Vous en avez pas raz le chapeau (rond) de la vague bretonne qui déferle sur nos ondes ? La question n’est pas ici de dénigrer les artistes, mais franchement, est-ce qu’on en veut vraiment ?

Les consommateurs français sont une nouvelle fois en danger. La Bretagne attaque. Enfin, plus exactement, on nous agresse de là-bas. Il ne s’agit pas des agriculteurs et de leurs nitrates, ou du Front de libération et ses pétards (quoique). Il s’agit de marketing, coco. On n’a bien sûr pas découvert l’eau chaude… mais bon, il faut avouer que ça devient saoulant de se faire prendre pour une tirelire.
Dan Ar Braz, superstar. L’héritage des Celtes, Excalibur (sic) compilés en veux-tu en voilà. Matmatah, Armens, avec « rock breton » scotché sur le CD. Alan Stivell, bientôt en couverture de Paris Match. Le festival Interceltique, téléporté à Bercy devant 15 000 pékins, et dont on annonce le live et la VHS (re-sic) prochainement. Une sortie audio made in Bretagne par semaine. Le désastre Manau (qui font passer les 2 be 3 pour le Wu Tang Clan). Même les Nantais, dans un récent sondage, veulent être rattachés à la Bretagne…
C’est vrai, force est de reconnaître la vitalité de cette région à qui l’on doit tout de même les Transmusicales et le meilleur maillage de bar-concert de la France. C’est l’explication donnée par tous nos amis bretons, certes, mais elle est un peu réductrice. Cette vague bretonne serait donc la conjonction de bonnes structures, de concentrés de talents et d’une diaspora nostalgique ? A priori oui, mais bon… la Bretagne serait tout de même un jardin extraordinaire pour accoucher tous les jours d’une tripotée de stars en devenir. Car dans ce cas-là, la région toulousaine part du même principe (Zebda, les Fabulous Trobadors, etc.), ou alors pour le cas des marseillais confiné au rap sans le même matraquage calibré… Et d’ailleurs, chaque coin de France et de Navarre a ses productions ?
Non, ce qui est gavant avec la « breizh attitude », c’est que ça déborde.
Ça commençait à nous chauffer depuis les 1 million 3 de cacahuètes vendues par Manau, et leur Panique celtique. Mais le déclic s’est opéré à la lecture de cette « indiscrétion » d’un news économique réservé aux décideurs : TF1 prépare le lancement de Breizh TV. Une chaîne de télévision 100 % bretonne. Mais attention, l’empire ne lance pas ses troupes au hasard. C’est sur la foi d’un audit et d’une étude de marché que Le Lay se fonde. Etude de marché, le mot est lâché : c’est du marketing, de la pire espèce, et tout le tremblement (tellurique ?) dont il s’agit. L’estampille made in Bretagne se refourgue comme des petits pains de nos jours. Et comme il n’y a pas de fumée sans feu, on peut s’aventurer à parler de celto-marketing, une machine à vendre formatée pour nous refiler un maximum de galettes, dont cette compilation avec laquelle on nous bassine : « mégacelte » en 4 CD ! Soldat Louis est en plein revival… Mieux, on parle même de l’organisation d’un Fest-Noz à Disneyland. Mais ce marketing, sans honte bue, peut vite déboucher sur l’amalgame, car il est pervers, récupérateur et opportuniste.

Le cas des groupes de rock est exemplaire. On parle notamment d’Armens et Matmatah, mais il y en aura d’autres, signés et distribués par des majors qui utilisent cette celtitude pour imposer les poulains. La question ici n’est pas de vilipender ces jeunes groupes ou les vieux bardes comme Gilles Servat ou Tri Yann en retour d’affection qui trouvent grâce aux yeux des porte-monnaie nationaux. On est libre d’aimer ou pas. La question peut être pourquoi eux et surtout est-ce que cela leur fera du bien ? Thierry, de Barclay, reconnaît « qu’il existe un retour à la celtitude depuis 5, 6 ans dans la communauté expatriée, mais le grand public semble touché depuis un an ou deux ». Touché, donc ciblé. Cependant, poursuit-il :  » il faut bien reconnaître que la Bretagne est un terreau favorable culturel, dynamique : il y a du talent à la base ». Talent et terreau bien cueillis et compris, semble-t-il, par les majors aujourd’hui. Il suffit de savoir que Sony distribue aujourd’hui la majorité des « talents » bretons pour bien s’apercevoir que la canalisation va dans le sens du tiroir-caisse. Mieux, ce terreau favorable permet de brûler les étapes. « Armens ou Matmatah n’ont pas été lancés de zéro. Lorsque Sony a signé Armens, le groupe tournait depuis deux ans. Il était rôdé. Sony n’a eu aucun travail à faire en amont », conclut Thierry. Suffisamment rôdé en effet pour être propulsé en tête d’affiche du méga festival de la Saint-Patrick qui a même eu les honneurs médiatiques du journal économique Les Echos (double page, s’il vous plaît).

