Avec Un Homme, un vrai, le cinéma en relief de la fratrie pyrénéenne prend une nouvelle dimension. Sur fond de parade amoureuse de coqs de bruyère et de chansons de Philippe Katerine, un couple naît, se déchire, et renaît. Une singulière comédie sentimentale où tout est affaire de distance, de décalages et de montagnes russes sentimentales.

Chronic’art : Si l’on veut à tout prix chercher un lien entre Un Homme, un vrai et vos films précédents, notamment La Brèche de Roland, ce serait peut-être cette idée de déplacement (d’acteurs, de lieux, de sentiments). Peut-être aussi cette autre idée que les décors du films ne reflètent pas l’intériorité des personnages, mais les affectent : à Paris la comédie romantique, à Ibiza la rupture, l’adultère, aux Pyrénées la parade amoureuse.

Jean-Marie Larrieu : Le projet Un Homme, un vrai est né dans la foulée du tournage de La Brèche de Roland. Il y avait l’envie de retrouver Mathieu Amalric en montagne, parce qu’il y est très à l’aise, dans la peau d’un pro cette fois, et plus d’un touriste comme dans La Brèche…En même temps, puisque c’est lui, et qu’il a une étiquette de cinéma, on aurait quand même un doute. Dans la troisième partie d’Un homme…, on se demande si c’est vraiment lui, si ce qu’il fait est réel ou juste pour la femme qu’il aime. Il y a une ambiguïté, il en fait un peu trop avec sa barbe-postiche. Quant aux lieux, c’est une question de tournage. On aime bien que le tournage, le cinéma, se fassent déborder par une autre réalité, par la réalité des lieux, quelque chose de plus grand qu’un film et des personnages.

Le film est une ascension, du plat (Paris) aux cimes (les Pyrénées), en passant par le rocailleux, le volcanique (Ibiza). C’est comme s’il fallait tourner autour de la montagne pour finir par l’atteindre…

J-M.L. : Pour nous, les trois lieux, les trois actes séparés par des ellipses, c’était une donnée de départ à l’écriture. C’est vrai que dans un autre sens, ça ne marchait pas : ils se rencontrent dans les Pyrénées, se quittent à Paris, se retrouvent à Ibiza… non, ce serait horrible. D’autant qu’on avait dans la tête que le personnage se fait larguer à la mer, et on le retrouve dans un paysage complètement opposé, la montagne, où il peut regarder d’en haut.

Arnaud Larrieu : Il y a quand même une réelle correspondance entre les lieux et les comportements : à Paris, on fait du cinéma, ou on se fait son cinéma, tandis qu’ailleurs il y a un rapport plus romanesque à la nature. Les échelles changent, et ça modifie forcément un peu la réalité des personnages. Ça renforce aussi une dimension fantasmatique ; à la montagne, finalement, tout est assez artificiel.

J-M.L. : La montagne, on l’a traitée comme un théâtre, avec une dramaturgie de l’espace…

… Et comme on vous sait originaires des Pyrénées, on s’attend à un traitement réaliste, alors qu’il y a dans la dernière partie du film plus d’exagérations, de fantaisie, qu’ailleurs…

J-M.L. : Absolument. D’habitude, on nous dit qu’il y a moins de stylisation dans la partie montagnarde. Au contraire, c’est là qu’il y en a le plus. On « pousse » certaines choses. Par exemple, tout ce qui tourne autour de l’accouplement des coqs de bruyère. Nous, on connaît la réalité de cette affaire là. Et pourtant, on la présente comme l’histoire du dahut, on y croit pas vraiment. Nous sommes attachés à cette idée qu’il faut savoir d’où l’on part avant de styliser, d’exagérer. C’est vrai qu’il y a un paradoxe : on prend des libertés, mais pas n’importe comment, l’essentiel est de conserver une logique des sensations.
A.L. : De toute façon, le lieu – de tournage, de fiction -, ça dépend avant tout de l’état d’esprit dans lequel on tourne.

