Krazy Baldhead marque résolument un pas en avant dans la jeune histoire de l’écurie Ed Banger. Les amateurs de mélodies solaires et de rythmiques électro découpées en tranche mutante seront ravis à l’écoute de avec The B-suite. Entretien avec le seul chauve de chez Ed Banger. Micro :

Chronic’art : Tu as eu une éducation musicale précoce ?

Krazy Baldhead : J’ai commencé à jouer du piano très tôt, vers l’âge de 5 ans. Il y avait un piano à la maison. J’ai été inscrit au Conservatoire vers l’âge de 8 ans. J’étais pas mauvais, mais j’étais plutôt le pitre du Conservatoire. On s’amusait pas mal, c’était un endroit de détente et de déconnexé pour moi. Mais historiquement, je voulais faire des percussions classiques, j’ai toujours été attiré par les percus. Mais c’était trop tôt pour un apprentissage des percussions classiques. Tu ne peux pas commencer dès l’âge de 5 ans. Les poignets en prennent un coup… Et puis il faut connaître les bases musicales avant de commencer les percussions classiques. Du coup, on m’a orienté vers le piano en me disant que je pourrais m’inscrire en percussions classiques après enseignement. C’est ce que j’ai fait, et puis je suis passé à la guitare, surtout chez moi en fait. J’ai eu des chevauchements musicaux et puis j’ai commencé à prendre mon envol en écoutant des musiques diverses. J’étais attiré vers le rock, la cold wave. Mais quand je suis arrivé à la Fac, je me suis aperçu qu’il y avait trop de personnes inscrites en section rock, guitare, etc. Donc je me suis dit que même si j’adorais la guitare, il valait mieux que je m’inscrive en section piano, où il y avait moins de monde et donc plus d’options d’apprentissage.

Le premier disque que l’on t’a offert, c’était lequel ?

Mes grands-parents m’ont offert le disque du générique d’une émission de radio et c’était Radio activity de Kraftwerk… Je venais d’avoir 6 ans, c’était pas mal comme premier disque… (rires).

Tu as commencé a faire des compositions très tôt ?

Ouais, j’ai fait pas mal d’over-dubbing avec des montages, des cut-ups et puis du rock avec des potes. J’ai toujours travaillé avec des boucles et des montages sur lesquels je refais des compositions ou je coupe et redécoupe pour arriver à mes instrumentalisations. J’ai beaucoup travaillé avec des samplers et sur Atari avec Groovebox puis Electribe, puis Cubase, etc.

Sur ton album, tu n’as pourtant pas beaucoup de samples ?

Oui, car j’ai passé pas mal de caps, et je me suis retrouvé dans une démarche de production personnelle.

Tu as sorti trois formats maxis avant cela…

Oui, et pourtant, je n’ai jamais été vraiment apte à faire des maxis, cela me bloque plus qu’autre chose ce type de format. Je pars tout le temps dans plein de directions, donc sur un album je peux prendre le temps, tandis que sur les maxis je me sens un peu pressé par le temps. En un quart d’heure, c’est dur pour moi d’exprimer toutes les palettes de mon répertoire. Sur album, je pense pouvoir faire comprendre où je veux en venir.

Comment as-tu intégré l’industrie musicale ?

Je bossais pour une start-up qui s’est cassé la gueule au début des années 2000. Et depuis toujours, j’ai été entouré de musiques, d’albums, et cela a toujours été un rêve d’enfant pour moi de pouvoir faire ma propre musique. Je me suis retrouvé au chômage, et par conséquent j’avais plus de temps pour faire mes sons ; j’ai commencé à faire des démarches en 2001.

Quelle est la genèse du titre Sweet night featuring Outlines ? Tu savais que cela serait le single de l’album ?

Non, ce n’était pas prévu comme single à l’avance. On s’est pris la tête pour la voix. Le chanteur de Outlines a une pure voix et il a placé pas mal d’harmonies. On a fait beaucoup d’allers et retours. Je voulais pas mal de couches qui se superposeraient, donc il m’a filé pas mal de matériau que j’ai modelé.

