Edouard, étudiant chouchou d’un campus, est malade, il reste mutique, alité dans sa chambre. Ses deux frères, burlesques militaires de carrière débarqués dans un univers inconnu d’eux, sont là pour le sauver. Edouard serait-il malade d’amour ? Mods construit une étrange pantomime faite de drôles de jeux de mots (que des bons), jeux de danses (étranges), jeux de musiques (le garage des années 60), jeux de séduction (on ne badine pas avec l’amour) et jeux de miroir : mots et situations s’y répètent deux fois comme on se repasse son morceau favori. Il y a quelque chose de très musical dans la construction de Mods, pas seulement parce qu’on y danse au son des Seeds, mais bien parce que la répétition, par essence, est un rythme. Il est donc moins question de récit que de collages d’instants, entre raideur des corps et des visages, fixité de la caméra et parties dansées qui surviennent dans l’évidence d’un sentiment.

La danse ici n’est pas une envolée lyrique et passionnelle mais réinvente, par des chorégraphies minimalistes et atones, les gestuelles d’un quotidien dépressif où chacun semble perdu les yeux dans le vague, aux prises avec des problèmes existentiels insurmontables, mais sur lesquels on revient sans cesse (s’affaler sur un buisson, s’écrouler par terre devant sa mollesse, avant de recommencer comme en signe de lutte). D’ordinaire au cinéma la danse est là pour extérioriser ce que les personnages ne peuvent se dire normalement. Ici elle aurait plutôt tendance à intérioriser, à refermer sur et en soi la souffrance de la maladie d’amour (mais en définitive, si l’on sait s’en servir, elle peut également guérir).

Cette façon dit bien la manière dont Mods avance : avec une légèreté, une douceur de façade, une pudeur (ici, pour dire les choses, c’est tours et détours, on ne met jamais les pieds dans le plat) qui n’est pas de la pudibonderie mais une culture en soi. On le voit bien, avec ces deux militaires qui ont tendance à gaffer, à se prendre en pleine figure des fins de non recevoir de la part des hostiles étudiants du campus : cette pudeur, ce silence, ce recul sont un mode de vie, celui d’une caste (les étudiants, à laquelle ces deux-là n’appartiennent pas) qui a ses règles, ses habitudes et qui, de fait, tombe malade lorsqu’un de ses membres ne va pas (la sinistrose d’Edouard qui contamine tout le campus). Mods invente ainsi un univers totalement original, hors du temps (ou de tous les temps, ce qui revient au même) mais qui s’inscrit doucement dans le creux immémorial du sentiment.