Cette année, la tradition des fanfares est revenue en force sur les scènes françaises. Les programmateurs en raffolent dans les festivals. Ils sont partis les chercher aux quatre coins du monde. L’aspect déambulatoire et festif du genre arrive apparemment à séduire tous les publics, jeunes et moins jeunes… ou presque. Un phénomène qui donne l’occasion au Jaipur Kawa Brass Band de venir défendre une tradition indienne héritée des anglais (une histoire qui remonte au XVIIIe siècle). Avec un répertoire éclatant qui s’inspire du patrimoine musical de la région du Radjasthan, ainsi que des musiques populaires du cinéma indien (un album est sorti chez Iris Musique).

En tournée internationale depuis 1997, cette fanfare indienne, construite autour d’une dizaine de personnes, entraîne et séduit le grand public sous la direction artistique du « tabliste »* Hameed Khan Kawa, connu pour avoir collaboré depuis de très longues années avec quelques grands noms de la scène européenne (il a notamment travaillé avec le fameux trio Eric Marchand) et avec le concours de son frère Siraj Kawa, à qui nous avons posé quelques questions, lors d’un dernier passage à Paris**.

Chronic’art : L’origine ?

La tradition de la fanfare est arrivée en Inde avec les Anglais. Les fanfares jouaient à cette époque essentiellement dans la famille royale, pour les Maharadjah, pour les divertissements. Et quand l’Inde est devenue indépendante, les fanfares sont restées en Inde et sont devenues populaires. Et elles ont servi à honorer toute sorte de fêtes, les mariages surtout. Ça fait partie de la fête indienne. Ça entraîne le public à danser. La fanfare accompagne toutes les cérémonies en fait de la vie quotidienne. Dans les mariages, elles servent à accompagner le marié chez la mariée, à accompagner aussi les processions de cadeau. Toutes les invitations honorifiques faites à la famille de la mariée… se font en fanfares. Donc il n’est pas rare de croiser en Inde des fanfares à chaque coin de rue, qui vont amener des choses chez les uns et les autres. On ne peut pas se marier sans fanfares aujourd’hui en Inde.

Une tradition instrumentale européenne…

Les instruments sont anglais mais les musiciens insufflent dans leurs instruments une âme indienne. Ils jouent avec leur cœur. C’est ce qui fait l’essence de cette musique. Les instruments traditionnels indiens, comme les tablas ou le sitar, ne sont pas adaptés à la forme de la fanfare. Nous ne les utilisons pas. Ils ne sont pas appropriés à cette forme de musique populaire de toutes façons. Les instruments sont donc arrivés en Inde d’Europe. On les a repris tels quels. Mais on a forgé notre propre répertoire au fil du temps. Il est lié à la danse indienne, à notre musique, à nos traditions.

Un répertoire populaire…

Nous avons pris des chansons de films classiques indiens pour construire ce répertoire. Des chansons traditionnelles du Rajasthan aussi. Musiques de films et folklore. C’est un choix délibéré du directeur artistique de la fanfare, mon frère Ahmed Khan Kawad, qui est tabliste et qui vit depuis 14 ans entre la France et l’Inde. A force de fréquenter les cercles musicaux européens, il a choisi de construire cette fanfare, en créant un répertoire inspiré par des milliers de chansons populaires. Il y a des chansons qui sont nouvelles pour une fanfare en Inde. Beaucoup de chansons que les fanfares ne jouent pas habituellement, qui sont des créations. Par ailleurs, il a réuni au sein de cette formation qui tourne en Europe les meilleurs musiciens des différentes fanfares qui tournent en Inde actuellement.

La chanson « Sehra » contenue dans l’album ?

C’est une chanson qui correspond à un moment très particulier du mariage. Il s’agit du moment où le marié, avant de quitter sa maison, met son turban sur sa tête. Il est encore dans l’intimité de sa famille, dans sa maison. La fanfare lui joue un morceau, rien que pour lui, pendant 10 minutes. C’est une tradition très ancienne. En fait, très peu de fanfares la pratiquent encore. C’est donc une reprise d’une chanson ancienne que fait le Jaipur Kawa Brass band. Sur le plan instrumental, c’est une pièce pour percussions et clarinettes. Mais parfois on la joue avec trombone et tuba bien sûr…

La part d’improvisation ?

Elle est naturelle chez le musicien indien. C’est un état d’esprit. En fait, quand tout le monde joue, qu’il y en a un qui a le feeling, il commence à improviser. Sans prévenir. Les autres, ensuite, se baissent un peu pour le laisser faire. Ça peut durer… Un morceau de 5 minutes peut aisément durer une demi-heure, si les musiciens sont en forme. Et ça vient comme ça, en plein concert ou selon l’humeur. C’est une question de feeling, comme je vous disais.

Danseuse et fakir…

Dans les villages au Rajasthan, durant les mariages, il est très fréquent de voir des danseuses… qui accompagnent les fanfares. Et aussi des hommes travestis en femmes qui dansent. C’est quasiment naturel pour une fanfare. Quant au fakir, c’est quelqu’un qui développe un art également fréquent en Inde. Lui aussi accompagne souvent des formations musicales. Mais disons qu’il fait des choses très particulières, comparé à la danseuse. Il peut prendre par exemple une pierre de 5 kilos avec son œil. Ou avaler un sabre. Il fait toujours des choses incroyables.

Propos recueillis par


* tabliste : joueur de tablas
** Le Jaipur était au festival Paris, Quartiers d’été du 26 au 30 juillet 1999. Il sera de nouveau à Paris vers le 5 septembre. Contact : 05.49.46.31.25