On avait laissé Philippe Katerine flirtant, au sens propre, avec l’extrême droite (« Marine Le Pen, putain, Marine Le Pen, tu le crois, ça ? »). Depuis, le Vendéen pratique l’ouverture avec une frénésie qui rendrait jaloux notre Président lui-même : gauche conservatrice (Jean Guidoni, Olivier Libaux), centre mou (Christophe Willem), droite décomplexée Teki Latex), tous les camps sont touchés.

Notre homme-pieuvre n’a certes pas attendu le carton de Robots après tout (2005) pour collaborer tous azimuts. Dès 1993, il rendait hommage au giscardisme pépère de Joe Dassin (une reprise de L’Eté indien sur L’Education anglaise et la compilation L’Equipe à Jojo), ce qui ne l’a pas empêché pas de célébrer dix plus tard l’anarchisme rouge sang d’un Ferré (L’Eté 68 sur le tribute Avec Léo). Entre temps, presque toutes les chapelles de la pop francophone ont eu droit à son amicale visite, de Rosebud à French Touche, de Tigersushi à Tricatel. Mais Katerine avait beau changer de backing-band comme de chaussettes (Little Rabbits, Recyclers, A.S. Dragon), il avait beau honorer tant et tant d’égéries (Anna Karina, Héléna Noguerra, Françoiz Breut, Kahimie Karie), sa cartographie élective faisait alors relativement sens. Bon an mal an, rien ne dépassait d’un certain bon goût pop, propre à satisfaire le lecteur lambda de Magic – décalage classy, bossa alanguie et underground assumé.

Il faut croire que la perspective d’un électorat à jamais circonscrit a dû lasser l’animal. L’ouverture a d’abord pris le chemin du cinéma, à travers divers caméos et bandes originales, sous le triple patronage d’Emmanuel Mouret, de Thierry Jousse et des frères Larrieu. Mais c’est avec la double sortie, en 2005, de son film dada Peau de cochon et de l’album discoïde Robots après tout que Katerine lâche son fief, s’aventurant loin, bien loin de ses primes attaches partisanes. Toutes proportions gardées, la métamorphose qui s’opère alors rappelle celle qui a changé Gainsbourg en Gainsbarre : avec le succès tardif mais massif, à l’esthète marginal se substitue un personnage médiatique en roue libre, auto-parodie et provocations à la clef.

Et l’écriture dans tout ça ? Entre un spectacle de danse avant-gardiste, une pub pour assurance et deux émissions chez Cauet ou Nagui, Katerine (comme Gainsbarre) prend encore le temps de composer des chansons, et de les offrir à ses amis, idoles, disciples. Entre avril et juin 2007, quatre disques portant sa marque ont ainsi éclos, manière pour nous de sonder si l’état de grâce ne faiblit pas.

A gauche, il y a d’abord La Pointe rouge de Jean Guidoni, sorte d’Henri Emmanuelli de la chanson – faconde sudiste et cabotine, conservatisme gauchisant, avec pour modèle Ferré en lieu de Blum. Un Arbre en Normandie, seul titre composé par PK, est de loin le plus gracieux de l’album, le seul finalement à s’approcher du lyrisme subtil du grand Léo (« Parfois je préférerais être un arbre en Normandie / En plein Jour J »). Néanmoins, l’ensemble reste un peu trop sous influence pour émouvoir, tout comme l’Imbécile joué par Katerine dans le conte du même nom, signé Olivier Libaux. Un Imbécile qui rappelle l’opportunisme rétrograde d’un Fabius – étonnant retour en arrière de la part de Libaux, qu’on a connu plus inventif, moderne et ouvert. Sur le même concept, son premier conte musical, L’Héroïne au bain (2003), où jouait déjà Katerine, était plus enthousiasmant car moins référencé. Ici, au milieu d’une panoplie très française (guitares et contrebasses brassensophiles), PK fait ce qu’il aime faire – l’idiot – et le fait naturellement bien, mais rien de très neuf ne viendra de là. Plus intrigante est sa participation à l’Inventaire de Christophe Willem (la « Nouvelle Star » 2006), disque centriste, scindé entre FM putassière et pop exigeante, de Zazie à Burgalat. On sent Katerine plus à son aise dans ce disque de supermarché (déjà 500 000 exemplaires vendus). Comme si rien ne lui plaisait davantage, lui l’ex « dandy étriqué », que de séduire la ménagère, comme ça, de manière subliminale, entre deux caddies (l’immonde Jacques a dit en plage 01). A ce titre, sa collaboration avec l’ironiste Gonzales, déjà aux manettes de Robots après tout, a sans nul doute accéléré cet entrisme sans scrupules : le duo commet ici deux chansons merveilleusement funky, Le Lycée et La Tortue, seuls moments de l’album où la voix plastique et veloutée de Willem émeut sans (trop) meugler. Les choses se gâtent un peu sur La petite fille qui ne voulait pas grandir des mêmes Gonzales-Katerine, chanté avec Teki Latex. L’album de ce dernier, Party de plaisir, nage en pleine rave sarkozyste : argent-roi, vulgarité nouveau riche, régression quasi-pédophile, slogans que ne corrige guère, malheureusement, le morceau de PK, dans le ton de ce disque fluo et tape-à-l’oeil.

Si l’on devait résumer ces escapades extra-partisanes, on dira que le Katerine d’après la gloire sait se fondre dans le programme de son hôte pour y intégrer, en douce, son propre code génétique. De Guidoni à Latex, Katerine adapte en fonction de l’interprète son écriture et ses thèmes de prédilection, sans les renier : mélodies soignées, chant lunaire (très belles secondes voix pour Willem ou Teki), outrance dans l’idiotie plus fine qu’il n’y paraît, poésie enfantine et polissonne, avec le lot d’absurdités et de trésors que charrient ces continents éruptifs. Du compromis à la compromission, il n’y a qu’un pas, parfois franchi (« elle lèche les boules de myrtille » pour Teki, un peu lourd), mais cette ubiquité programmatique a au moins un mérite : elle prouvera aux derniers sceptiques qu’en termes de composition, Katerine est bel et bien un robot, après tout. On lui demande, il fait.

Lire notre chronique de Party de plaisir de Teki Latex.
(Re)lire notre chronique de Robots après tout