Mark Bell, trentenaire millionnaire, faiseur de tubes pour Björk ou Depeche Mode, est d’abord un gars simple, un anglais du Nord timide. Mais sans complexes. Interview, au moment de la sortie du dernier LFO.

Chronic’art : Je me souviens du premier concert de LFO à Paris, à la grande Arche de la Défense. Est-ce que le travail sur les basses, sur les relations entre les sons et le corps, est toujours aussi important pour toi ?

Mark Bell : Oui, je travaille dans un petit studio, je n’utilise jamais de vocaliste pour mon travail sur LFO, donc j’ai besoin d’autre chose : la basse est l’élément le plus physique de ma musique. Je n’ai pas une approche scientifique ou psychologique par rapport à ça, la basse est un bruit avant tout. Mais si vous êtes en club, la sub-basse est beaucoup moins intrusive que les sons techno habituelles, vous l’accueillez beaucoup plus naturellement, sans sentiment d’interruption.

Ton utilisation des rythmes est très mélodique par ailleurs…

Oui. Avec Björk, sur Homogenic, j’ai appris à faire des structures rythmiques qui soient le seul accompagnement narratif d’une chanson. Certains titres du nouvel album datent de cette époque, où je recherchais vraiment à faire parler les rythmes. Car ce disque est une collection de titres composés ces dix dernières années.

C’est de la techno assez pop, finalement ?

Originellement, la musique de LFO est juste faite pour moi ou pour ma girlfriend. Je n’essaie pas d’éduquer les gens. Tous les gens qui viennent de l’IDM ne me semblent pas très intelligents finalement. C’est supposé être expérimental et avant-gardiste, mais tout a déjà été fait il y a quinze ans en musique électronique. Je n’y vois pas le caractère de nouveauté. Je trouve plus important de « sonner juste » que de chercher à éduquer les gens.

Alors tu utilises des presets ?

Non, j’aime créer mes sons, faire mon bruit moi-même.

Sur la B.O. de Dancer in the dark, tu as créé des morceaux complètement rythmiques qui s’inséraient à la narration cinématographique (comme le morceau dans l’usine). C’est une manière de travailler qui t’intéresse ?

Cela s’est fait d’une façon assez inhabituelle : Björk m’a téléphoné pour m’expliquer la nature des morceaux. Elle m’a décrit très précisément l’effet recherché, la progression, etc. Tout part généralement avec Björk de la façon qu’elle a de présenter le morceau de musique.
Björk m’avait d’abord contacté pour Debut, mais on n’avait rien fait ensemble. La rencontre était bien, mais on s’est un peu manqué au départ. Pour Post, j’étais trop occupé de mon côté. Sur Homogenic, je suis resté cinq semaines au lieu des trois originellement, et on s’est vraiment entendu, enfin, artistiquement. Elle m’a beaucoup apporté en ce qui concerne justement l’aspect narratif d’un titre, l’histoire que peut raconter une musique. Bref, j’ai composé le morceau dans mon home-studio à partir de sons enregistrés dans une usine de pécheurs en Islande. Le film a ensuite été tourné à partir de ces morceaux, puis monté de manière à en exploiter la trame narrative. On a vraiment essayé de synchroniser nos travaux respectifs. Je m’amuse beaucoup a exploiter les sons concrets, à les traiter de façon à ce qu’ils deviennent des éléments rythmiques, jusqu’à ce qu’on oublie leur origine complètement hasardeuse, finalement.

Tu as une théorie sur ta musique ou est-ce toujours de la dance-music ?

Quand j’avais 13 ans, mes premières démos étaient des reprises de Lady in red de Chris de Burgh, que je faisais pour ma girlfriend. J’avais une 808 et une guitare, et je chantais. J’avais juste du plaisir à faire ça. Aujourd’hui, je n’ai pas l’impression de faire de la « dance-music », je fais juste ce qui me plaît.

Ton album mélange des atmosphères très deep et douces et des passages plus violents, plus sharps. Tu réfléchis à l’effet que peut produire ta musique sur l’auditeur ?

Non, pour ce qui est du tracklisting, en tout cas pour cet album, je n’ai rien prémédité. C’est un ami qui a l’habitude de faire des compilations à partir de tous les morceaux que j’enregistre chez moi qui avait fait celle-là, et qu’on a sorti telle quelle. Après mon travail avec Depeche Mode, j’avais envie de retourner à LFO, et lorsqu’il m’a fait écouter cette cassette dans sa voiture, j’étais surpris de la qualité de vieux titres, qui dataient de six ou sept ans, et qui se mélangeaient ainsi parfaitement. Ca aurait pu être très différent, plus soft, plus techno, parce que je produis beaucoup de musique finalement, beaucoup de démos.

Le single, Freak, est un titre récent ?

Oui, c’est le dernier que j’ai fait. Il y a six mois. Je faisais un peu le Dj et j’avais envie de faire un titre qui marcherait sur une piste de danse. Je l’ai joué à Sonar notamment, et les réactions étaient vraiment bonnes. Ca fait plaisir de voir un titre passer de ma chambre, où je suis seul, à une foule de plusieurs milliers de personnes.

Propos recueillis par

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