Compte-rendu du Festival Mo’Fo 2005 à Mains d’Oeuvre (Saint-Ouen) par notre gonzo-chroniqueur en chef, Wilfried Paris. Deuxième soirée (01.07.05 – relire le compte-rendu de la soirée précédente et celui de la soirée suivante)

Deuxième jour du festival Mo’Fo qui se tient à Mains d’Oeuvres ces jours-ci. Arrivé dans la place à 19h00, ça commence bien avec Sir Turner Cody en solo, très classe comme d’habitude, avec sa guitare acoustique en bandoulière qu’il joue de mieux en mieux dans un registre country-folk, avec pas mal de picking et de petites variations adroites. Ses chansons sont assez longues, dans une tradition de songwriting qui va de Leonard Cohen à Bob Dylan. Il emprunte d’ailleurs les intonations plaintives de ce dernier sur quelques morceaux, avant de finir avec son tube Running all around me en compagnie de David Ivar et Neman de Herman Düne (avec qui il a enregistré un album entier à Mains d’Oeuvres cette année, qu’on devrait découvrir dans les bacs sous peu). Devant un parterre encore peu fourni, sa voix grave et son jeu traditionaliste donnent un aperçu saisissant de la pépinière de talents venus de Williamsbugh-Brooklyn, cette scène qu’on a appelé anti-folk et qui n’a pas fini de se révéler… Turner Cody est vraiment une rock-star en germe (il doit en rêver la nuit en tout cas), avec l’attitude et la ténacité nécessaire pour y arriver (ce garçon ne se sépare jamais d’un petit carnet dans lequel il ne cesse de gribouiller des paroles de chansons).

On enchaîne vite avec le parisien Oly Arkle, salle Fo, qui joue 12 minutes montre en main ses petites chansons folk, dans un registre traditionnel américain (il a du dépouiller l’Anthology of american folk music d’Harry Smith), poussant l’identification jusqu’à chanter avec l’accent sudiste des péquenots du début du siècle, la Carter Family en tête. Sa belle guitare boisée et un batteur un peu approximatif rendent l’ensemble varié quoiqu’un peu apathique. On sent parfois le jeune homme écrasé par ses références, et on aimerait le voir se détendre, se lâcher un peu plus. Il est aussi prometteur en tout cas que El Boy Die, autre habitué des Open mics du Pop In (tous les dimanche soir, 105 rue Amelot, Paris 11e) qui lui succède sur la scène, en compagnie de Ben de Cyann & Benn à la guitare, Erwann à la basse, David Ivar au ukulele et Neman aux percussions. Emmanuel chante des chansons d’amour hippie-folk d’une voix haute et plaintive, un peu à la manière de Neil Young, dans un souffle, mais sur des mélodies entêtantes, ponctuées de phases instrumentales progressives (David fait merveille avec son ukulele, tandis que Ben fait des choeurs très san-franciscains avec beaucoup d’aplomb). Le groupe est plus ou moins improvisé (deux ou trois répétitions auront suffi) mais s’en sort très bien, en un petit quart d’heure. Manu est juste agaçant parfois avec ses gimmicks hippie (ses fringues à l’indienne, ses tee-shirts de bergers allemands) et sa petite voix fluette : on l’a entendu par ailleurs chanter avec une voix plus grave, plus de coffre et moins de pathos et c’était tout aussi bien. In progress, donc.
Entre deux concerts, on passe voir la table DIY Boogie, où divers fanzines et CDRs sont en vente : on achète un petit texte photocopié et agrafé, In bed with madonna, de Nicolas Richard, traducteur français de Brautigan et fan de Husker Dü, dans la très jolie petite collection de Disco-Babel (on vous recommande aussi l’interview sauvage de Kim Fowley par Philippe Manœuvre ou la nuit avec Jay Mascis de Benjamine Adorno, sans parler des très bons Minimum rock’n’roll, le premier sur les poils et rouflaquettes, le deuxième sur les bagnoles). On achète aussi le CDR du Club des Chats (3€), révélation de la veille. Je leur dit que c’était le meilleur concert de la première soirée, ils sont gentiment flattés, me répondent « Pourtant, il y avait de la concurrence » en toute modestie -groupe à suivre.

