part la sublime Christine Boisson, risquent leur image ? Je ne les attaque pas mais, dans l’ensemble, c’est quand même très « petite coupe au carré ». J’aime quand, dans un film, on voit des gens qui émanent un autre monde. C’est ça aussi dont parle Fleurs de sang, de cette différence. En France, je n’aurais jamais pu jouer les spectacles que j’ai créés en Espagne, sinon je pouvais dire adieu à ma carrière.
A quoi ressemblent ces spectacles ?

Ce sont des spectacles qui prolongent sur scène mon travail au cinéma. Des spectacles sur le corps et l’âme de la femme, bref, sur les choses de l’amour. Des spectacles à textes, musicaux et érotiques, mais à ma manière, loin des clichés et de la banalité propres à l’érotisme aujourd’hui.

Comment en êtes-vous venue à co-réaliser Fleurs de sang ?

Au moment d’Une Flamme dans mon cœur, j’étais totalement abandonnée comme actrice, une pure pâte malléable. Pour Le Journal de Lady M., la mise en images me taraudait déjà, j’avais pris énormément de notes, mais j’ai laissé les rênes à Tanner. Et puis quand j’ai écrit Fleurs de sang, je me suis rendue compte que je visualisais tout et qu’il fallait passer à l’acte, même si ça me faisait très peur.

C’est par manque d’assurance que vous avez partagé la tâche avec Tanner ?

J’adore les défis mais je suis mauvaise perdante, j’aime gagner, et j’ai voulu mettre toutes les chances de mon côté pour Fleurs de sang. C’est moi qui ai fait appel à Alain qui, jusqu’ici, est celui qui m’a le plus comprise comme personne et comme artiste, bien qu’on soit très différents. Ce n’était pas évident pour lui de se lancer dans une aventure comme ça parce que Fleurs de sang raconte une histoire, va vers des personnages et suit leur trajectoire. Selon Alain, ses films ne racontent pas d’histoires, ils sont purement idéologiques. Je sais que la relation mère / fille va occulter le reste du film mais ce qui m’importait avant tout pour Fleurs de sang, c’était de montrer comment et pourquoi un personnage lumineux, glamour, perd son éclat. Dans une moindre mesure, le film peut aussi être lu comme le reflet d’une relation artistique intense entre Alain Tanner et moi, avec sa dialectique, ses prises de tête, ses divergences.

Le film commence par une danse du ventre, un gros plan de votre nombril. Est-ce que c’était un pied de nez au narcissisme dont on pouvait vous accuser ?

On m’accuse de tellement de choses, je vais finir par me foutre de ce qu’on peut penser de moi. Ceci dit, je ne suis pas exhibitionniste. On dit que je suis provocatrice mais moi je trouve que je suis aussi innocente que le petit oiseau qui est sur la branche.

C’est une réplique d’un de vos films, ça…

J’avais écrit une chanson comme ça… Oui, c’est vrai, c’était dans Une Flamme dans mon cœur. Excusez-moi, j’avais la faiblesse narcissique de m’auto-citer (rires). C’était une chanson que j’aimais beaucoup. Elle disait : « J’ai les lèvres aussi rouges parce que je suis avide et cruelle. Cœur de pierre de lune, mais je suis aussi innocente que le petit oiseau qui est sur la branche ». C’est toujours valable, sauf que le petit oiseau a pris son vol de croisière. Pour revenir à la danse du ventre, c’était surtout une façon d’insister sur la relation mère / fille. Les Anglais l’ont appelée belly dance, mais c’est parce qu’ils ont mal entendu le mot arabe « bleddi », qui vient de « bled », le village. Si vous faites attention, les hanches des danseuses dessinent souvent un huit, le signe de l’infini, leurs mouvements sont censés suivre la course des astres dans le ciel, et c’est aussi une danse de fertilité. D’où sa présence dans le film.

Alain Tanner parlait de films pirates pour Le Journal de Lady M et Une Flamme dans mon cœur. Idem pour Fleurs de sang ?

C’est drôle, j’étais dans la rue, tout à l’heure, et beaucoup de manifestants portaient des pancartes « soyons pirates ». Oui, le film c’est ça. Alain Tanner avait raison. On a tourné Fleurs de sang dans des conditions pirates, mais je ne trouve pas qu’il ait une forme pirate. C’est un film d’une sensibilité plus populaire que les deux précédents. Ceci dit, je viens de lire une interview de Brian De Palma qui affirme, à juste titre, que les gens d’aujourd’hui ne supportent plus les grandes scènes d’émotion au cinéma. Alors malgré ce « taux d’affaissement de la sensibilité du public », j’espère que l’émotion que j’ai voulu faire passer trouvera un vrai écho.

Propos recueillis par

Lire notre critique de Fleurs de sang