L’édition 2002 de l’Etrange Festival a été plus riche en avant-premières et en invités (Shinya Tsukamoto, Kim Ki-duk) que les précédentes sans rien céder sur son esprit défricheur et radical.

Pour sa 10e édition, l’Etrange Festival s’est recentré sur ses fondamentaux et ça lui a réussi à merveille. L’équipe a une nouvelle fois confirmé son rôle de laboratoire d’idées de programmation : exemple, faire une nuit de films « Bollywood » ou encore, retrouver les films de Jean-Louis Trintignant réalisateur. Son premier, Une Journée bien remplie (1972), est une fantaisie absurde étonnante de maîtrise, avec quelques gags d’anthologie, impossibles à relater ici. Il n’y a qu’à l’Etrange Festival qu’on a pu voir Herschell GordonLewis, le créateur du genre « gore », accueilli en star après la projection de Blood feast 2. Réalisé cette année, ce dernier est un remake de Blood feast (1963), premier film d’horreur à montrer la tripaille, nanar hilarant tellement il est mal joué. Blood feast 2 est, lui, volontairement drôle, parfois avec finesse, ce qui est on ne peut plus inattendu, car le principe est tout de même de mettre les filles à poil puis les tripes à l’air (dans cet ordre). La meilleure idée est de faire de la débilité involontaire des policiers du premier opus un bon running gag dans le deuxième. Bien luné, tout cela est jouissif. Même si Herschell Gordon Lewis filme avec ses pieds, 2000 maniacs (1964) est un bon défouloir anarchiste, à la manière de La Nuit des zombies, tant le portrait de cette Amérique profonde et souvent débile semble sincère.

Kim Ki-duk l’obsessionnel

Le reste du festival était asiatique et très stimulant dans ses propositions formelles, mêmes parfois vaines. On a pu mesurer l’évolution du Coréen Kim Ki-duk, depuis l’année 2000 où on avait découvert, ici, à cinq heures du matin, son Ile. D’autres spectateurs ont eu la chance de voir l’ambitieux Adresse inconnue, présenté à Panasia 2002, qui devrait sortir d’ici la fin de l’année. Bad guy a quant à lui été présenté à Berlin et montre que Kim Ki-duk préfère acérer ses angles plutôt que les arrondir, radicaliser les oppositions, évacuer toute morale et réduire ses dialogues à quelques mots si nécessaire. Ce dernier excepté, tous les Kim Ki-duk étaient présentés à l’Etrange Festival et les ronchons diraient que ces trois films que l’on connaissait déjà sont les meilleurs. Certes, mais il faut savoir que Kim Ki-duk a réalisé son premier film, Crocodile (1996), en paria et autodidacte. Le film décrit d’ailleurs un quatuor de déclassés de la société coréenne : une candidate au suicide est repêchée par un autiste vivant au bord de l’eau avec un enfant et un vieillard, soit une famille de fortune finalement attachante. Kim Ki-duk a réalisé son deuxième film en France, où il a vécu un an. Wild animals suit un Coréen du Nord et son acolyte du Sud dans un Paris malfamé, avec des mafieux de pacotilles chapeautés par Richard Borhinger !
L’eau irrigue tous les films de Kim Ki-duk. Il la mélange souvent à du sang, comme dans la dernière image de Wild animals : les deux sangs coréens se diluent dans l’eau saumâtre qui part au caniveau… Les humains sont chez lui tour à tour des « Crocodiles », des chiens battus (Adresse inconnue), des tortues à l’envers (Crocodile), sa métaphore favorite restant celle des poissons. Les femmes de ses films cherchent l’air en dehors du bocal (Birdcage inn) ou se font mettre à nues comme des sushis (L’Ile). Kim Ki-duk est un pur cinéaste obsessionnel, allant jusqu’à refaire une autre version de la fin de Crocodile dans Wild animals. Des images sublimes, une imagination érotique ou criminelle foisonnante, une hyper-sensibilité qui fait vibrer les plans, de grands moments comiques font oublier quelques niaiseries (heureusement abandonnées depuis L’Ile), les expérimentations ratées de Real fiction (2000)… ou le pire mauvais goût qu’on ait vu en matière de musique « Bontempi ». Désormais, on peut dire à quel point on aime le cinéma de Kim Ki-duk, défauts compris.

Violence et formalisme

Sympathy for Mister Vengeance, de Park Chan-wook, confirmait en clôture du festival que la Corée est le pays qui sait le mieux exorciser la violence sur l’écran, peut être parce qu’elle en a un besoin plus urgent. Le films oppose deux blocs humains irréconciliables qui ont tous les deux raisons de faire mal à l’autre. La mécanique implacable de la mise en scène est désincarnée mais la chair de ses personnages vibrante. Cette terrifiante machine à démontrer que la morale n’existe pas et que le pardon est impossible a été orchestrée par le réalisateur du pourtant sage film de guerre Joint security area. Ce côté « suicide commercial assumé » du film renforce son propos à jamais contradictoire. Les cinéastes japonais, traditionnellement célébrés ici, semblaient cette année tourner en rond sur le fond et ne trouver le salut que dans un formalisme exacerbé. On s’est un moment extasié devant la suite de tableaux somptueux que constitue Pistol opera, nouveau film du vétéran Seijun Suzuki, avant de se demander où était justement le film. L’enluminure pourrait aussi guetter Shinya Tsukamoto, un des premiers chouchous du festival, qui présentait son dernier long métrage, A Snake of june.. Tout en noir et blanc tendance bleuté, ce film fauché marque un retour à un artisanat primitif, une forme pure, proche du muet et rend hommage à la photographie. Malgré la persistance de tics agaçants, on saluera cette tentative de Tsukamoto pour renouveler son cinéma.

L’Etrange Festival s’est déroulé du 28 août au 10 setpembre 2002 au Forum des Images (Forum des Halles – Paris 1er).
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