Du côté de Delplanque, la sortie dans la foulée de l’album « Le Pavillon témoin » et du projet « Ma chambre quand je n’y suis pas (Montréal) » fait bouger les neurones de ce français qui virevolte commodément avec dub et musique electro-accoustique, field recordings et chanson électronique calcifiante. Les sorties en rafale de ses opus « SOL » sur le label Insubordinations et de son troisième album The Uncertain trail, sous l’alias Lena, constituent un diagramme composé en triptyque qui peut se lire dans le désordre, faisant défiler ses bruits blancs et ses basses multiplexes, ses claquements d’organes et ses rythmiques tannaïtiques et stimulantes. L’énergie créatrice fine et le sens de la composition aigu de Delplanque se superposent souvent, donnant des parures dub-electro raffinées, proche des effluves magiques du début du label Scape. Rencontre avec Monsieur Delplanque pour un échange de mots et de musicalité qu’on peut rapprocher de l’esprit d’esthètes comme 23 Skidoo, Pole, Bill Laswell ou encore Maurizio.

Chronic’art : Sur quel type de matériel avez vous travaillé pour vos trois derniers albums ?

Mathias Delplanque : The Uncertain trail, le troisième album de Lena est une compilation de titres produits dans différents contextes, on y retrouve donc un peu de tout : des morceaux vocaux, du sampling, des choses très électroniques mixées à des field recordings (la plupart réalisés en Inde). Ma chambre… est la version stéréo d’une installation sonore qui utilisait le bruit de fond d’un appartement vide. L’idée était d’amplifier et de magnifier ces sons proches du silence, de manière à obtenir une forme tout à fait autre, très orchestrale et extrêmement dense. J’ai utilisé le même procédé dans une pièce à sortir prochainement baptisée L’Inondation (ici, les sons viennent du sous-sol de mon immeuble). Le Pavillon témoin est une piste vraiment nouvelle pour moi, dans la mesure où c’est la première fois que je m’attaque à l’utilisation d’instruments acoustiques (guitare folk, piano, batterie, accordéon, violoncelle…). J’ai passé énormément de temps à enregistrer toutes sortes de choses, en essayant d’avoir le panel de techniques et de procédés le plus riche possible. Il y a aussi énormément de field recordings, presque tous liés à des espaces intérieurs, des chambres, des cuisines, etc. Enfin, le dernier projet en cours, prévu pour la fin de l’année, est l’album de Lena & the Floating Roots Orchestra, pour lequel j’ai invité une quinzaine de musiciens (dont Rob Mazurek, Steve Argüelles, Charlie O, Daniel Givens, Black Sifichi, etc…). Nous bossons avec des procédés d’enregistrement plus standards, mais aussi une importante matière sonore et un énorme travail de mixage.

Pouvez-vous nous expliquer la genèse de vos différents alias : Lena, Bidlo, Stensil, Delplanque ?

J’ai commencé à travailler sous le nom de Bidlo, à la fin des années 90. C’est un projet très associé à la pratique du sampling, pour lequel il n’y a pas de suite prévue pour l’instant, même si j’ai réalisé un second album que je n’ai jamais réussi à sortir.

Lena est venu ensuite, plus orienté dub électronique, même si son évolution récente m’éloigne de plus en plus de ce registre. Stensil est un alias que j’utilise de temps en temps pour des remixes, ou des choses franchement plus electro. Sous mon nom, je réalise essentiellement des installations sonores, des pièces de musique concrète ou des choses hybrides comme Le Pavillon témoin, que je conçois un peu comme un journal intime musical.
Tous ces projets sont menés de front, et ils communiquent tous d’une façon ou d’une autre. On retrouve des sons de l’un dans un album de l’autre, certains titres effectuent des correspondances d’album à album (comme Contre-plinthe dans Le Pavillon témoin, qui renvoie à La Plinthe, une pièce sonore de 2001 – jamais sortie pour le moment). C’est un réseau sonore, une sorte de grande tapisserie où tout circule, où tout se déplace. Dans ma façon de travailler, tout est amené à se faire et à se défaire. C’est le seul intérêt de la musique électronique.

