Le joyau le mieux gardé de l’écurie Ed Banger (qui fait, malgré tous les quolibets des affamés, du bon boulot), c’est Krazy Baldhead (lire notre entretien), de son vrai nom Pierre-Antoine Grison. Musicien rangé à Paris, originaire de Marseille, il livre son premier LP, The B-suite, album découpé en quatre mouvements, eux-mêmes divisés en plusieurs pistes. Adeptes de rythmes lourds mais concis, de programmations futuristes et d’orchestrations classiques (d’entrée de jeu avec les quatre tranches oniriques du premier mouvement qui se terminent sur un « coucher de soleil ». Baldhead maîtrise autant la posée de pianos que les avalanches de synthés funkadéliques. Inspiré de plusieurs thèmes, mais n’y restant pas de manière trop plaquée, il lève somptueusement les sonorités profondes (pour exemple le troisième titre du premier mouvement, sorte de rêverie intrinsèque au touché electronica subtil) et les bits tranchants. De fait, le premier mouvement se conclut dans un déchaînement organisé, dont les rythmiques sont le squelette énigmatique et mutant tandis que les synthétiseurs vrombissent leurs feux minimalistes. Pas une seule rature ne vient entacher le travail de ce chauve qui cumule les strates sans jamais devenir oppressant, tandis que l’on découvre ici et là des moments de plénitude intense (le deuxième mouvement, où poésie et rigueur se frôlent le cul).

Marqué par le jazz, la musique classique ou faiseur de funk électronique (le single Sweet night, un petit bijou) ou de breakdance, KBH révèle des talents de musicien décomplexé, entouré d’un tutti orchestral d’une véracité saisissante. Sur la durée, l’intensité, la hauteur et le timbre, l’acrobate rangé bien au chaud chez Ed s’éloigne fortement des considérations commerciales de son écurie. Après le raz de marée compressé de Justice, la plénitude des ambiances lancinantes de The B-suite purifie le cerveau. En un sens qui entraîne l’oreille vers une croisée de chemins antinomiques (le dance-floor n’est jamais loin, mine de rien, le hip-hop abstrait s’invite en douce sur Time featuring le rappeur new-yorkais Tes). Ce puissant album d’electro, à travers toutes ses métamorphoses (la tuerie Saturnication), se place en données permanentes d’un certain esprit de recherche qui se rapproche de l’essence même de la symphonie.

Les thèmes festifs se développe avec des ornements de virtuosité et des accompagnements légers, tandis que les moments plus solennels sont poussés vers le haut (second mouvement, partie 4)… Sans oublier les chants des nippons Big O & Mll Yulia, qui se posent parfaitement sur le tempo (Katana powa). Seul derrière ses pianos, ses synthés, ses machines, Pierre-Antoine Grison parcourt au gré d’improvisations déroutantes (troisième mouvement, deuxième partie…) qui tiennent sur le fil d’un langage musical international. Sous ses doigts, les cadences abrasives de la musique électronique prennent des allures de courses déviantes vers l’infini (montée de synthés et tombée éblouissante de bruines sonores s’entrechoquent en mode funk sur la troisième partie du dernier mouvement). Cette volonté sublime de superposer les espaces musicaux tout en les ingurgitant et les maîtrisant parfaitement permette à Krazy Baldhead d’élargir la sphère une certaine idée musicale française, située entre le champ classique et la musique electro. Apparaissant à chaque fois sous une lumière différente, dessinant des traits distincts et exprimant des situations nouvelles, la musique de cet artiste français correspond – dès lors que l’on s’y remet dedans, qu’on s’y replonge en boucle – à des images et des tableaux différents. Une réussite totale.