J-M.L. : Au fond, les paysages fonctionnent comme les acteurs. On aime bien que le corps de l’acteur, même déguisé en personnage de fiction, reste toujours visible, sensible. C’est une sorte de surimpression.

Un Homme, un vrai est aussi traversé par la comédie musicale qui intervient tôt avant de s’éteindre presque aussi vite et de revenir à la toute fin. C’est comme une comédie musicale frustrée, empêchée, et qui s’impose in extremis…

A.L. : Ce ne sont pas vraiment des parenthèses, les chansons sont toujours lancées par les personnages, ils chantent quand ils le sentent. C’est Boris qui décide de chanter quand il tombe amoureux de Marilyne (Hélène Fillières) et nous, on ne fait que l’y aider. Ce n’est pas le film qui chante, c’est lui.

J-M.L. : Dans la deuxième partie, à Ibiza, leur histoire est plus quotidienne, ça ne chante plus entre eux : c’est justement ça leur problème, ils n’ont plus l’élan du chant. Les seules chansons, à la limite, ce sont les enfants qui les fredonnent. Et puis les chansons reviennent à la fin. Nous n’avions jamais prévu d’insérer plus de séquences chantées. Même la chanson finale, Un Homme, un vrai, elle était dans l’air, mais on l’a trouvée à la fin.

A.L. : IL n’a jamais été question que la scène de ménage dans le lit a Ibiza, par exemple, puisse être chantée, alors que dans une comédie musicale « traditionnelle », ça aurait pu être le cas.

Même si les rôles entre vous ne sont pas répartis de manière cloisonnée, Arnaud s’occupe plutôt du cadre et Jean-Marie plutôt des acteurs. Il y a dans ce film, comme dans les précédents, un souci du cadre comme technique ludique (le jeu sur les entrées et sorties de champ dans la partie Ibiza par exemple) et comme moyen de cerner un territoire sentimental, comme dans la scène de l’aéroport, où les personnages semblent tour à tour proches et éloignés. Un souci du plan en tout cas.

A.L. : Là aussi, les lieux sont essentiels. Pour les plans à Ibiza… Je ne crierais pas au génie du cadreur tant les lieux sont d’emblée cinématographiques. Cela dit, il y a mille façons de cadrer un plan et c’est la lecture du lieu qui nous guide. Pour la scène de l’aéroport, on a mis beaucoup de temps à trouver, d’autant que c’est une scène archi-classique et qu’on voulait rester simple, mais pas plan-plan. Ça se passe vraiment à deux : il fallait trouver la bonne distance entre les acteurs, et exprimer cette distance par le cadre. On n’avait pas envie d’un champ/contre champ ou d’un plan séquence. Surtout, il ne fallait pas faire quelque chose d’artificiel, car le moment est important émotionnellement. Les questions de mise en scène, c’est toujours un peu la même chose : être ni trop vrai, ni trop artificiel, ni trop empathique, ni trop manipulateur. C’est une affaire d’équilibre, de justesse.

J-M.L. : J’aime beaucoup le son de cette scène, parce qu’on entend un avion qui passe, un réacteur qui met trois minutes à s’arrêter. Ça fait une sorte de continuité du réel.

Est-ce que la comédie hollywoodienne classique (Hawks, MacCarey, Cukor…) est une source d’inspiration pour vous ?

J-M.L. : Pour les personnages, oui. Nous avons pensé à Hawks, que nous aimons beaucoup, et à ses personnages féminins dynamiques pour Marilyne.
Il y a aussi un côté Hatari ! avec ce groupe de montagnards ; la scène où Mathieu imite les coqs, c’est un peu comme chez Hawks, quand on explique la capture des singes. Disons plutôt que Hatari !, ça fait partie de l’imaginaire des personnages, de ce qu’ils mettent en scène, de ce qu’ils ont organisé, eux-mêmes.

Vous déléguez la mise en scène à vos personnages ?

A.L. : Oui, sur ce film, c’est vrai. C’est une nouveauté pour nous.

