Après quelques mois passés à écrire des scénarios à Los Angeles, un changement de maison d’édition, Michael Guinzburg, le plus français des écrivains américains, signe son retour à la littérature avec l’irrésistible Plombier des âmes. Grâce et humour sont au rendez-vous de cette fable plus subversive qu’il n’y paraît. Rencontre.


Chronic’art : Ce plombier a une mission très particulière, celle de soulager les âmes. Serait-il paré de vertus christiques ?

Michael Guinzburg : Il n’est pas christique. L’acte de plonger au fond de son âme reste essentiel pour les humains. En fait, il leur rend un service car ils ne sont plus capables de le faire eux-mêmes.

C’est aussi un symbole du désintéressement…

Il n’aime pas ce qu’il est, car cet acte, porter les péchés des autres, est, pour lui, très lourd à assumer. Il essaie donc, à partir d’un certain temps, de retrouver sa liberté. Car l’organisation qui l’emploie, tout comme l’église, cannibalise les âmes. Il fera parti du jeu un temps, avant de s’en dissocier et de lutter.

Serait-ce alors une figure de « rebelle » ?

Oui, dans la mesure où il est fidèle à lui-même. Il fait le choix de vivre pour et au nom de l’amour.

Sa conquête n’est pas uniquement déterminée par le libre arbitre. Lui est-elle donnée en partie ?

La seule volonté ne suffit pas, c’est vrai. Un grand acte d’amour n’est que parce que quelque chose échappe, nous échappe. Avec la naissance du bébé, à la fin du roman, par exemple, il pense qu’un temps « nouveau » peut arriver. L’idée est alors celle-là : le monde est en train de se détruire mais chaque naissance est peut-être un moyen de sauver le monde.

Le Mal existerait donc parce que le Bien lui est supérieur ?

L’espérance est nécessaire. C’est même un fondement de nos personnalités. Le Bien et le Mal cohabitent en chacun de nous. Et l’un ne peut exister sans l’autre, c’est notre nature. Si j’explore le Mal, en montrant ce que nous sommes réellement, le monde dans lequel nous survivons, c’est parce que j’espère faire le Bien. En tout cas provoquer quelque chose dans la conscience du lecteur.

Les oppresseurs sont omniprésents dans ce roman. Et à la fois, vous soulignez leur invisibilité…

Il s’agit d’une condition majeure de l’évolution de nos sociétés. Les organisations, Etat, Eglise, puissances financières, vivent de la souffrance des autres. C’est la nature même de n’importe quelle organisation. Il faut des victimes aux gouvernements pour qu’ils continuent à exister, et la question que pose le livre est : que peut-on continuer à faire de nos propres vies sachant cela ? Si on ne se bat pas contre cela, ces sociétés, en fait des tyrannies qui ont l’apparence de démocraties, vaincront définitivement.
Le totalitarisme des ordinateurs, des médias, de la communication, est une nouvelle forme d’esclavage C’est plus facile d’acquiescer que de résister à tout cela. Et l’une des morales du livre, c’est de dire que la décision n’appartient qu’à nous, que la réponse ne peut être qu’individuelle. Ce système est très insidieux, car sous le masque de la liberté, il s’agit véritablement d’une nouvelle forme de totalitarisme. Et elle est d’autant plus dangereuse qu’elle nous endort, avec douceur. Alors que toute forme d’art est une résistance. Nous avons encore la liberté de créer, d’aimer, de rêver, et ça personne peut nous le voler.

Est-ce que cette liberté passe aussi par notre capacité de refus ?

Oui, sans doute. Par le non-choix ou par le refus, par exemple celui de ne pas travailler dans des jobs déplaisants. Mais il faut refuser l’argent aussi, ce qui est plus ennuyeux. En bref, nous n’avons pas besoin de tout ce dont nous disposons, nous nous créons des besoins qui n’ont pas lieu d’être. A nous de savoir ce que nous voulons vraiment, ce que nous pouvons encore désirer, où nous voulons réellement en venir.

Vous seriez donc en accord avec cette phrase de Pasolini : « je crois, et profondément, que le vrai fascisme est celui que les sociologues ont trop aimablement appelé société de consommation » ?

La société de consommation est une composante essentielle de ce système. Et la plus vicieuse, car qui peut dire non à son pouvoir de séduction. On vend des rêves impossibles aux gens. De là découle une partie de notre malheur. En montrant les côtés les plus sombres de nos vies misérables, et à la fois très grandes, le livre, je l’espère, réveillera quelques consciences. Il n’y a rien de sale dedans. Je décris ce que nous vivons, ce qu’il y autour de nous : la vie, c’est le sexe, le sang, le sperme, la joie, la souffrance, la merde aussi. Mais tout est tellement aseptisé de nos jours qu’on nous fait croire que tout cela est mal. Alors que nous ne sentons plus, ne ressentons plus.

De quelle tonalité musicale se rapproche le plus votre roman ?

Je suis très féru de jazz et de blues, surtout de jazz. Il n’y a aucune limitation dans cette musique. On part d’une note et on ne connaît pas, par la suite, la direction que le morceau va prendre. C’est une musique liée au rêve. Tout peut changer à tout moment, prendre une autre direction. C’est comme écrire une histoire.

La vôtre est-elle tragique, dominée par la mort ?

Il faut rire de la mort. Nous sommes trop sombres, nous pesons des tonnes, meurtris par la vie, son poids, certes, mais comment prendre tout cela au sérieux alors que nous ne sommes que de petites créatures perdues dans l’univers, avec ce désir immense de tout connaître. Nous sommes tout et rien, et c’est de là que vient la tension qui nous habite. Puisque nous le savons, pourquoi rendre ce monde aussi gris ?

Le Plombier des âmes (Grasset). Pour la critique, cliquez ici