Comment vous servez-vous des composants de votre home-studio ? Ou s’arrête la limite entre « home » et « studio » ?

Je travaille chez moi et il n’y a aucune barrière entre ma vie musicale et ma vie familiale. Les enregistrements m’amènent à me déplacer, à « sortir » : soit pour les field recordings bien sûr, soit pour chercher des espaces avec une qualité acoustique intéressante, ou bien encore tout simplement pour pouvoir enregistrer un musicien habitant ailleurs. Mais le mixage se fait chez moi, et je pense qu’il me serait impossible de faire ce travail dans un studio professionnel. J’ai besoin d’énormément de temps pour cet étape, j’ai besoin d’y revenir chaque jour pendant des mois, d’être totalement immergé dans le son dans ma vie de tous les jours.

Le dub est de plus en plus exposé en France, notamment depuis le festival organisé par nos confrères de chez Télérama. On a l impression que les Français (via la presse « grand public » notamment, qui se réveille doucement…) découvrent cette musique petit à petit… Pouvez-vous nous dire comment vous l’avez rencontrée ? Quelle est l’importance que le dub a pour vous dans la musique contemporaine ?
La France est surtout l’un des pays au monde où l’on écoute le plus de reggae après la Jamaïque. Mais c’est une scène qui m’est totalement étrangère, liée soit au ska et au punk, soit au metal, en tout cas au live – alors que mon histoire musicale est d’abord liée au studio et à la production d’albums. Le live, c’est seulement depuis deux ans que je commence sérieusement à y trouver un intérêt. Pour ce qui est du dub, j’en ai beaucoup écouté, et je n’en écoute quasiment plus. C’est via la scène allemande de la fin des années 90 que je m’y suis plongé, mais cette scène est tombée en totale désuétude et ses musiciens peinent à se renouveler. C’est plus profondément la musique africaine qui m’a marqué, qu’il s’agisse de la rumba zaïroise, de la cora malienne ou des guitares high-life ghanéennes. Ce sont ces musiques qui m’inspirent à travers le dub, même si je ne cherche jamais à y faire directement référence. J’aime leur caractère répétitif, à la fois mobile et stable, leur capacité à durer, à accompagner la marche, l’errance… Il me semble que le dub est juste une chambre d’écho qui donne un éclat nouveau à ces motifs et à ces sonorités plus anciennes.

Vous avez travaillé avec CharlElie Couture, mais il y a peu de traces dans les bios ou les médias de cette collaboration. Comment cela s’est passé ? Pourquoi ne pas avoir continuer à bosser dans cette sphère musicale et être retourner dans l’underground , les sous sols ? Par nécessité ou du fait des vocalises usagées et du cerveau rouillée de CharlElie ?

C’est une rencontre parmi d’autres. J’avais contacté CharlElie pour lui demander de chanter sur le second disque de Bidlo. Il a chanté sur huit titres et moi je n’ai jamais réussi à produire ce disque. Ensuite, il m’a demandé de produire deux morceaux d’un disque qu’il allait sortir. Il y en a un que j’aime franchement, même si je ne le ferais plus comme ça aujourd’hui (c’était la première fois que j’utilisais une voix dans ma musique). J’ai fait un nombre incalculable d’essais avec des chanteurs et des chanteuses pendant pas mal d’années, et pendant longtemps ça n’a rien donné. Tout simplement parce que je ne savais pas les diriger, j’étais incapable de leur définir clairement ce que j’attendais d’eux. Avec Le Pavillon témoin, et surtout avec le Floating roots orchestra, j’ai trouvé une façon de résoudre ce problème : je laisse aux musiciens et aux chanteurs une liberté totale à l’enregistrement et après je m’empare de ce qu’ils ont proposé et j’essaie de le penser comme un simple matériau.

Propos recueillis par

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