J-M.L. : Avant, nous faisions jouer des non-acteurs, pas pour le côté naturaliste de la chose, mais parce qu’on aimait bien le décalage entre leur rôle dans le scénario, et leur « type » dans la vie. On avait déjà Hélène dans Madonna à Lourdes et Mathieu dans La Brèche de Roland, mais dans ce film, c’est la première fois qu’on joue consciemment, et avec de vrais acteurs, sur le fait que les personnages sont sans cesse à la recherche du rôle qui leur sied le mieux. En ce sens, c’est très intéressant de donner des références aux acteurs, de leur faire des propositions.

A.L. : Pour revenir à la question des références, il faut dire qu’on avait l’idée de « re-nourrir », à notre manière, ces histoires de couple de la comédie américaine. Forcément, l’imaginaire du cinéma classique est présent, mais on ne peut faire ces films là aujourd’hui. Nous, on raconte notre histoire aujourd’hui, mais avec le désir de renouveler certaines sensations. Les couples, les grandes histoires d’amour, tout ça existe encore, alors tout est possible.

J-M.L. : Comme il n’y a pas grand chose qui passe par le dialogue, la présence de cet imaginaire de cinéma fournit des points de repères. Cela dit, si on revendique cette idée d’en dire peu par le dialogue, on aime bien les écrire. D’ailleurs, Philippe Katerine va sortir un disque en même temps que le film, avec les chansons et les musiques sur lesquelles il a collé des fragments du dialogues dans l’ordre chronologique exact. On était vraiment ému parce qu’il s’est approprié les dialogues et raconte le film à sa manière.

A propos de Katerine, pourquoi lui ?

A.L. : C’est une suite d’intuitions, de signes, la pochette de son disque par exemple, qui nous avait plu. On ne voulait pas un musicien de cinéma, et on aimait le rapport qu’entretient Katerine avec le genre : il chope facilement toute une palette de registre, il peut être romantique, drôle, surréaliste, chanteur de charme… Au début, il a composé des chansons qu’on a enregistré, puis il est revenu sur le plateau pour la dernière, qui est chantée en direct par les comédiens pendant qu’il grattait sa guitare.

J-M.L. : Il y a eu quand même un moment où on a hésité, mais Philippe a insisté et a finit par nous convaincre. Il était vraiment juste dans l’émotion du film. Il n’avait jamais fait une musique de film et nous n’avions jamais travaillé avec un musicien de cinéma, c’était donc une invention mutuelle. Et puis il a déjà fait chanter des filles qui n’étaient pas chanteuses, et ça nous a aidé. Surtout avec Hélène, qui ne pensait pas chanter au départ. Jamais elle n’aurait pensé aller aussi loin.

Le point d’orgue du film, c’est peut-être cette scène des coqs de bruyère, dont la parade amoureuse poursuit, sur le mode du documentaire animalier si l’on veut, celle des personnages…

J-M.L. : On l’a tourné en équipe légère, une fois avec les acteurs, une fois avec seulement les oiseaux. Ensuite on a raccordé. On voulait que cette scène soit très juste, puisqu’à côté, on exagère dans la fiction.

A.L. : Comme dirait Boris, « le cinéma, c’est quand le réel rejoint la métaphore ». Quand on va aux coqs, on ressent vraiment ça. On n’a pas fait cette scène pour faire les malins, mais parce qu’il y a un vrai rapport avec la fiction. Ça dit quelque chose, d’une manière différente, décalée, qui nous touche. Et la métaphore est ouverte, on y met ce qu’on ressent.

J-M.L. : Il y a en plus quelque chose de clandestin dans ces images, c’est le spectacle fait par les oiseaux pour eux-mêmes. C’est très émouvant à voir. D’autant que dans le film, on en parle comme du dahut. Sur le tournage, on pensait à Du soleil pour les gueux d’Alain Guiraudie, parce qu’il invente des animaux imaginaires, les ounayes, et qu’il réussit à faire oublier en dix minutes qu’ils n’existent pas. Nous, on s’est dit qu’on irait plus loin, qu’on filmerait nos ounayes.

Propos recueillis par

Lire notre chronique d’Un Homme, un vrai