Car il faut bien comprendre que de nos jours, on ne remplit pas Bercy ou on n’est pas matraqué jusqu’à six fois par jours sur NRJ sans plan média à la clé.
Ces petits groupes de rock continuent néanmoins d’écumer les petites salles de concert qui émaillent la France, et qui se battent malgré les difficultés. Aussi sont-elles peut-être tentées de choper comme ils viennent ces bretons. Mais même à ce niveau, la pression peut être palpable. David, l’un des programmateurs de la Grange à Musique de Creil (Oise) a d’ailleurs récemment programmé Armens… Il nous explique pourquoi : « On n’a pas pu faire Matmatah. Ils nous avaient envoyé avant l’été La Ouache en autoproduit : c’était sympa mais pas convaincant. Il faut dire que la maison de disques est passée derrière après, et la production n’a plus rien à voir. Puis c’est devenu un buzz et trop cher pour une programmation, enfin.. plus proche des 100 000 que des 50. Puis on a reçu le dossier de presse d’Armens. Quand on a vu qu’il y avait une major derrière, on les a vus arriver et cette fois on n’a pas hésité ». David avoue avoir joué le bête et méchant sur le promo pour « provoquer », « sur les tracts, on a mis Armens, rock celtique de Lorient. Mais pour nous ça change rien, on a programmé un bon concert rock de plus ». Il sera dit qu’Armens, pas connu encore du grand public, a bien marché ce soir là. Comme l’ont fait là-bas Dolly (nantais, tiens tiens), Louise Attaque (qui a éclusé le circuit des bars bretons avant d’exploser) et les franciliens de Tryo qui ont enregistré leur album à Cancale. Lorsqu’on le questionne sur le celto-marketing, David avance : « Je crois que les maisons de disques se sont aperçues avoir loupé le coche avec Louise Attaque. Ils n’ont rien vus venir. Depuis, il y a comme une frénésie de sortie bretonne. Bon ok, les membres de Louise Attaque ne sont pas bretons, mais j’ai remarqué qu’il suffit de mettre un violon pour vite les foutre dans le même panier ». Même panier aux œufs d’or, et qui profite à toute la chaîne de distribution : du petit éditeur à la major. Les labels d’origine, genre Keltia, ou Kerig, font des affaires et ne s’en cachent pas : Jean-Louis le Vallégant, directeur de Coop Breizh, et qui annonce une sortie par semaine, reconnaissait récemment les bienfaits de l’interaction entre les grands groupes et les petits labels. Tant mieux si les petits en croquent un peu d’ailleurs. Mais gare à l’indigestion ou à la famine prévisible.
Car ça ne durera qu’un temps : on peut d’ores et déjà annoncer la mort des compiles à la con, car ce phénomène est aussi éphémère que l’adolescence. C’est de la mode quoi.
Mais que dire de ces groupes qu’on peut classer dans la catégorie hybrides (c’est-à-dire sincères mais instrumentalisés par la machine marketing) ? Qui peut, par exemple, prédire un avenir aussi miraculeux que leur début à Matmatah ? Pour ces derniers, le salut se trouve peut-être du côté de l’exemple de leurs compatriotes : Miossec, Tiersen ou Denez Prigent (de la jungle subtilement mariée aux gwerz) qui, bien que jouant sur leurs origines, se sont volontairement placés du côté de l’universalité et non pas sur le terrain d’un particularisme, à leur dépens ou non d’ailleurs.