Décidé à alerter une opinion publique noyée sous les effets médiatiques, le film de Denis Robert et Philippe Harel, Journal des affaires intimes, est diffusé dans une seule salle à Paris (un hasard ?). Il s’attache essentiellement à montrer la démission du politique face aux pouvoirs économiques. Pour Chronic’art, Denis Robert retrace les grandes lignes de son itinéraire journalistique.


Chronic’art
: Pourquoi arrêtez-vous ?

Denis Robert : J’arrête d’être un journaliste au quotidien. Je n’y crois plus. Mon travail est ailleurs. J’avais l’impression de me trahir quotidiennement, même dans mes papiers sur les affaires.

Vous avez eu l’impression d’appartenir à un univers fictionnel durant ces années ?

Oui, c’est cela. C’est maintenant, avec mes livres, que j’ai l’impression d’être plus près du journalisme tel qu’on devrait le pratiquer. C’est le refus d’une certaine stratégie. On décide un jour de quitter la meute, tout ce cirque. La diffusion d’informations est un moyen, pas une fin. Or, aujourd’hui, la quasi totalité de la presse appartient à des groupes qui servent d’autres intérêts. Le journaliste est toujours le produit de qui le paie. L’autocensure commence là. De même, il n’y a aucune hiérarchie de l’information. Regardez comment sont traitées les affaires. Une affaire de petite importance sera omniprésente dans les médias, par exemple l’affaire concernant Mme Tibéri, alors que le scandale -portant sur des sommes considérables- du parc Astérix ne fera que quelques lignes. De plus, il y a un mimétisme dans la presse. L’immense majorité des journalistes reprennent les « informations » du voisin. Les structures mêmes des journaux n’encouragent pas l’investigation. Ce n’est pas un hasard.

Y a-t-il une limite au dégoût du politique ?

J’ai fait un film sur la politique. Pas contre. Je crois en la démocratie. On n’a plus que ça. Le film est un film de combat, mais il n’est pas désespéré. Il dit l’impuissance des hommes politiques. Et puis il reste des entreprises de presse libres, en province notamment. Je crois également au judiciaire. C’est la seule chance qui nous reste. Politiquement, il faut impérativement qu’il y ait des relais. Que un ou des hommes puissent imposer des réformes déterminantes, même s’il doit se mettre à dos le reste de la classe politique.

Quels sont les éléments fédérateurs qui permettraient cela dans la société ?

Des foyers existent déjà. La mobilisation des chômeurs, même si on en parle moins en ce moment, relève de cela. Il faut que ce type de réflexion et d’action amène à la révolte.

Vous avez eu un espoir de réforme de la justice au moment de changement de majorité ?

Oui. Mais quand je vois ce qu’ils font. Le projet de loi Guigou, c’est du flan. Les politiques vivent dans l’illusion. Illusion que le profit peut être infini. Illusion que politiquement le système va tenir. Je ne sais pas quelles sont les échéances, mais ça ne va pas durer. Il n’y a que des réformes fortes qui pourraient changer la donne : judiciaire, changement de scrutin, etc.

Ne sont-ils pas trop influencés par le discours des financiers ?

C’est tout le problème. Le film repose là-dessus : la découverte des panaméennes à la périphérie de tous les partis politiques. On vit dans un système de corruption à étages. C’est un problème d’ordre culturel. Un premier pas vraiment significatif serait de rompre le lien entre les politiques et l’appareil judiciaire.

Quand les médias évoquent cette question, ils nous opposent la république des juges.

Tous les hommes politiques ont des attachés de presse dans les journaux. Le boulot de nombreux journalistes est de défendre les politiques. La république des juges est une foutaise. Les juges sont contrôlés par le Conseil supérieur de la magistrature. En europe, le problème est que les capitaux circulent et pas les hommes. Le seul moyen de lutte contre la fuite de ces capitaux, c’est de créer un espace judiciaire européen afin de ralentir ce torrent d’argent qui s’enfuit vers les paradis fiscaux. Et cet argent, ce n’est pas de l’argent virtuel au départ mais le fruit du travail des hommes.

Justement, comment neutraliser quelque chose qui, par nature, nous échappe : le virtuel ?

Il faut interdire à toutes les banques européennes d’avoir des filiales dans les paradis fiscaux. Obliger les banquiers à publier en temps réel les informations concernant les transactions. Et abandonner le système du recours, qui ne fait que retarder le processus de recherche.

N’avez-vous pas le sentiment de mener un combat perdu d’avance ? C’est ce que vous dites sensiblement dans votre roman Un héros au travail*.

Non. Et puis le roman, c’est ma tendance noire (rires). Il y a des choses que je ne pourrais pas assumer hors d’un roman. Un écrivain approche beaucoup plus la vérité qu’un journaliste. Il dit la complexité du monde, des relations, alors que le journaliste, avec le poids des codes sémantiques, est moins proche de la réalité, mais plus proche d’une idéologie très « mode ». En ce sens, sa cause est perdue d’avance.

Propos recueillis par

* Un héros au travail (Éditions Fayard)
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