A l’occasion des sorties groupées de l’explosif Varcharz de Mouse On Mars (Sonig / Ipecac), et de Mound magnet, troisième opus de son projet solo Lithops (Thrill Jockey), échange avec l’immense et trop discret Jan St Werner, présence essentielle de notre époque musicale.

Chronic’art : Varcharz est tellement débordant d’énergie, on dirait un retour à la forme après une période plus calculée, plus restreinte. Que s’est-il passé ?

Jan St Werner : On choisit les sons qu’on utilise, on ne se laisse pas guider par eux. Un son plus policé est un choix intentionnel, un commentaire délibéré sur un album spécifique. Cette fois-ci, on s’est arrêté sur la vitesse, et l’énergie brute. On pense quand même que Varcharz est plutôt très produit, ceci dit. On aime beaucoup produire, et je pense qu’il s’agit autant de pop music que nos albums précédents.

C’est également votre album le plus violent à ce jour. Etait-ce une intention volontaire de faire un album aussi radical ?

Oui, comme tous nos disques. On ne voulait pas faire la suite logique de Radical connector, mais plutôt faire montre du côté le plus bruyant et le plus chaotique du groupe, qu’on peut par exemple entendre dans nos concerts.

Dodo Nkishi ne chante pas et ne joue pas sur l’album, et c’est votre premier album depuis longtemps sans voix ou instruments additionnels…

Oui. L’idée était vraiment de faire un disque qui ressemble aux concerts qu’on fait en duo. Il est plus compressé et personnel que nos albums précédents, il donne plus d’espace aux changements abrupts, aux ruptures, dont on est particulièrement friands. On pense aussi toujours faire à un album complètement acoustique, un jour futur.

Radical connectors était votre disque le plus laborieux, celui qui vous a pris le plus de temps. Comment avez-vous travaillé sur celui-là ? Les crédits de l’album mentionnent 2003-2006, comme si le disque était plutôt une compilation d’inédits…

On a réalisé qu’on préparait cet album sans le savoir depuis plus de trois ans. Quelques morceaux supplémentaires et de l’editing, et le disque était fini.

A l’image de l’artwork, le disque est aussi votre plus sale à ce jour…

L’artwork a été réalisé par notre ami Diango Hernandez, avec qui on partage pas mal d’idées. C’est un album tordu et personnel, comme dit Diango, « perverti et sensible ». On dirait plutôt, gentiment agressif. On a également créé un label, avec lui, The National Bank Of (voir le site du label).

Des bouts d’electro old school, de dance music idiote et même des riffs de metal font des apparitions remarquées sur l’album. Comment incorporez vous les autres musiques dans la vôtre ?

On aime tellement la musique qui se fout des genres et des styles. Ce riff, cette production, un son particulier, la musique concrète autant que le R&B ou des extrémités free jazz, Mark E.Smith (avec qui le groupe a collaboré sur le EP Wipe that sound, après qu’il ait vu le grouper jouer en concert, ndlr), tout ce qui peut briller est susceptible d’attirer notre attention. On est juste incapables de séparer les expériences que ces sons peuvent provoquer de notre musique.
En écoutant Varcharz, mais également les travaux récents de Jan en solo avec Lithops ou avec Michel Waizvisz, on sent une attirance de plus en plus prononcée vers la musique simplement noise, voire harsh noise… Ce qui est surprenant, après des disques plus calmes, voire silencieux (le premier album de Lithops, par exemple…).

Peut-être, oui, même si l’idiotie peut être au moins aussi absurde et dérangeante que la noise music peut-être un cliché et un style ennuyeux. C’est une histoire de tension, de précision, d’espace. Nous n’avons pas accès à ces stéréotypes quand nous produisons de la musique, nous préférons essayer d’avoir accès au coeur du son, où tout le matériel audible peut être utilisé, juxtaposé. Le bruit est relatif, en fait, il n’a pas d’existence propre, sans comparaison. Le « noise », c’est de la non-information, et tout ce que nous utilisons a un contenu spécifique. Peut-être que des moments de notre musique peuvent paraître extrêmes pour certaines oreilles, mais c’est seulement parce que ces oreilles ne sont pas habituées aux sons qu’on peut utiliser. On essaye d’opérer sans attentes, sans préjugés hâtifs, selon notre compréhension des choses.

En termes de sound-design, l’album est une mine d’or : des couches de sons qui se mélangent de manière incroyable, à travers le bruit et la compression. Comment avez-vous procédé ?

On utilise beaucoup de machines analogiques, au moins autant que des instruments numériques, tout ce qui peut servir pour amener et faire naître des sons nouveaux, surprenants, stimulants. C’est de la création, de l’écoute, du découpage, de l’élargissement, de l’arrangement, du mixage, de la production. Toutes ces étapes qu’on mélange, sans ordre précis et préconçu.

On a l’impression qu’il y a beaucoup de temps-réel sur le disque, comme si l’album était supposé ressembler à un concert…

C’est un peu de ça, et aussi beaucoup de programmation, de filtrage, de calculs et de découpage. On essaye de trouver de nouvelles manières d’opérer en permanence.

La programmation, la recherche en musique électronique, assistée par logiciels, ne sont plus autant à la mode qu’il y a quatre-cinq ans, autour de Mego et des artistes d’A-Musik et Sonig. Pourtant, Jan dirige STEIM (Centre de recherche et de développement d’instruments et outils pour les performers des arts électroniques), l’IRCAM hollandais. Est-ce que vous utilisez encore ce genre d’instruments pour la musique de Mouse On Mars ?

Oui, même si ça a toujours été une petite partie du process, jamais le centre, le propos final. C’est sûr qu’on parlait beaucoup plus des aspects techniques de la musique il y a dix ans, et on n’y a jamais vraiment participé. En fait, on s’attendait bien à cette crise de l’euphorie techniciste dans la musique électronique, parce que ça n’a jamais été une fin en soi.

Et qu’en est-il de la scène de Cologne, des artistes amis sur Gefriem, A-Musik, dont on n’entend quasiment plus parler ?

Sonig est devenu plutôt international, et le seul groupe allemand à part Mouse On Mars et Lithops aujourd’hui, c’est la nouvelle signature Candy Hank (nouveau projet de Patric Catani, qui fait également A-Class, Puppetmastaz, etc., ndlr). A-Musik est plus actif que jamais en tant que distributeur et magasin de disques.

Peut-on dire que la musique électronique est toujours en crise ?

Elle l’était déjà quand elle avait l’air en bonne santé, en tête des magazines, elle a toujours été un mouton noir de la musique. On ne peut pas faire semblant éternellement.

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Varcharz et Mound magnet