Pourquoi avoir choisi de faire ton album en quatre mouvements ?

Dès que je me suis mis à cet album, je le voulais en quatre mouvements. J’ai fait mon album en six mois. J’ai composé les quatre mouvements séparément. La référence que j’avais en tête pour mon album était Sheherazade de Rimsky-Korsakov. C’est un truc que j’écoute depuis que j’ai 14 ans, depuis que je fais des percussions. Au niveau percussion, c’est un truc incroyable. Je l’ai réécouté et je me suis dit que cela serait une bonne idée de s’en inspirer pour faire mon album, comme point de départ.

Tu as quoi comme instruments chez toi ?

J’ai un piano, un Rhodes, j’ai un tas de trucs mais je bosse beaucoup à base de synthétiseurs ou de pianos qui viennent de plug-ins. Mais je joue avec, je bidouille, je rejoue, je sample… Je suis assez productif. Je fais passer des trucs à la trappe des fois, quand ca part en couilles. Il y avait un passage ou cela partait un peu en mode reggae, et j’ai tout effacé. Je suis pas un maniaque du back-up. Je ne fais pas trop dans la récupération d’anciens sons, c’est du neuf.

Parle-nous de ton travail avec les Japonais invités sur l’album…

J’avais depuis longtemps l’envie de faire poser des Japonais. Je trouve que les Japonais ont une langue qui se prêtent bien au rap. J’ai fait une tournée avec Vicarious Bliss et on a été en contact avec des Mcs japonais ; c’était vraiment un truc perso. On a enregistré sur place à Tokyo grâce à Pedro Winter.
Les featurings sur l’album, ce ne sont pas des commandes, c’est des envies, des rencontres ? Contrairement à pas mal de featurings chez Ed Banger… Je me trompe ?

Non, c’est exactement ca. Je suis assez fier d’avoir enregistré aux côtés de chaque artistes, chanteurs et rappeurs (Tes, en l’occurrence) pour mon album. J’ai toujours fonctionné par feeling. Les gens avec lesquels je bosse, j’aime les connaître, parler avec eux, un minimum. On est pas passés par des agents ou quoique ce soit. Mes invités sont pas forcement des superstars mais ils vont bien avec mon album et ma musique. Ca avait du sens de les inviter.

Est-ce que tu as une musique de prédilection en qualité d’auditeur ?

Le jazz, et de plus en plus, la musique classique.

Tu as pas l’impression d’être assez éloigné des artistes de ton label ? De Sebastian, de Justice ou Oizo. Chez Ed Banger, il y a pas mal de trucs qui se chevauchent. Toi, tu es un peu à côté de tout cela, non ?

J’ai l’impression d’être indépendant dans l’indépendant, c’est vrai. Mais rien n’est calculé. Mais, c’est aussi du au fait que j’avais envie d’entendre un truc un peu frais, un autre truc. J’ai pas cherché à rentrer dans la direction Ed Banger, mais j’ai pas chercher à l’éviter non plus ; je n’y ai pas trop penser en fait. Je pense qu’il y a des points communs, tout de même, entre ma musique et celle des musiciens de chez Ed Banger…

Pour le morceau Outlines, peut-être ?

Oui, voila. Quand Pedro Winter l’a écouté, il a dit que c’était le single. Mais je ne le voyais pas comme ca. Quand je l’ai fait, je ne me suis pas du tout dit, par contre, que c’était un single. Mais je pensais que dans la construction de l’album, il fallait à un moment qu’il y ait ce morceau, cette entrée dans un univers plus souple.

Pourquoi ne pas avoir mis de voix dès les premières tranches de cet album ?

Je ne voulais pas casser ma progression et mettre des featurings dès le début. Je n’ai donc pas mis de voix dès le début de l’album. Je voulais d’abord faire rentrer l’auditeur dans un monde dans lequel je m’établis.

Tu parles de remise en question… Tu penses déjà à de prochains projets ?

