Cécile Garcia-Fogel aime l’Asie. Elle va s’y perdre de temps en temps. Elle revient de Mexico et trouve qu’à côté, Paris ressemble à un village. Où qu’elle soit, elle reste habitée par le théâtre. Cécile Garcia-Fogel s’est longtemps cherchée. Pour quel rôle était-elle donc faite ? Perpétuellement en quête d’identité, ses questionnements ont été entendus, avec souvent de belles tentatives de réponses : Penthésilée, mise en scène par Julie Brochen au théâtre de la Bastille ou bien, pour quelques temps encore, La Nuit des rois de Shakespeare où elle endosse le rôle de Viola, la sœur jumelle de Sébastien qui n’hésite pas à se déguiser en homme pour consoler les âmes en peine. On aimerait voir plus souvent cette comédienne fiévreuse. Elle aussi. Même dans le théâtre privé…


Chronic’art : Quel est votre premier souvenir de théâtre, ou plus précisément celui qui vous a donné envie d’être comédienne ?

Cécile Garcia-Fogel : J’ai en effet des souvenirs de théâtre lorsque j’étais enfant, mais ils n’ont pas provoqué en moi le désir de faire ce métier, au contraire. Ma tante avait une compagnie amateur dans le sud de la France et lorsque je retournais en vacances là-bas, j’assistais toujours aux répétitions, sans pour autant être attirée par le théâtre. En fait, ça ne me plaisait pas parce qu’ils s’embrassaient tous les uns les autres. Il y avait plein d’histoires de couples que je ne comprenais pas. J’étais petite et ça me faisait peur. Je les trouvais assez tordus ces gens-là. Par contre, gamine, j’ai eu un rapport assez fort avec la musique. A un moment donné, par le biais de la musique, j’ai fait du théâtre. Ça m’a pris d’un coup ! Mon premier stage, je l’ai suivi chez ma tante, alors que je n’y avais jamais songé auparavant. A partir de ce moment, je n’ai plus fait que ça. Ensuite, j’ai décidé d’entrer au conservatoire de Montpellier. Voilà.

Vous avez suivi une formation classique ?

Je suis montée à Paris, j’ai fait la Rue Blanche. J’avais 19 ans. Là, j’ai rencontré un metteur en scène d’origine turque qui m’a beaucoup marquée. Ensuite, je suis allée au Conservatoire, j’ai fait une autre rencontre importante avec Stuart Seide : sur le plan pédagogique, en tant que comédienne et aussi pour mon initiation de metteur en scène. Au départ, je n’étais pas très à l’aise. Disons que je n’étais pas précoce. J’avais beaucoup de mal à trouver qui j’étais, à me situer par rapport au plateau, à me projeter dans une image de moi-même, savoir ce que je pouvais jouer, m’identifier à un certain type de rôles. Beaucoup d’inhibitions m’empêchaient de percevoir tout ça. Le plateau, je voulais y monter pour gueuler et décharger ma violence ! Au fur et à mesure, j’ai découvert ma voie.

Shakespeare a donc dû être pour vous LA rencontre, la possibilité de vous chercher à perte de vue…

Exactement ! C’est vraiment avec cet auteur, en travaillant les rôles de ses pièces, que j’ai commencé à découvrir quelle actrice je pouvais devenir. Grâce à Stuart aussi. A 24 ans, j’ai eu la chance de jouer sous sa direction un rôle incroyable dans Henri VI et je me suis calmée : j’avais véritablement trouvé mon champ d’action. Tout s’est synthétisé.

Vous venez de terminer à Paris les représentations de La Nuit des rois (toujours Shakespeare !) sous la direction de Christophe Rauck. Comment s’est faite cette rencontre ?

J’ai vu ses deux spectacles précédents et je les ai adorés ; ça me rappelait d’anciennes aventures heureuses, un théâtre que j’aime énormément. J’ai donc eu envie de travailler avec Christophe sur ce projet qui nous emmène maintenant à travers la France. C’est une rencontre importante. J’ai appris avec lui des choses qui m’ont encore permises de me déployer, d’explorer une autre approche du travail avec l’acteur. Et c’est ce qui m’intéresse : trouver un autre langage pour diriger des acteurs, créer un univers, si possible un peu personnel.

Ce travail avec Christophe Rauck vous amène naturellement à mettre en scène Shakespeare…

J’en avais envie avant ! J’ai mis en scène au théâtre de la Bastille des chansons que j’avais écrites à partir du personnage de Phèdre, Trézène Mélodie. On a eu du succès et on est allés au Festival de Blaye présenter le spectacle. C’est là que j’ai rencontré Christophe Rauck.

C’est la musique qui vous a réunis…

Oui, tiens, c’est drôle ! C’est par la musique que j’ai commencé la mise en scène…

Vous allez mettre en scène le Marchand de Venise au théâtre de la Bastille, début 2000… C’est s’attaquer à un « gros morceau » !

Oui ! J’ai commencé par des petits travaux, parce que sinon c’est suicidaire. Diriger douze acteurs, c’est une épreuve. Il faut être solide, alors je me suis énormément préparée et je ne jouerai pas dedans.

Vous avez choisi cette pièce en particulier ?

Je suis intéressée par l’histoire du Juif de cette pièce et puis je suis tombée amoureuse d’endroits assez secrets du texte. J’avais aussi envie de parler de cette confrontation judéo-chrétienne qui est omniprésente dans le texte de Shakespeare.

A part le théâtre, qu’est-ce qui vous touche ?

J’adore la danse mais malheureusement je n’y vais pas assez… sinon…à part le théâtre… Je dirais que pour me ressourcer, je voyage. J’aime bien partir à l’étranger dès que je ne travaille pas. En Asie, au Mexique où j’étais encore il n’y a pas très longtemps. J’aime rencontrer d’autres cultures, être un peu perturbée, voir d’autres images.

Et monter une pièce à l’étranger ?

Ah oui, ca me plairait. D’ailleurs, j’ai travaillé en Russie l’an dernier, chez Lev Dodine. C’était une expérience très intéressante, parce qu’ils sont très structurés dans leur rapport au théâtre. Ils veulent savoir où ça commence et comment ça se termine ! Ils bâtissent tout. C’était assez vertigineux de les faire travailler ; mais on ne s’est pas vraiment compris…

Quels seront vos projets après le Marchand de Venise ?

Je ne sais pas. J’aimerais faire un spectacle sur le chant méditerranéen avec des copines, mais c’est flou. J’aimerais bien parler du monde agricole, mais je ne sais pas comment. C’est un monde qui me touche profondément. Enfant, j’ai vécu sur des exploitations agricoles et ça m’a marquée. Je crois que si je n’avais pas été comédienne, j’aurais travaillé dans l’agriculture, dans l’agronomie précisément. Il faudrait que je trouve un texte qui me permette de parler de la mort du monde paysan.

Propos recueillis par

La Nuit des rois de Shakespeare
mise en scène : Christophe Rauck
Le 21 octobre : Théâtre de la Coupole d’Or – Rochefort-sur-Mer
Du 28 au 30 octobre : La Comédie de Béthune
Le 9 novembre : Théâtre d’Haguenau
Du 17 au 19 novembre 1999 : Le Cargo de Grenoble