L’OIP est une organisation non gouvernementale, indépendante des pouvoirs publics et disposant d’un statut consultatif à l’ONU. Il s’agit d’une organisation des droits de la personne qui revendique le respect du droit à la dignité pour tous les détenus. La mission de l’Observatoire est de surveiller tous les lieux de détention au travers d’un réseau de groupes locaux d’observation et d’alerter sur tous les manquements aux droits de l’homme au moyen de communiqués de presse, de lettres aux pouvoirs publics, de conférences-débats, de campagnes de sensibilisation. Simultanément, l’OIP s’attache à favoriser le développement des alternatives à la détention.
Après trois décennies d’indifférence, les prisons sont sorties de L’ombre. Les journalistes s’y précipitent. L’enquête des deux commissions parlementaires sur le monde carcéral débouche sur un acte d’accusation sans appel. « Des droits de l’homme bafoués dans des maisons d’arrêt hors la loi’ là où se mêlent l’arbitraire carcéral et la loi du plus fort’ là où l’argent est roi et les contrôles extérieurs inexistants ou inefficaces ». Le réquisitoire des sénateurs est sans concession. Guère plus enclins à la complaisance, les députés s’interrogent : « A quoi sert la prison dans ces conditions et quel est le sens de la peine ? » Ils préconisent deux orientations majeures : « Redonner toute sa place à la mission de réinsertion et éviter l’incarcération de ceux pour lesquels elle est inutile ou nuisible. »
La vie quotidienne en prison constitue, dans bien des cas, une atteinte grave au respect des droits de l’homme. Prenons le phénomène de la surpopulation. Il concerne 70 % des personnes détenues en France ; celles qui sont incarcérées en maison d’arrêt. Chacun de ces 38 000 hommes et femmes subit quotidiennement des conditions de détention indignes : promiscuité, manque d’activités, absence d’intimité ; La maison d’arrêt de Nantes, par exemple, accueille 432 détenus pour 377 places. Jusqu’à cinq détenus sont regroupés dans une cellule de 9 m2, sur trois lits superposés et deux matelas à terre. Depuis 1992, le Comité européen de prévention de la torture (le CPT) estime que certaines situations de surencombrement des prisons, du fait des atteintes à la qualité de la vie et à la sécurité des détenus qu’elles engendrent, peuvent constituer un traitement cruel, inhumain et dégradant. Par ailleurs, l’incarcération doit être en principe « subie dans des conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité ». Cette disposition du Code de procédure pénale est loin d’être respectée dans tous les établissements. A la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, pourtant construite en 1969, l’eau coule dans les cellules du dernier étage par temps de pluie. Les détenus épongent le sol et les murs. Quant aux douches, elles ne sont qu’exceptionnellement nettoyées : elles accumulent un tel dépôt de saleté et d’immondices que les médecins conseillent aux détenus de garder leurs chaussures pour éviter d’attraper des mycoses.
La peine d’emprisonnement entraîne également la suppression du droit à tout espace privé, la perte d’intimité étant à situer parmi les effets les plus destructeurs de la prison. Le détenu n’a plus d’espace personnel qui ne soit susceptible d’être visité à tout instant : obligation d’accomplir ses besoins naturels devant les codétenus, œilleton dans chaque cellule, fouille de cellule inopinée, etc. Prenons l’exemple de la fouille à nu. Les détenus, mais aussi les surveillants la supportent mal. Elle consiste à demander au détenu de se dénuder, d’écarter les jambes afin de vérifier s’il ne dissimule pas un objet interdit. Il peut également lui être demandé de se pencher et de tousser. Ces fouilles ont lieu à l’arrivée en détention, à l’entrée ou à la sortie du quartier disciplinaire, après chaque parloir et à tout moment que le chef d’établissement juge nécessaire. A la maison centrale d’Arles, ces fouilles se déroulent en outre sous l’œil d’une caméra de surveillance et dans l’escalier qui donne accès aux parloirs. Ainsi le détenu fouillé peut être vu par d’autres détenus ou personnels. A la sortie des parloirs, ces fouilles s’effectuent dans des boxes comportant un miroir d’un mètre carré scellé au sol et sur lequel il est demandé au détenu de monter entièrement nu.
La suspicion permanente dont fait preuve l’administration à l’égard du détenu s’étend aux proches de celui-ci, implicitement considérés comme « coupables par ricochet ». La détention entraîne alors l’impossibilité de communiquer avec ses proches sans une surveillance de tous les instants : tout courrier échangé avec sa famille est lu, toutes les conversations au parloir sont écoutées, ainsi que les conversations téléphoniques en établissement pour peines. C’est peu dire que la détention a des effets délétères en matière de maintien des liens familiaux. Les familles éclatent et les détenus perdent tous repères relationnels.