Je travaille déjà sur un autre projet pour le label d’Agoria, avec des musiciens. Mélange de musique malienne et électro. On a sorti un maxi (Somono Foly & Waati, ndlr) il y a quelques années et j’ai un album qui est quasiment terminé ; il faut que je retourne en studio.

C’est pour encore mieux t’évader ?

Il y a de ca. Mais c’est aussi par ce que j’ai ce projet avec un ami, et cela me tient à coeur depuis longtemps. On est donc signé sur InFiné, et on a travaillé depuis pas mal de temps sur notre musique, entre Bamako et Paris. En fait, j’ai commencé ce projet et Krazy Baldhead dans la même période, donc je continue, ca me parait normal. Le nom du groupe c’est Donso. Ca me permet aussi de me changer les idées. C’est cool d’avoir des moments ou je bosse que sur Donso, ou par exemple, l’inverse, quand je reviens sur mes sons de Krazy Baldhead. Ca permet d’avoir du retour.

As-tu des amis musiciens à qui tu fais écouter tes sons pour avoir leurs avis ?

Oui. Georges Pompidup et Breakbot. Mais surtout pour les maxis car cet album, je l’ai fait écouté très tardivement à mes potes. Je voulais que ce soit plus mélodique que ce que j’avais fait auparavant. Je voulais partir d’un truc mélodique et ensuite foutre les trucs de structures. Les basses et les batteries, c’est pas trop le truc le plus dur à placer pour moi, mais les mélodies, c’est plus tendu, c’est comme cela que je le vois.

La genèse de ton album s’est faite naturellement…

La genèse, c’est donc d’analyser tel album, avec l’énergie sur certains thèmes. J’ai écris tous les thèmes sur papier, et puis par-dessus cela, j’ai ce que je fais en live depuis trois ans. Donc, quand je joue en live, j’exploite à la fois des éléments imposés et des éléments improvisés. C est un peu comme ca que je travaille, pour résumer.

Tu as un son beaucoup plus chaud et rond que sur tes premiers maxis, qui sonnaient un peu trop digital…

Je me suis acheté un Moog Voyager, je l’ai rentabilisé. J’aime l’acoustique. Je voulais un album qui n’agresse pas, mais sans éviter de rentrer dans l’auditeur. J’ai bossé comme un chirurgien sur certains passages.

Tu re-écoutes beaucoup ?

Oui. J’ai écouté mon album, seul, en boucle, bien avant de le faire écouter. Si je bossais sur la neuvième minute, je m’arrêtais dessus, et certaines fois je revenais en arrière. Il faillait que chaque partie sorte par mouvement. A la base, je voulais qu’il n’y ait que quatre pistes sur l’album, pour respecter encore plus le délire du thème, comme un truc en quatre mouvements, comme Vivaldi.

L’artwork est superbe. Il n’y en a pas des tonnes de couleur, mais c’est un beau tableau.

Merci. C’est So Me. Je voulais l’éloigner un peu de son univers et il a fait du bons boulots. Je lui ai envoyer des artworks de pochettes d’album des années 70, comme par exemple celle de Porgy & Bess de Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. Et je pense qu’il a été principalement inspiré par cette pochette.

L’album sort en vinyle, avec les mouvements sur chaque face ?

Oui. Ca a beaucoup plus de sens pour moi, c’est un mouvement par face sur vinyle, c’est ce que je voulais dans l’idée. C’est donc parfait qu’il sorte en double 10 inches.

Tes modèles, en musique ?

Miles Davis. Comment il a géré sa carrière. Comment il a fait ses remises en question, comment il s’est renouvelé, d’une période à l’autre. Comme Gainsbourg ou Prince, par exemples. Ou Bill Evans, Ahmad Jamal, Mingus…

Tu te vois comment dans plusieurs années ?

Déjà, je n’ai pas envie de m’enfermer dans un courant electro-hip-hop avec des glitches ou je ne sais quoi. J’ai déjà des idées pour un nouveau projet, je suis assez productif donc je ne me pose pas non plus trop de questions.

Propos recueillis par

Lire notre chronique de The B-suite