Bref, il y a Arrington de Dionyso de Old Time Relijun qui joue dans la sale Mo. Arrington a dormi chez moi ces trois derniers jours, parce que ma coloc’ fait partie de l’organisation du Mo’Fo. Je peux vous dire qu’il boit du Maté toute la journée, sorte de thé vert stimulant, aussi appelé « thé des jésuites » et boisson nationale en Argentine, et qu’il laisse traîner ses affaires partout. Par contre, il parle un très bon français et est un étonnant performer : seul sur scène, armé de divers instruments percussifs et acoustiques (une guimbarde, une sorte de tube en fer blanc), il produit des borborygmes et divers bruits de bouche d’une manière tout à fait chamanique et habitée. Quand il ne produit pas des sons répétitifs étranges, il chante a cappella comme un vieux bluesman qui a vu le diable, entre Robert Johnson et Captain Beefheart. C’est spectaculaire mais un peu ennuyeux et je préfère discuter avec Sébastien Donnadieu, excellent graphiste, éminence grise des soirées Nomades de la Fondation Cartier et le genre de personnage que vous voyez immanquablement à tous les concerts (il a son pass trois jours pour le Mo’Fo). Il a écouté ma démo (je cherche une maison de disque -rappel) et me félicite pour la qualité de mes textes et la beauté de ma musique : chouette, je lui propose donc de me pistonner pour jouer à la Fondation Cartier, proposition qu’il accueille d’un rire goguenard qui ne m’en dit pas plus. Justement, voilà la charmante Isabelle Godeffroy, programmatrice des soirées Nomade (et donc amie proche de Sébastien). Elle est un peu scandalisée parce que Mains d’Oeuvres a fait du surbooking pour cette soirée, les concerts sont difficiles d’accès et il fait une chaleur à crever. Je lui dis « C’est ça le rock’n’roll », et elle rigole : « Il ne manque que le sexe et la drogue ». Je lui réponds : « Pour la drogue, on peut s’arranger ». Ca doit la changer des soirées sans alcool ni cigarettes de la Fondation Cartier. Et en même temps, personnellement, je trouve l’ambiance de Mains d’Oeuvres beaucoup plus agréable et conviviale que les soirées aseptisées des musées.
Le public rock vieillit, voilà tout : il a besoin de confort d’écoute à mesure que croît son compte en banque. Mais le rock est encore et toujours une musique de jeunes. De jeunes fauchés comme moi, qui puise dans ma « flask » de Ricard pour reprendre des forces.

Ceci fait, je me dirige vers le concert de Gogo Charlton, jeune groupe parisien, constitué d’habitués du Pop In (Guillaume et Olivier) et du programmateur du Nouveau Casino, Nicolas Cuinier, à la basse (une petite basse rouge qui ressemble à un instrument jouet et qui a un très joli son). On peut encore écouter leurs morceaux récents ici. Les gogo ont leur fans (toute la clique de St-Lo et du label Ra’n’Bo) qui crient « A poil ! » « Allez Gogo ! » et autres gracieusetés très rock’n’roll. Le quatuor ne se démonte pas et livre un set très électrique, très rock, entre The Smiths et Dead cab for Cuttie, avec une reprise des New Bad Things pour conclure. Leur tube 75% marche du feu de dieu, avec sa petite ritournelle synthétique et son beat Franz Ferdinand. Par ailleurs, Olivier a une des plus belles et singulières voix entendues ces jours-ci, une voix très grave (des inflexions à la Ian Curtis) et puissamment mélodique (qui rappelle Colin Blunstone). Le groupe est aussi fan de The Shins, ce qu’on décèle dans les parties les plus pop de son répertoire. C’est le concert le plus « rock » qu’il m’ait été donné de voir des Gogo Charlton et à mon avis, dans ce registre électrique et enlevé (alternant avec des ballades imparables –Berlin), le groupe a de beaux jours devant lui. Reste à finaliser et à professionnaliser tout ça (le concert n’était pas toujours en place, quelques petits cafouillages…).