La prison est également un monde de violences. Qu’il s’agisse de la violence entre détenus, entre détenus et personnels de surveillance ou qu’il s’agisse de la violence retournée contre soi, que sont suicides et automutilations. On ne peut ignorer la responsabilité de l’institution carcérale dans ce qui préside à cette violence multiforme quand elle l’exacerbe par une approche exclusivement sécuritaire de la détention, quand elle lui offre un boulevard en déniant tout droit d’expression des personnes incarcérées.
Que dire du travail des détenus ? Le droit commun ne s’applique pas en prison. Les détenus ne bénéficient pas de contrat de travail, sauf dans le cadre d’un placement à l’extérieur ou d’une semi-liberté. Les garanties dont bénéficient les salariés à l’extérieur ne concernent donc pas les prisonniers. Ils sont sous-rémunérés, peuvent être payés à la pièce, dans le cadre d’horaires parfois très irréguliers. Ils peuvent être « déclassés », c’est-à-dire licenciés, à tout moment, sans préavis ni indemnités. A cela s’ajoute le caractère presque toujours répétitif et non qualifiant des tâches qui leur sont confiées, qui ne serviront en aucune manière à leur réinsertion professionnelle. Il s’agit par exemple de mettre du parfum en bouteille, de fabriquer des filets de protection pour les prisons, d’assembler des éléments de portemanteaux, etc. A la maison d’arrêt de Nîmes, le salaire moyen d’un détenu pour 20 jours de travail est de 752 F, dont il faut retirer 95 F de cotisations sociales, 197 F de participation du détenu à ses « frais d’entretien », 66 F de provision pour le pécule de libération et 66 F pour l’indemnisation des parties civiles. Au total, il lui reste 328 F par mois, ce qui lui permet seulement de louer la télévision et d’acheter son tabac.
La prison, censée assumer un double rôle de mise à l’écart et de réinsertion ne remplit pas cette deuxième mission. Dans les faits, le dispositif de préparation à la sortie est inadapté, le projet d’exécution des peines inadéquat et réservé à une faible partie de la population carcérale. Quant aux dispositifs d’enseignement et de formation professionnelle, ils sont notoirement insuffisants. Dans ces conditions, un détenu sur cinq sort de prison avec moins de 50 F en poche, six détenus sur dix sortent sans emploi. A l’égard de l’emploi, l’incarcération a amélioré la situation de 10 % des libérés, mais l’a détériorée pour 20 % d’entre eux et ne l’a pas changé pour 70 %. Les personnes bénéficiant d’une libération conditionnelle, dont la sortie a donc été préparée avec les services sociaux s’en sortent mieux. 80 % d’entre elles déclarent être embauchées à leur libération. Sur l’ensemble des libérés sans emploi, seuls 20 % sont inscrits à l’ANPE et 25 % aux Assedic pour obtenir l’allocation d’insertion. Les étrangers subissent les plus importantes difficultés, tant en matière d’emploi que d’hébergement, 30 % d’entre eux n’ayant pas de perspective de logement à leur sortie.
Cet état des lieux n’est, bien sûr, pas exhaustif. Il doit nous remettre en mémoire une chose, essentielle : la nécessité de ne jamais détourner le regard de nos prisons, de ne jamais se désintéresser du sort de ceux de nos contemporains qui sont provisoirement privés de la liberté d’aller et venir. Peut-on obtenir plus de sécurité avec moins de prison ? Nous le croyons. Car la prison abîme plus qu’elle ne répare. Elle rend à la société des gens plus haineux, plus fragiles et plus destructurés qu’ils ne l’étaient. La prison doit intégrer l’espace public. Elle est trop longtemps restée à l’écart de toute exigence démocratique. D’où son fonctionnement en marge du droit commun, d’où l’arbitraire, d’où l’abus de pouvoir. Zone de non droit, la prison n’accorde au détenu -considéré comme un citoyen de dernière zone- que des « faveurs », en gage ou en récompense de sa « bonne conduite ». Cette situation demeurera tant que la société n’aura pas signifié clairement que l’institution carcérale ne peut être exonérée des règles de droit commun’ tant que n’aura pas été défini un statut juridique du détenu, propre à garantir au sein d’une institution d’essence totalitaire le respect absolu des droits fondamentaux de la personne. Aucune mesure de sécurité ne peut justifier la violence physique, la violence morale, l’humiliation et la perte de dignité infligées par un service public au nom de la République.
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Texte issu de la postface de Paroles de détenus et publié avec l’aimable autorisation de l’OIP et des Editions Librio. Merci à Anne-Céline Drach.
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