Pendant que Jérôme Laperruque drague outrageusement une petite brunette en buvant du Ricard, je vais re-re-re-re-voir Herman Düne en concert. Je les ai vus au moins cent fois en dix ans et je n’ai jamais, jamais, été déçu. Ces trois-là sont le meilleur groupe de scène de France, le plus spontané, le plus sincère. Leurs concerts sont chaque fois différents, chaque fois passionnants, et même si depuis un an ou deux, à force de tournées, leurs sets sont plus « relâchés » et approximatifs que par le passé, j’ai toujours plaisir, un plaisir purement musical, à les voir jouer. Cette fois ci, le batteur et les deux guitaristes sont accompagnés de Julie Doiron à la basse (qui a jouée sur leur dernier album No on top) et le groupe a décidé de jouer l’intégralité du nouvel album, dans l’ordre. Les fans, reconnaissant chaque titre aux premières mesures, applaudissent et crient à chaque début de morceau. David et André dédicacent Slow century à leur père, présent dans la salle, qui, paraît-il, fredonne régulièrement cette chanson, une des meilleures d’André, à la Leonard Cohen, également ma préférée de l’album.
En passant, Philippe Dumez me glisse un exemplaire du meilleur fanzine de la Terre, « Plus jamais malade en auto » (info : ). Lui non plus ne manque jamais un concert parisien des Düne. Avec la basse et quelques autres invités (El Boy Die et Lisa Li-Lund aux choeurs, Turner Cody aux maracas), le quatuor revisite son répertoire récent, ajoutant des variations inédites aux morceaux que l’on connaît par cœur, multipliant les petits solis de guitares (ah, les guitares doublées de Not on top, un vrai bonheur…), jouant les 15 titres de l’album dans le temps strictement imparti par le festival. Les fans, dont je suis, sont comblés.

Après ça, on reprend nos esprits, on picole un peu, et on va voir Calvin Johnson salle Fo. Calvin Johnson, guitariste et chanteur en provenance d’Olympia, petite ville au coeur du « Washington State », est le membre fondateur de plusieurs groupes fameux de rock’n roll, comme Beat Happening ou le Dub Narcotic Sound System. Mais il est également et surtout le fondateur de K, label mythique du rock indépendant. Depuis les Dub Narcotic Studios, Calvin a produit les plus grands noms du genre, révélant notamment Beck avec son album One foot in the grave, sur lequel il joue et chante également. Ce vieux Calvin a des exigences particulières pour ses concerts : il réclame de jouer toutes lumières allumées, pour mieux voir son public, joue à un bon mètre des micros (un pour la guitare, un pour la voix) obligeant le public à redoubler d’attention, et passe son temps à raconter des histoires pas croyables, de sa voix rocailleuse, plutôt que d’interpréter ses chansons. Arrivé un peu tard, je suis excentré sur le côté, entend à peine le blablah de Calvin, dans le brouhaha général, et décide d’aller boire des coups avec Matthieu Blestel, notre responsable des partenariats, qui a un très joli costume gris, et Pauline de Feedback, qui a de très jolis yeux bleus. Tout le monde commence à être un peu saoul, Alex Gwinett braille et embrasse tout le monde (il a l’alcool affectueux) tandis que Turner Cody s’avachit dans un canapé.

La soirée se finit avec Bonnie Prince Billy, accompagné du guitariste Matt Sweeney et du batteur qui l’a accompagné sur son dernier album, Superwolf. Will Oldham, toujours aussi chauve, toujours aussi barbu, fait d’entrée forte impression. On reconnaît les américains au travail, pétris de professionnalisme et d’investissement. Malgré la complexité des morceaux et les phases ouvertes aux silences et à l’improvisation, le groupe est super carré, très efficace. Will chante avec intensité et détermination, comme si c’était le dernier concert de sa vie. Moi, je suis au fond de la salle, trempé de sueur, à côté d’une porte ouverte, dans les courants d’air, et j’attrape froid. Au bout de vingt minutes, je préfère rentrer me coucher. Je raterai la soirée au Pulp mais dormirai bien, avant d’aller à la pharmacie acheter du Balsofumine.

La suite demain. Bises.

Lire le compte-rendu de la soirée précédente (30.06.05) et celui de la soirée suivante (02.07.05)